Les jardins de Chine ou la quête du paradis

Che Bing Chiu nous confie les secrets de l’Art du jardin chinois qui a depuis toujours inspiré les artistes, architectes et paysagistes de la planète entière. A la recherche de l’esthétique.

Dans le magnifique ouvrage publié aux Editions de La Martinière et lauréat du prix littéraire René Pechère 2012, Che Bing Chiu, grand spécialiste du jardin chinois nous livre quelques clefs des portes du paradis. Au lecteur qui a du talent – c’est l’auteur qui le dit – de lui emboiter le pas et de s’aventurer dans une démarche poétique subtile où s’entremêlent descriptions et sensations.

Pas plus gros qu’un grain de moutarde

 L’art du jardin en Chine est intimement lié à la vie intellectuelle. Il est indissociable des deux formes d’expressions artistiques majeures que sont la peinture et la poésie. Une véritable osmose entre paysage et arts. La peinture de paysage appelée shanshui et la poésie « champs et jardins » tianyuan sont dédiées depuis des lunes à l’érémitisme. La vie d’ermite. Un condensé de simplicité, où les détails deviennent superflus et où l’essentiel prime. Pas de fioriture. Uniquement un parcours initiatique fait d’un seul ou de deux coups de pinceau. Le tout pour tendre vers le raffinement suprême pas plus gros qu’un simple grain de moutarde.

Yuan

Le caractère chinois yuan désigne le mot jardin. En Chine, le jardin traditionnel compte 4 éléments importants. La montagne, l’eau, l’architecture et le végétal. « Un mur pour délimiter l’espace du jardin, de l’eau pour le nourrir, des montagnes pour structurer, des édifices pour disposer de lieux de réception et d’intimité, du végétal pour témoigner de la permanence et de l’éphémère. » (p.114) Tout jardinier débutera par creuser la terre pour y installer un bassin et puis se servira du déblai pour ériger une montagne. Représentée par des pierres et des rochers dressés, elle est le centre de l’univers. L’eau, contrepoint harmonieux, l’accompagne. Bassin, rivière, cascade, eau dormante, jaillissante et courante, dans tous ses états. Le troisième élément concerne l’architecture. Il s’agit en réalité surtout de symétrie et de lignes ainsi que d’éléments de décor tels des murs blanchis à la chaux, des pavillons et autres édifices. Kiosques où l’on se repose, bateaux de pierre où l’on se prête à rêver, galeries où l’on déambule. Différents détails attirent le regard vers les fenêtres, portes, balustrades et bancs. Enfin last but not least le dernier élément, le végétal. Dans les compositions, il joue le rôle de la spontanéité. Essentiel. A chaque saison, sa fleur particulière. Le magnolia ou la pivoine pour le printemps, le lotus ou le lilas des Indes pour l’été, l’érable ou le chrysanthème pour l’automne et pour l’hiver, pin, bambou ou prunus. A chaque plante correspond un symbole. La longévité chez le pin, la résistance chez le bambou et le renouveau chez le prunus.

Jardin de lettrés

Dans la Chine traditionnelle coexistent deux sortes de jardin. Les jardins impériaux tout-à-fait grandioses et ceux de particuliers plus intimistes, que le lettré réalise pour exprimer sa personnalité. C’est avec  la dynastie des Tang dès 618 que l’art des jardins prend toute son ampleur. C’est « l’âge d’or de la civilisation chinoise… Sous la dynastie des Tang, grâce à la sensibilité artistique des lettrés et à leur capacité de restituer le paysage dans une composition picturale ou littéraire, le jardin de lettré … allait s’élaborer, s’affiner et essaimer. » (p. 18)

Le lettré, homme cultivé et sage, à la grande sensibilité artistique doit choisir pour sa quête du paradis et du retour à la nature entre la vie de mandarin et celle d’ermite. A moins qu’il ne parvienne à transiger entre les deux. Les principes du confucianisme mettant l’accent sur le civisme et la noblesse de cœur sont mêlés à ceux du taoïsme liant l’homme aux forces de la nature et à ceux du bouddhisme à la recherche du nirvana. Pour y arriver, il devient maître jardinier. Son univers ? Un jardin de longévité clos de murs, lieu de sérénité propice à la méditation et à l’accueil d’amis où l’on peut mener une vie simple et tranquille.  

Aujourd’hui, la Chine conserve ses jardins de lettrés dans des villes comme Suzhou, Wuxi et Yangzhou où ils sont particulièrement concentrés. Le jardin du Maître du Filet, de l’Humble Administrateur, du Contentement Préservé en sont quelques modèles.  En 1997, quatre jardins de Suzhou ont été classés patrimoine mondial par l’Unesco. Une consécration.

Yuanye

Yuanye est le nom du traité de jardins de référence écrit en 1633 par Ji Cheng, un lettré, maitre d’œuvre de plusieurs jardins, incontournable à l’époque. Initialement dédié à ses deux fils, il décrit la conception et la réalisation d’un jardin traditionnel. Non seulement les différentes techniques de fondation, de la composition des balustrades, portes et fenêtres, de la manière de dresser les montagnes mais aussi des conseils pratiques comme la prise en compte du genius loci … Sans oublier d’évoquer la vision idéale du jardin. « Tout le secret tient dans ces quelques principes : créer de petits espaces clos au sein de vastes étendues, donner une illusion d’étendue quand l’espace est réduit, donner de la densité aux vides en matérialisant l’irréel, alterner le mystère et l’évidence, les approches faciles et les retraites profondes. » (p. 178) Tombé dans l’oubli pendant 300 ans, ce traité a été redécouvert dans les années 30 et traduit en français dans les années 80 grâce notamment à l’opiniâtreté, la rigueur et une grande connaissance du chinois classique de Che Bing Chiu. Aujourd’hui on reconnaît au texte une impressionnante  modernité. En effet, les conseils de respect de l’environnement, d’intégration au site, de protection des nappes phréatiques qui y sont relatés sont toujours d’actualité.

Quelques principes du Yuanye concernant la structure du jardin interpellent. La perception de l’espace y est toute différente. Les scènes se succèdent sans se ressembler tout au long d’un parcours dans des galeries sinueuses et au travers de fenêtres et de portes. « Quand on conçoit un jardin, il est primordial de lui conférer un caractère spécifique et une unité spatiale. La répartition des scènes autour d’un élément central doit être faite en veillant à la diversité des perceptions, en jouant sur le contraste des masses et des volumes, du plein et du vide, de la couleur et des matières, des édifices différenciés, des montagnes artificielles et des pierres dressées, des végétaux.»(p. 200)

L’emprunt du paysage extérieur est un élément primordial. D’une part, le paysage se miniaturise pour devenir une partie du jardin et d’autre part le jardin semble plus grand et semble se prolonger au-delà. Le micro dans le macro et vice versa. Le monde dans un grain de moutarde.

Inspiration

Au XVIIIe siècle,  l’influence de l’Extrême-Orient en Occident est considérable. Les références à la Chine sont légion et omniprésentes. Certes la porcelaine a traversé les océans mais c’est au jardin que la culture chinoise s’est exportée en premier lieu. Des compositions « anglo-chinoises » voient le jour, bousculent la géométrie des jardins classiques avec comme points de mire, des kiosques, ponts arqués et fabriques de jardin à caractère oriental. On ne compte plus les chinoiseries en tout genre. Chacun interprétant à sa manière une certaine idée de la Chine transmise par les jésuites via des textes et des images parfois ésotériques. A Londres, l’architecte William Chambers élève la pagode du jardin de Kew. En France, celle de Chanteloup, les folies du Petit Trianon ou de Rambouillet et la création du désert de Retz. Aujourd’hui, le monde a sans doute une autre image de la Chine. Collerait-elle mieux  à la réalité chinoise ? Pas sûr. Il n’existe pas beaucoup d’exemples, très peu de restitutions de jardins d’inspiration lettrée et encore moins de créations. Hormis à New York pour le Metropolitan Museum, en Californie au Huntington Botanical Gardens de San Marino, à Munich dans le cadre du Bundes Gartenschau de 1983 et à Marseille dans le parc Borelli. Depuis peu à Chaumont-sur-Loire.

Hualu, Ermitage sur Loire

Loin de l’image d’Epinal d’un kiosque coiffé d’une toiture retroussée, c’est à Chaumont-sur-Loire que demeure depuis un an le jardin de lettrés du XXIe siècle, œuvre de Che Bing Chiu. Ce n’est pas un hasard, Chaumont étant un lieu de création par excellence mêlant l’art des jardins et l’art contemporain. Pour fêter les 20 ans de son festival des jardins, 10 ha supplémentaires ont été aménagés par le paysagiste Louis Bénech. L’idée étant d’y aménager des jardins représentatifs d’une grande civilisation. Honneur à la Chine.

Hua signifie à la fois fleuri et Chine et lu désigne un lieu à l’écart, l’ermitage et la sonorité qui évoque l’hôtesse, la Loire. Tout un programme pour ce jardin pérenne de plus de 1000m²qui évoluera au fil des saisons et du temps qui passe. Che Bing Chiu s’inspire du genius loci et des principes conceptuels des jardins de lettrés. Son fil rouge est un personnage du IVe siècle, Tao Yuanming, maître jardinier et lettré appelé Maître Cinq-saules. Son défi ? Un esprit résolument contemporain pour un espace évolutif voué à la méditation: « Le défi consiste, puisant aux sources de l’art classique, à s’affranchir des contraintes de la tradition, pour un renouveau formel et spatial du vocabulaire architectonique de l’espace paysager. » (p.206) Une  montagne, un grand plan d’eau, 3 éléments d’architecture et des végétaux, – pins, bambous et magnolias – sont installés. Des pierres de la région complètent le tableau. La Terrasse des Nuées qui s’attardent, la Dalle des Coupes flottantes et le Pavillon de la Tige de Saule cueillie prennent forme. Pour y arriver, Che Bing Chiu fait appel au savoir-faire local. Une rencontre avec Eric Renault, osiériculteur et maître vannier aboutit à la construction de 3 pavillons dont celui des Cinq saules en l’honneur du poète.  La rencontre avec Nacera Kaïnou, artiste peintre et sculpteure, a pour fruit la mise en place de 8 panneaux peints installés à la Source des fleurs de pêcher. Ils forment des rideaux ondulant au gré du vent et évoquent un monde paradisiaque, la forêt de fleurs de pêcher et les foisons de pétales.

Deux autres jardins éphémères accompagnent Hualu. Le premier est l’œuvre de Wang Shu, premier architecte chinois à recevoir en 2012 le prestigieux prix international d’architecture Pritzker.  Appelé lui aussi Pavillon des Nuées qui s’attardent, il s’agit d’un grand nid d’oiseau en bois de pin. Une nacelle autoportante sans un clou … pour attraper les nuages. Le deuxième jardin à venir est confié à       l’architecte paysagiste Yu Kongjian, figure majeure de la création architecturale et paysagère en Chine.

Japonais ou chinois ?

Il n’est pas toujours facile de différencier ces deux styles de jardin. Les idées sont globalement les mêmes mais elles sont développées différemment. Bien sûr le jardin chinois est à la source du jardin japonais. Par ailleurs, il faut reconnaître que le jardin chinois est beaucoup plus dynamique. C’est certes un lieu de méditation que l’on contemple à partir d’une terrasse ou d’un pavillon mais ici, on est invité à y pénétrer physiquement, à y déambuler. « Deux sortes de parcours : l’un qui longe les principales scènes, l’autre qui pénètre à l’intérieur de celles-ci…» (p. 201) En outre, en Chine, les prescriptions et considérations superstitieuses sont pratiquement inexistantes. Pour établir l’harmonie entre l’homme et son environnement, les chinois utilisent plutôt leur simple bon sens. Enfin, une constante des jardins chinois est l’omniprésence de l’eau alors que la tradition japonaise impose l’idée d’un jardin sec, de sable tamisé.

L’ouvrage

La présentation du livre est à l’image des jardins chinois. Traditionnelle et poétique.  Un magnifique coffret fait office de couverture. En son centre une fenêtre quadrilobée représentant une fleur de pommier laisse entrevoir le paradis d’un jardin de lettré. Che Bing Chiu propose au lecteur plusieurs degrés de lecture. Comme dans un jardin en Chine. Des photos, dessins, peintures et textes anciens viennent compléter son analyse. L’alchimie de ces différentes disciplines permet au lecteur de mieux comprendre.

L’auteur

Né à Hong Kong en 1955 et vivant en France depuis l’âge de 15 ans, Che Bing Chiu est à la fois architecte, écrivain, historien, enseignant et paysagiste. Il est notamment membre du Centre de Recherche sur l’Extrême-Orient de Paris Sorbonne, de celui sur l’Architecture et le jardin traditionnel, et visiting professor à l’école d’architecture de l’université de Tianjin (RP de Chine). A Pékin, il a effectué de nombreuses missions pour la protection du site de Yuanming Yuan. Che Bing Chiu est lié à la Chine et à la France. Il marie les deux cultures. Pour lui, ces deux pays forment un seul grand continent l’Eurasie. C’est pourquoi, il aime se comparer à une modeste passerelle entre les deux pays.

Ses livres

  • Traduction de Yuanye, le traité du jardin, 1634, Besançon, Edition de l’Imprimeur, 1997, ISBN 2-910735-13-3                     
  •  Yuanming yuan, le jardin de la Clarté parfaite, Besançon, Edition de l’Imprimeur, 2000, ISBN 2-910735-31-1
  • Aux jardins de Cathay, l’imaginaire anglo-chinois en Occident avec Monique Mosser et Janine Barrier, Besançon, Edition de l’Imprimeur, 2004, ISBN 2-910735-92-3
  • Le Jardin du lettré : Synthèse des arts en Chine, ouvrage collectif dirigé avec Sophie Couëtoux, Besançon, Edition de l’Imprimeur, 2004, ISBN 2-910735-99-0
  • Pékin, métamorphose d’une ville impériale, avec Stéphanie Ollivier, Paris, Félix Torrès Editeur/Edition Le Cherche-Midi, 2009, ISBN 2-912348-01-3
  • Jardins de Chine, ou la quête du paradis, photographies de Yuxiang Li, Paris, Editions de La Martinière, 2010, ISBN 978-2-7324-4038-5
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