L’éloge des mauvaises herbes

Quoi de plus contrariant qu’un pissenlit bien jaune au beau milieu d’une pelouse à l’anglaise tondue au bouton. La bête noire du jardinier ? Ou tout simplement des idées reçues ?

Mal aimées, indésirables, de triste réputation mais d’une prodigieuse vigueur, elles nous fatiguent, nous envahissent là où elles ne doivent pas… toujours arrachées pour mieux repousser. Une dépense d’énergie sans fin. Une corvée. Elles nous agacent, nous fâchent et nous rendent fous. L’abominable racine de nos principaux soucis jardiniers.

Sans vouloir vous effrayer, sachez qu’un mètre carré de terre contient à lui seul environ 40.000 graines prêtes à germer ! Et que chez le coquelicot, elles peuvent rester en dormance pendant des centaines d’années…

Un brin de biodiversité

Pourtant, elles ne sont en fait pas si mauvaises que ça ! Seules diverses opinions culturelles souvent peu objectives mais trop bien ancrées dans notre paysage les considèrent comme telles. Comme l’affirme Gilles Clément, paysagiste français contemporain réputé : « Il n’y a pas de mauvaises herbes, il  n’y a que de mauvais regards». Ceux qui mettent en avant un jardin manucuré, trop  propre.

Ces herbes dites mauvaises  ont aussi un bon côté. Elles peuvent devenir à la fois belles et surtout utiles.  Regardez l’ortie avec un autre œil. Bien sûr elle est redoutable lorsqu’on la touche et qu’elle nous pique. Il n’empêche que ses jeunes feuilles sont bourrées de protéines, vitamines et sels minéraux qui donnent d’excellentes soupes, quiches et fromages. Sans oublier le fameux purin, numéro un de la pharmacie écologique, aux propriétés fortifiantes, insecticides ou fongicides. Sa présence au jardin indique en outre que le sol est très riche en azote. Formidable, non ?

Sachez que ces « adventices », – qui poussent sans avoir été semées -, ont leur raison d’être dans leur milieu naturel. Elles sont en fait un moyen judicieux mis en place par la nature pour éviter la dégradation du sol suite à l’érosion, la pluie ou la sécheresse. Plantes pionnières, elles occupent rapidement les sols nus qu’elles recouvrent d’un tapis végétal bienveillant qui apportera de l’humus en se décomposant. Chaque type de terre a sa flore sauvage spécifique et tant qu’il n’y a pas de prolifération de l’une ou l’autre espèce, on peut conclure qu’elle se porte bien. Le développement des adventices est même un signe de fertilité. Seuls les sols stériles restent sans herbes spontanées. Si une espèce devient envahissante, il faut tirer la sonnette d’alarme. l y a déséquilibre du sol. Le foisonnement des pâquerettes dans la pelouse par exemple trahit généralement l’acidité du terrain. Pensez donc à le rééquilibrer. En revanche, la présence de l’une ou l’autre égaiera ce que certains  surnomment le désert vert.

Les herbes spontanées favorisent le développement de toute une faune auxiliaire. Un jardin, « herbes dites mauvaises » admises, recèle des tas de trésors pour la vie sauvage. Non seulement une source non négligeable de pollen, de nectar pour divers insectes mais aussi  des abris et refuges. L’ortie par exemple héberge quantité d’insectes, butineurs pour la plupart, fort utiles à la pollinisation des autres plantes.

Et d’éco responsabilité

A l’heure actuelle, la plupart des jardiniers éco responsables s’en accommodent. De malaimées, elles deviennent fidèles compagnes, spontanées voire charmantes, presque des alliées. Les purs et durs apprécieront peut-être les longues séances de désherbage propices à la réflexion et à la remise en cause du quotidien. Les autres, plus terre- à-terre, préfèreront les maîtriser pour cohabiter sereinement. S’il est vrai que les deux ou trois premières années sont délicates à gérer afin d’éliminer le gros des plantes vivaces et des réserves de graines sauvages dans le sol, on peut parler ensuite d’un rythme de croisière.

Plutôt que de mener une lutte sans merci, apprenez donc à mieux les connaître pour mieux les respecter et comprendre le fonctionnement de la vie du sol. Un petit peu de  « malherbologie », ou   – l’étude des herbes adventices dans le but de décider de l’opportunité d’une méthode de lutte appropriée -, ne fera de tort à personne. Pour jardiner durablement, ne cherchez pas à tout maîtriser mais plutôt à réguler. Devenez curieux et considérez le sol non pas comme une simple couche de fond mais comme un ensemble complexe et vivant. Ainsi vous apprendrez que le bouton d’or indique l’acidité du sol, la prêle, un sol argileux, acide et mal drainé et le chiendent, un sol épuisé.

Vous apprendrez que les adventices ont un système radiculaire superficiel, traçant, pivotant, fragile ou agressif et qu’elles sont annuelles ou vivaces comme la prêle, le liseron, l’ortie ou la renoncule. Plus sournoises que les annuelles, elles ont une prodigieuse vigueur et développent de multiples stratégies pour occuper la place. Qu’elles se propagent par marcottes, rhizomes ou stolons, il faut absolument les affaiblir d’une manière ou d’une autre. En effet, comme par instinct de survie, le moindre fragment de racine de liseron ou de podagraire pourrait donner vie à une nouvelle plante. Coupez-les en dessous du collet pour éviter les repousses. Elles vont finir par mourir d’épuisement à petits feux. D’autres comme le pissenlit ou le chardon ont une racine pivotante, ils doivent être éliminés le plus en profondeur possible. Quant aux herbes annuelles, ne les laissez jamais fleurir ni monter en graines.

Au diable les herbicides

Tous, un jour, nous avons utilisé un herbicide. Tous nous avons forcé la dose pour en être quitte. Aujourd’hui, nous savons à quel point ce type de produits chimiques endommage notre environnement et conscientisés, nous devons  choisir une alternative à la chimie. Pour notre bien-être et celui de la planète. Plusieurs solutions s’offrent à nous.

Dans les jardineries sont apparus des désherbants de contact 100% naturels à base de plantes, des acides gras végétaux notamment de Pelargonium et d’huile de coton. Ils détruisent les parties aériennes des herbes mais pas leurs racines. Inefficaces contre les vivaces, ils peuvent suppléer au désherbage manuel des annuelles. Ceci dit, on n’a pas beaucoup de recul ni de véritable évaluation environnementale. Sont-ils vraiment écologiques ? Il est prudent de rester méfiant.

Le désherbage thermique rend bien des services. Vous serez peut-être tenté par ces sortes de lance fonctionnant au gaz ou à l’électricité dont la chaleur dégagée brûle les plants envahissants. Ici aussi seules les parties aériennes sont atteintes. Efficace donc sur les annuelles mais moyennant plusieurs passages à intervalles réguliers surtout lors des étés pluvieux. Les plantes s’épuiseront à la longue.

Et enfin, last but not least, privilégiez le bon vieux désherbage manuel pas si douloureux que ça. Jardinez avec la nature et non contre elle et portez un autre regard sur ces herbes spontanées.

Les 10 commandements pour désherber de manière mesurée

  1. N’enlevez que celles qui vous dérangent vraiment.
  2. Couvrez le sol et plantez des couvre-sol pour limiter l’entretien du jardin. Paillez, cela empêchera la germination des adventices par manque de lumière et étouffera celles qui auraient germé malgré tout.
  3. Binez et sarclez. Le travail du sol est l’alter ego du désherbage. Soyez prévoyant, et n’attendez jamais trop longtemps pour enlever les nouvelles pousses de peur que les racines constituent à nouveau des réserves de nourriture. Plus elles sont jeunes, plus le travail est  efficace. En tout état de cause, éliminez les adventices avant leur floraison et leur montée en graines. A ce stade, ramassez-les car laissées sur le sol, elles risqueraient de germer à nouveau.  Persévérez,  dérangez-les, une lutte régulière permet d’épuiser même la souche d’un liseron  dont la racine peut s’étendre insidieusement.
  • Laissez-les sécher au soleil après les avoir arrachées. Jusqu’à complète dessiccation pour les racines épaisses des pissenlits et des orties. Ceci pour éviter qu’elles ne repoussent sur le tas de compost.
  • Après la pluie, les indésirables s’arrachent beaucoup plus facilement sans que les racines ne se brisent. Après l’hiver quand il a gelé, que la terre est friable, que les racines sont déchaussées et que la végétation n’a pas encore repris, c’est également le bon moment de désherber.
  • Pour nettoyer un carré infesté, recouvrez-le pendant quelques mois avec un matériau que les herbes ne peuvent traverser. Une épaisse couche de papier journal ou de carton, du plastique noir ou un morceau de vieille moquette maintenu sur le sol.
  • Lors de nouvelles plantations, il est indispensable de détruire au préalable les herbes tenaces. La technique du faux semis peut se révéler assez efficace. Elle consiste à préparer le sol comme pour un semis. Mais avant cela, attendez la levée des mauvaises herbes pour les éliminer. Après quelques jours, arrachez-les  et mettez en place la culture désirée.
  • Evitez la bêche et la motobineuse qui en morcelant les racines des herbes vivaces ne font que les développer, les multiplier ; chaque blessure donnant naissance à une nouvelle plante. Utilisez plutôt une fourche-bêche ou une grelinette qui décompactent la terre par un effet de levier sans mélanger les différentes couches de terre et ramener en surface les graines enfouies.
  • Sur les terrasses et les chemins, pratiquez un brossage vigoureux et régulier avec à la rigueur quelques cuillères de cristaux de soude dilués dans de l’eau chaude. Sur les récalcitrantes, versez régulièrement de l’eau bouillante ou de cuisson des pommes de terre ou des légumes. Et pour venir à bout d’un chardon ou d’un pissenlit, mettez comme certains jardiniers, une pincée de sel dans leur cœur. En revanche, pas de sel ni d’eau bouillante sur une plate bande du jardin ou du potager au risque de stériliser à la fois la plante et le sol. D’autres encore préfèrent pulvériser du vinaigre blanc dilué dans de l’eau (1/3 pour 2/3 d’eau). L’an dernier, sur les pavés d’entrée de la maison, nous avons à 2 reprises passé le taille-bordure électrique pour couper les indésirables. Le résultat n’est pas si mal.
  1. Les outils indispensables de désherbage. Pour les racines pivotantes, rien ne vaut une bonne gouge à asperge  pour extirper toute la racine. Pour les enracinements superficiels comme ceux du chiendent, soulevez le sol à la fourche-bêche et tirez délicatement les racines.
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