Levens Hall, dans le comté de Cumbria, au nord du Royaume Uni est une propriété privée appartenant depuis 800 ans à la même famille. Dans le jardin, une centaine de plants de buis et d’ifs ont été au cours des siècles façonnés dans une forme abstraite. Au départ, des volumes géométriques stricts : sphère, pyramide, cylindre, cube ; avec le temps, suivant les modes, la croissance des plantes, les intempéries et la manière de tailler de chaque jardinier, les silhouettes s’arrondissent et deviennent tantôt floues, tantôt opulentes et monumentales, plus ou moins figuratives. Oiseaux, ombrelles, spirales, ogives, portiques, lion, cyclope ou tirebouchon se côtoient étrangement. Le résultat ? Une série d’arabesques élégantes, calculées, totalement dépendantes de la volonté humaine et aujourd’hui spectaculairement tordues ou tourmentées par l’âge.

Eternité
En 1690, le Colonel à la retraite James Grahme décide de s’installer à Levens Hall. Autour de l’ancienne demeure, un manoir fortifié remanié à différentes époques, il n’existe pas de jardin, seulement un parc à gibier. Rêvant de réaliser quelque chose de grande ampleur, il appelle à l’aide un jardinier français dénommé Guillaume Beaumont qui travaille déjà pour la propriété royale d’Hampton Court où il dessine des jardins formels à la française, à la mode à l’époque dans toute l’Europe. Était-il un élève d’André Le Nôtre, le jardinier du roi Soleil ? Peut-être ! Ce qui est certain c’est que protestant, il doit se réfugier en Angleterre après un séjour aux Pays-Bas. A Levens Hall, Beaumont propose un style hollandais, variante des jardins français, peu enclin aux longues perspectives mais privilégiant les parterres de broderie hérités de la Renaissance, les espaces bien compartimentés et les plantes persistantes taillées.
Ce jardin a survécu jusqu’à nos jours avec grâce et majesté, malgré la grande déferlante paysagère du XVIIIème qui éliminait tout sur son passage, y compris les jardins de topiaires. Aujourd’hui, grâce aux différentes générations de la famille Grahme et au travail respectueux et minutieux des jardiniers, le dessin initial est pratiquement inchangé, ce qui fait du lieu, un des plus anciens et un des plus beaux exemples d’art topiaire en Europe. Quelques arbres plantés entre 1689 et 1712 sont toujours là pour le prouver.
Art topiaire
L’art topiaire, ce besoin humain de dompter dame nature, est pratiqué depuis des lunes. Dans le monde antique, Grecs et Romains travaillent déjà, avec une certaine adresse et beaucoup de liberté, des plantes au feuillage persistant tels le cyprès, le laurier ou le myrte. En réalité, les jardiniers appelés topiarius, – venant de topia, le jardin d’ornement -, imitent les sculpteurs de pierre. Pline l’Ancien évoque d’ailleurs dans son Histoire naturelle, des cyprès taillés qui forment des tableaux comme des scènes de chasse ou de cabotage. Au fil du temps, l’art topiaire va et vient mais symbole de prestige des jardins classiques, il revient en grandes pompes au XVIIème et XVIIIème, tant il impressionne et intimide.

Fantaisie ordonnée
A Levens Hall, deux plantes sont essentiellement travaillées. Le buis pour des formes jusqu’à 2m de haut et l’if vert ou doré pour les plus grandes jusqu’à 10m. Les 2,5 km de petites haies basses de Buxus sempervirens ‘Suffruticosa’ affaiblies par différentes maladies ont été enlevées et remplacées par le houx japonais, Ilex crenata.
Les petites pièces sont toutes taillées à la main, à la cisaille et au sécateur alors que les grands formats sont coupés à l’aide de cisailles électriques ou à moteur. Un détail qui compte : pour ne pas brûler les points de coupe, les branches sont humidifiées régulièrement. Lorsqu’il faut rectifier les tirs, pas de gabarit ni autre artifice, seulement des cordes ou des bâtons en bambou. Le mois idéal pour la coupe ? Septembre ! Pour éviter une deuxième taille de correction. Pendant 3,4 mois, 2 personnes à temps plein effectuent le job. Grâce à leur savoir-faire, à la répétition des mêmes gestes ancestraux, ces jardiniers deviennent de véritables artistes.

A vous de jouer
Si dans votre jardin ou sur votre balcon, l’envie d’art topiaire vous prend, démarrez alors avec une sphère. Une des formes géométriques les plus faciles à réaliser. Choisissez une plante de buis, if, houx, chèvrefeuille arbustif ou Lonicera nitida, fusain ou Euonymus, osmanthe, Photinia. Armé d’un sécateur et d’une cisaille, commencez toujours à tailler du haut vers le bas. Tenez-vous au-dessus de votre arbuste et taillez par petits coups en descendant sur les côtés. Un bon conseil, laissez-vous guider par votre intuition, prenez souvent du recul et repartez toujours du haut vers le bas…c’est ce qui s’appelle la taille à « l’œil » !
Levens Hall
Kendal, Cumbria LA8 OPD