Oui, pour l’homme, l’eau est un élément vital. Une richesse inestimable. Parfois un luxe. Utile mais aussi tout simplement esthétique. Grâce à un incomparable savoir-faire, elle a toujours été domestiquée souvent, sans aucun gaspillage. Précieuse, elle se voit et elle s’entend :
Il existe « …quatre genres d’eaux jardinistes : la coulante, la cascadante, la dormante et la jaillissante. Chacune d’entre elles, à l’exception de la dernière, étant une métaphore – miniaturisée le plus souvent – de la rivière, de la chute d’eau et du lac … » Jean-Pierre Le Dantec, Poétique des jardins, Actes Sud 2011.
Dans l’Antiquité, l’eau est associée aux nymphes, ces forces fécondes de la Terre, plus tard à la Renaissance italienne, elle devient divertissement et artifice grâce aux délicieuses « joyeusetés » aux effets sonores, sophistiqués et invisibles qui surprennent et amusent. Ensuite, elle contribue aux grands effets de perspective et de miroir ou représente tout naturellement le paysage arcadien tant rêvé. Aujourd’hui, elle garde toujours jalousement sa place dans les jardins ; les technologies modernes informatisant les jets d’eau, recyclant les cascades ou embrumant les jardins.
Dans 2 jardins privés créés à des époques différentes, l’un en France et l’autre au Royaume Uni, l’eau, clef de voûte de chaque composition, règne en maîtresse incontestée avec autant de raffinement que d’élégance.
A Courances, jeux d’ombre et de lumière

A Courances, au sud de Paris, l’eau, génie de ce lieu intime au charme romantique si particulier, circule naturellement à profusion dans les bois et dans les champs de ce domaine de 75 ha. A chaque recoin, à portée du regard, elle guide le pas du promeneur et construit l’espace. Le château de Courances qui, en réalité, tient son nom des « eaux courantes », trône au sein d’un océan de verdure et d’eau, alimenté par une rivière appelée l’Ecole, des étangs et 14 sources. Ici, pas de mécanisme ni appareillage quelconque, mais la mise en pratique d’une subtile science des niveaux permettant l’écoulement des eaux de manière simple et efficace.
« …l’inventaire des éléments qui constituent Courances est finalement assez minimal : de l’eau, de l’herbe, des pierres et des arbres. » Pascal Cribier, Courances, Editions Flammarion 2003
Jardin d’eau de la Renaissance
En 1622, les lignes principales de Courances sont dessinées et les axes définis en fonction de la localisation des sources. L’idée étant de, petit à petit, drainer et irriguer un terrain saturé d’eau. Un réseau de canaux découpe le terrain, une île plate-forme entourée de fossés est aménagée et 2 parcs sont dessinés. Dans l’un, une salle d’eau et une grotte, dans l’autre, un grand canal de 600 m de long doublant la rivière, tout en étant décentré par rapport à l’axe du château et hors de sa vue. Tous ces éléments sont typiques des jardins d’eau de style Renaissance, époque où les techniques hydrauliques progressaient sans cesse pour domestiquer l’eau sauvage dans un simple but d’agrément.

Certains, surtout vers la fin du XIXème siècle ont, sans preuve, attribué ce jardin à André Le Nôtre (1613-1700), alors qu’en réalité il est nettement plus ancien. A part les terrasses, les escaliers, les balustrades ou le grand canal qui font penser à ses réalisations, il n’y a pas de décor de théâtre pompeux comme à Vaux, Versailles ou Chantilly. Ici, les prémisses des idées et théories de perspective ou d’optique développées plus tard par le jardinier du roi Soleil.
Remanié par les Duchêne père et fils
Plusieurs restaurations sont intervenues au cours des siècles. Au XVIIIème, pas de grands bouleversements mais quelques ajouts comme le grand miroir d’1 ha au beau milieu du tapis vert entouré de bois. Installé devant la façade du château, il souligne l’axe et accentue la symétrie. Un siècle plus tard, un nouveau bassin est créé dans l’axe du miroir et des parterres de broderie sont dessinés. L’intervention la plus marquante date de la fin du XIXème et du début du XXème lorsqu’ Ernest de Ganay, propriétaire et amateur éclairé de jardins appelle à l’aide ses amis, les architectes paysagistes Duchêne père et fils. Réputés pour la création et la restauration de plus de 6000 jardins, dont Vaux-Le-Vicomte, ils réintroduisent, dans une époque éclectique de l’art des jardins, la mode des jardins classiques ou réguliers reléguant le jardin paysager comme tampon entre partie régulière et paysage naturel. Ils réinventent l’organisation du parc, unifient les différentes interventions et donnent à Courances son visage actuel où l’eau part à la rencontre de la lumière. Ailleurs, à l’écart, du côté de l’ancien moulin et autour d’un étang, Berthe de Ganay a ajouté un jardin anglo-japonais intimiste dont les formes et les couleurs contrastent avec la sobriété du parc.



Aujourd’hui, dès que l’on entre dans le domaine par la grande allée bordée d’un canal et de platanes bicentenaires, la magie opère encore. Raison sans doute pour laquelle le jardin a reçu le label de « Jardin Remarquable »… Une évidence.
Comme l’explique René Pechère dans sa Grammaire des Jardins, « On peut « composer » avec la lumière et donner des effets de profondeur en alternant les espaces très lumineux, en écartant les arbres, avec d’autres ombragés, en resserrant les arbres. Les jardins de Courances … sont d’autant plus intéressants à ce point de vue que ces effets s’accompagnent du reflet des canaux et miroirs d’eau » Editions Racine 1995, p 115
A Longstock, jeux de couleur et de feuillage

A Longstock, dans la belle campagne du comté de Hampshire, l’ambiance est totalement différente. Dans le creux d’une vallée se cache l’un des plus immenses et des plus exceptionnels jardins aquatiques d’Angleterre. Tout y est conçu pour mettre les plantations des berges à l’honneur. Luxuriance, exubérance des feuillages et profusion des couleurs sont au rendez-vous. L’histoire commence en 1948 lorsque John Spedan Lewis achète le domaine, attiré par un petit jardin aménagé sur une dérivation de la rivière Test où grouillent des tas de truites.

La petite Venise du nord
Inspiré, il se jette dans l’aventure et aidé par le botaniste Terry Jones, il se met à structurer la parcelle. Pendant 6 ans, de main de maître, il peaufine le dessin, creuse des canaux et des étangs qu’il relie entre eux par des petits ponts de bois tout simples, des passerelles presque invisibles. Le regard ne doit être attiré que par les plantations des îles rehaussées de l’un ou l’autre arbre de position se reflétant dans les eaux limpides. Bouleaux aux belles écorces, liquidambars, Metasequoia glyptostroboides pour les couleurs d’automne ou cyprès chauves formant dans cet environnement humide de robustes racines aériennes, les étranges pneumatophores. Après les tempêtes de 87 et 90, beaucoup d’arbres abîmés sont remplacés par des Davidia involucrata, Ginkgo biloba, Ostrya carpinifolia, le charme houblon.
Le résultat ? Un jardin d’eau de 3,5 ha, un havre de calme et de fraicheur composé de grands étangs où l’on se promène d’île en île dans un dédale de canaux. Grâce à un judicieux système de vannes, le niveau d’eau est constant. Ici, peu de points de repère, à part une petite maison au toit de chaume au bout du jardin. L’idée étant de se perdre dans cet environnement si particulier et si rare qui parait tellement naturel alors qu’il a été entièrement façonné par l’homme.
Une flore particulière
Dans la région, le sol est superficiel sur un sous-sol crayeux mais, à de nombreux endroits, des poches de terre acide ou de tourbe permettent de varier les types de plantation, notamment des végétaux acidophiles. Pour John Spedan Lewis, c’est un véritable jeu de planter « la bonne plante au bon endroit ». Et c’est la raison pour laquelle les rhododendrons, Pieris, Camellia et autres compagnons poussent ici avec bonheur. Sur les berges, quelques pavots bleus de l’Himalaya, Meconopsis betonicifolia, détestant le calcaire, pointent même le bout de leur nez. Dans l’arboretum longeant la zone aquatique, des chênes séculaires semblent être toujours en parfaite santé. Ailleurs, quelques zones bizarrement très sèches offrent l’occasion d’introduire encore d’autres végétaux favorables à ce type d’habitat.
Aujourd’hui, le jardin est géré par le John Lewis Partnership qui assure la continuité dans l’esprit de son créateur. Méticuleusement entretenu par 3 jardiniers, il n’est ouvert au public qu’exceptionnellement dans le but d’y préserver la flore et la faune. Les berges paillées chaque année sont régulièrement agrémentées de compost et remaniées tous les deux, trois ans avec un foisonnement d’iris, primevères, astilbes, ligulaires, Hosta, Rodgersia, Podophyllum, osmondes royales ou d’immenses Lysichyton, Rheum la rhubarbe décorative et Gunnera. Sans oublier les fleurs sauvages qui se faufilent partout et une magnifique collection d’environ 50 nénuphars qui trônent au beau milieu de l’étang. Au fil de la promenade, une série de tableaux, une succession de vues différentes dans une atmosphère résolument impressionniste. On se croirait à Giverny, le long de l’étang que Monet aimait tant, pour l’avoir peint à toutes les heures de la journée.

Un jardin des 4 saisons
- Au printemps : d’abord les bulbes, les primevères japonaises et candélabres sans oublier les Iris, Rhodo ou Camellia. A noter aussi la floraison des Lathraea clandestina qui ressemble à celle des crocus. Ces plantes apparaissant dans les bois humides, parasitent les racines de certains arbres comme peupliers, saules, aulnes, chênes ou noisetiers, aux dépens desquels elles se nourrissent. Sans feuilles ni chlorophylle, elles puisent leur nourriture dans les racines de leurs hôtes grâce à des suçoirs.
- En été : dès que l’eau se réchauffe, fleurissent les nymphéas. Aussi les hémérocalles et les lobelias vivaces.
- En automne : place aux couleurs mordorées des feuillages,
- Et en hiver aux écorces intéressantes comme celle des Cornus, Salix, Rubus, bouleaux et Aralia elata sans oublier la floraison des Hamamelis.
Infos pratiques
Château de Courances, 15 rue du Château, 91490 Courances ; www.courances.net
Longstock Park Water Garden, Longstock Park, Stockbridge, Hampshire SO20 6EH; https://leckfordestate.co.uk/water-garden