Photos de Patricia Mathieu et Marie-Noëlle Cruysmans
Pour commencer l’année, une belle histoire. Celle du sauvetage d’un métier d’art, d’un incroyable savoir-faire, d’une collection endormie dans le fond d’un atelier au cœur de la Charente. Environ 8.000 outils en acier trempé ou en cuivre, des moules, des presses à découper de près de 600 kg, des gaufroirs … tout un arsenal nécessaire à la confection de détails de rêve, des parures florales en soie, velours, cuir, percale, satin ou mousseline, de quoi rendre les tenues encore plus élégantes et uniques au monde.

Depuis la création de la robe de la Princesse Claire en juillet 2010, l’eau a coulé sous les ponts de Wavre. Pour la rehausser d’une guirlande de fleurs de soie, le couturier Bernard Depoorter avait demandé l’aide d’une artisane de Cognac, l’une des seules perpétuant encore la tradition des décors floraux. Subjugué par cette découverte, il décide de commencer une collection d’outils en farfouillant dans les brocantes et les ventes en ligne. L’an dernier, il revient vers elle et découvre que son matériel est remisé au placard depuis sa retraite. Pour lui, pas question d’abandonner ce patrimoine d’exception en voie de disparition. Avec le soutien de la Région wallonne et grâce à l’octroi d’une bourse, il entreprend de rapatrier à Wavre 16 tonnes d’outillage. L’idée étant non seulement de sauvegarder ces techniques anciennes mais surtout de les honorer avec de nouvelles technologies. Pour Bernard Depoorter, un cabinet de curiosités au service du futur… Après son luxuriant jardin des sens dans le patio de l’atelier, venaient donc l’installation d’un jardin d’acier dans la remise attenante et celle d’un jardin de soie en haut de l’escalier de l’ancienne maison familiale. A l’abri de la ville trépidante, dans le calme d’un îlot baigné de verdure, les jardins secrets d’un styliste éclectique se dévoilent peu à peu.


Un jardin botanique
Depuis le temps de Louis XV, les cheveux et les corsages des dames étaient relevés avec panache de quelques fleurs. Madame de Pompadour les adorait, Joséphine de Beauharnais, collectionneuse de roses, en était folle. Au début du siècle passé, chacun et chacune ornait encore sa boutonnière d’un œillet, ou son chapeau d’un camélia. A Paris, une cinquantaine de maisons de parure florale artisanale avaient pignon sur rue. Notamment celle de Léon Lhomer dénommée « Au lys de Pâques », celle de Judith Barbier, des Demoiselles Tissot ou encore les Etablissements Louis Sébillon. Ils étaient tous réputés pour l’apprêt des fleurs, feuillages et fruits, les plumes, les pistils naturels et fantaisie, les boutons pour roses ou œillets et les cœurs velours pour pâquerettes ou orangers. Tout un monde aujourd’hui disparu.


Les végétaux à reproduire étaient originaires du monde entier, parfois rares ou exotiques comme l’aristoloche, le gardénia ou le Cyca ou d’une grande simplicité comme la marguerite, la pâquerette ou l’épi de petite avoine. Les manufactures de fleurs artificielles s’intéressaient aussi aux pétales, aux boutons de fleurs, – un bouton naissant étant différent des autres -, et aux pistils, véritables petits joyaux de délicatesse. La rose, reine des fleurs, se déclinait en de multiples variations : environ 500 tailles de fleurs et 300 de feuilles. Sur les étagères, d’innombrables moules de roses de thé, de roses de Noisette, une classe de rosiers hybrides, des mousseuses, des pompons, des églantines ou des choux, les centifolia. Aussi des ‘Paul Neyron’, cette rose ancienne célèbre aux fleurs de pivoine, des roses de la gloire, – peut-être la ‘Gloire de Dijon’, un rosier de Noisette aux nuances jaune chamois -, des roses La France, sans doute un des premiers hybrides de thé créé en 1867 par la Roseraie Guillot… Pour pousser le détail à l’extrême, il y avait également, pour ceux qui le souhaitaient, des moules de feuilles de gourmands de rose, ces rejets ou drageons épineux de couleur plus claire. A l’époque, tout était possible, la reconstitution d’une branche entière, d’une plante complète, qu’il s’agisse d’une fleur, d’un arbuste ou d’un arbre ou la création de montages floraux tels que l’incroyable « croissant de l’Immaculée Conception couronnée » réalisé avec des lys, roses, marguerites et violettes. (Archives de la Maison Lhomer).



Artisanal
Pour confectionner des fleurs, fruits ou feuilles, il fallait avoir les outils ad hoc et savoir les utiliser. Plusieurs étapes et gestes étaient essentiels. D’abord rigidifier le tissu en l’enduisant d’un apprêt pour qu’il soit plus facile à découper et le laisser sécher pendant deux heures. Ensuite, le placer sous une presse en acier, « une vieille dame » comme on l’appelle ici et le découper à l’aide d’un emporte-pièce, un découpoir en acier trempé évidé à la main. Puis, le teindre dans un bain colorant, l’essorer avec un buvard et le placer dans une étuve pendant quelques heures pour fixer la couleur. Pour graver les nervures, il fallait chauffer la partie inférieure en bronze d’un gaufroir sur une lampe à alcool, avant d’y déposer le tissu et refermer l’ensemble en pressant fortement avec la partie inférieure en cuivre chauffée. Restait l’opération du boulage qui consistait à incurver les pétales sur un coussinet avec un outil à l’extrémité ronde préalablement chauffé, sans oublier quelques inévitables retouches manuelles à l’aide d’une pince. Finalement, intervenait l’étape ultime de l’assemblage : les pétales d’abord, les feuilles ensuite, le tout fixé à la colle autour de pistils montés sur des tiges en laiton. Oui, vous l’avez compris, c’était et ce sera toujours un travail d’art exigeant maîtrise, patience et dextérité.



Une manufacture et un musée







Sachant que la collection compte des outils anciens du XIXème (de l’Empire à 1890) et quelques ancêtres des années 1727 et sachant que beaucoup ont disparu, – notamment réquisitionnés pendant la guerre pour la fabrication d’armes -, il était impératif pour Bernard Depoorter de les faire revivre, en relançant la production de fleurs de soie. Impératif aussi de permettre au grand public de les admirer, rassemblés dans un musée, véritable laboratoire de recherches investi par des botanistes, historiens d’art et archivistes spécialisés dans l’archéologie industrielle. Pour eux, les catalogues, herbiers de soie, prototypes de fleurs du XIXème siècle, pochoirs, stock de tissus vintage, de fils de laiton aux pistils de 150 ans n’ont presque plus de secrets…









A 41 ans, influencé par les arts décoratifs, le design, la peinture ou la photographie, Bernard Depoorter, bien plus qu’un créateur de mode, ouvre dorénavant les portes de sa manufacture pluridisciplinaire, une maison d’art de vivre où avec son équipe, il n’arrête pas, bouillonnant d’idées, de se réinventer.

En pratique
Manufacture Bernard Depoorter, 39 rue du Béguinage à 1300 Wavre
Visites guidées organisées par l’atelier : www.bernarddepoorter.com