Oui, on aurait tort de croire qu’ils ne sont qu’un souvenir du passé. Au contraire, ils n’ont vraiment jamais été démodés. A l’heure actuelle, les reconstitutions, restaurations, évocations ou pures créations foisonnent dans tous les coins d’Europe. Des compositions quelquefois strictes, réalisées sur base de documents authentiques ou des charmantes divagations d’un idéaliste. Tout est bon. Ils plaisent toujours autant. Sans doute parce qu’ils gardent un petit air sage et bien rangé.
Prieuré de Souvigny
Les sources
Même s’il est vrai que le Moyen âge recouvre un millier d’années, de la chute de Rome en 410 à la découverte de l’Amérique en 1492, Il existe malheureusement très peu de sources. La plus célèbre est le Capitulaire De villis prescrit par Charlemagne en 800. Soit quelques instructions bien précises sur l’exploitation des domaines et surtout une précieuse liste de près de 90 végétaux utilisés à des fins comestibles ou médicinales. La plus utile quant à elle est le fameux plan du IXème siècle du jardin de l’abbaye de St Gall, au sud du lac de Constance en Suisse. Un modèle unique et idéal de monastère bénédictin carolingien qui n’a en fait jamais été réalisé. Malgré cela, il a toujours eu, tous siècles confondus, une influence immense. On y repère un jardin clos, hortus conclusus, dessiné au cœur du bel ensemble monastique et divisé en plusieurs espaces tous voués à la gloire du jardinage. Le premier appelé herbularius consacré aux plantes médicinales est situé près de l’infirmerie, le deuxième hortus ou potager demeure à côté des cuisines et le troisième, le viridarium n’est rien d’autre que le verger-cimetière où fruitiers et tombes se côtoient harmonieusement. Un dernier document important est le traité Physica sur les plantes médicinales d’Hildegarde de Bingen (1098-1179), une abbesse rhénane bénédictine à l’aura internationale, auteure de livres de médecine, de sciences naturelles, de chants et vies de saints.
Abbaye de Mottisfont
D’autres documents littéraires ou artistiques figurent également parmi les références des créateurs de jardins médiévaux. Le roman de la rose de Guillaume de Lorris, les enluminures des livres d’heure, comme les Grandes heures d’Anne de Bretagne ou les très riches heures du duc de Berry. Ces miniatures peintes méticuleusement par les moines sont un véritable inventaire de la flore de l’époque. Les tableaux de scènes religieuses des maîtres flamands, Rogier Van der Weyden, Dirk Bouts, Van Eyck ou Memling, – ces deux derniers passionnés de botanique -, donnent par leur décor végétal une foule d’informations. Tout comme les tapisseries, que ce soient les verdures aux paysages sylvestres ou les tapisseries dites aux millefleurs telle la célèbre dame à la licorne. Une mine d’or.
Donjon de Vez
D’inspiration médiévale
Le jardin d’abbaye se définit à l’origine comme un enclos utilitaire de simple subsistance. Replié sur lui-même, pour se protéger des animaux et des hommes, face à l’ignorance du monde environnant, il sert à faire bouillir la marmite, remplir l’armoire à pharmacie, décorer l’église et nourrir les âmes loin des turpitudes terrestres. A l’instar de Saint-Fiacre, le patron des jardiniers, les moines deviennent d’excellents jardiniers voire même de véritables spécialistes.
De forme généralement carrée s’inspirant des jardins de cloître, il est divisé en espaces, – carré d’herbes, cloître, potager, verger, pré fleuri -, délimités par des treillages en bois ou des murs. Les plates-bandes surélevées sont bordées de plessis ou fascines, des tressages réalisés en saule, châtaignier ou noisetier. Quant aux plantes cultivées, elles sont principalement aromatiques, médicinales et potagères. Des fruitiers aussi et des fleurs à couper comme roses, lys et iris pour orner l’autel. Les arbustes sont élégamment taillés en topiaire pour allier l’esthétique au nécessaire.
La Roche Jagu La Roche Jagu
Le jardin fait véritablement partie de la vie spirituelle du monastère. Propice à la méditation, à la prière, nourricier du corps et de l’âme. Évoquant le paradis, c’est un lieu éminemment symbolique. Au centre, l’eau sous forme de bassin ou de fontaine. Source de vie, elle renforce le caractère sacré du jardin.Tout autour, des banquettes de gazon permettent de s’y asseoir pour se reposer, à l’ombre d’un arbre, d’un pavillon ou d’une tonnelle propice à la culture d’une vigne. Tout est géométrique et rectiligne. Sans désordre ni chaos.
Abbaye des Vaux de Verzy
Aujourd’hui
Qu’est ce qui nous séduit tant dans ce type de jardin à la fois si simple et si particulier ? Est-ce une sorte d’anti-jardin distinct des compositions contemporaines ? Un lieu d’innocence, de recueillement ? Une réminiscence d’un jardin de grand-mère ? Un endroit modeste où la rigueur n’est qu’apparente ? Nul ne sait. En tous cas, un havre de paix où le temps paraît ralenti, acompte sur l’éternité.
Studley Royal
Studley Royal
Quelques grands paysagistes, avec un brin d’inventivité doublé d’un sacré savoir-faire, lancent ce défi d’un projet hors du temps comme à l’époque des moines qui se voulaient hors du siècle. Eric Ossart et Arnaud Maurières au musée national du Moyen âge à Paris, Pascal Cribier au donjon de Vez ou encore Sonia Lesot et Patrice Taravella au prieuré Notre-Dame d’Orsan. Plus près de chez nous, à Villers-la-Ville ou à Aywiers, deux magnifiques jardins d’inspiration médiévale sont à découvrir ou à redécouvrir. Ce week-end des 26 &27 septembre à l’abbaye de Villers-la-Ville, le jardin des Moines et celui de l’Abbé ouvrent leurs portes. Ils viennent compléter le jardin des simples. Le premier, tout en courbe, situé au pied du Réfectoire des moines fait hommage aux plantes médicinales, à parfum, tinctoriales, aromatiques et condimentaires. Un petit clin d’œil aux motifs circulaires des fenêtres gothiques surmontées d’oculi. Le second plus classique, parcouru par des allées en croix accueille aussi des espèces plus ornementales.
Prieuré de Souvigny
Abbaye de Valloires
A l’abbaye d’Aywiers, derrière le mur d’enceinte, passé les différents porches, le temps s’arrête et la magie l’emporte. Un parc, des grands arbres centenaires, des prairies à vaches et moutons, un chemin de vieux pavés, des sources les « Awirs » à l’origine du nom, un petit pont qui enjambe un ruisseau, un étang où se reflète une lumière incomparable…C’est le lieu choisi au XIIIème siècle par des cisterciennes pour se consacrer à la prière et au recueillement. On les comprend. Aujourd’hui encore, la ferme, les écuries, la maison du prieur ou les petits pavillons invitent à la rêverie. Tout comme le potager, ce grand carré de 30m sur 30m, installé autour d’un bassin rectangulaire et divisé en 4 carrés plantés d’aromatiques, de courges, de légumes et de fleurs à couper.
Potager de l’abbaye d’Aywiers
Des idées à cueillir pour créer chez soi un petit coin à l’abri des tumultes de la vie.