Avec Bas Smets, inventer l’avenir du paysage

On ne parle que de lui. Dans son bureau au 10ème étage d’un immeuble bruxellois, devant un magnifique panorama urbain à l’infini, des maquettes, plans, dossiers, photos, ordinateurs et … un livre de Victor Hugo… Notre-Dame de Paris.
©Studio Alma

Depuis que Bas Smets a gagné le concours d’aménagement des abords de la cathédrale, le temps s’envole. Pour ce lieu mythique, symbole de la France et de sa capitale, il était au rendez-vous avec toute son équipe. En présentant une solution simple, logique et efficace où il fait bon vivre au cœur de la cité, ils ont séduit et conquis le jury international. Ils revisitent le lieu, comme un vrai paysage connecté à la ville environnante et transforment le parvis en une immense clairière qui accueillera dorénavant pelouses arborées, nouvelles perspectives, ambiances différentes, tout en privilégiant un rapport omniprésent avec la Seine.

© Bureau Bas Smets, Perspective axonométrique du parvis qui donne une idée du volume et du relief

Stratégie paysagère

Ingénieur, architecte, paysagiste et urbaniste, il se dit « architecte du paysage ». Une profession nouvelle, essentielle, qui apprend à lire le paysage avant de vouloir l’inventer ou le transformer. Partant d’une réalité, le paysage existant, le but est de le révéler, le modifier ou l’augmenter par une série de visions à long terme, tout en retrouvant une cohérence évidente entre la nature et les hommes. Sans sophistication aucune. En d’autres mots, imaginer comment la nature résiliente pourrait évoluer, comment elle aurait réagi sans intervention humaine, tout en veillant à accélérer le processus et tout en misant sur l’intelligence des plantes.

© Bureau Bas Smets, A Hong Kong, en plein centre, sur le toit du centre de design PMQ, la végétation crée un havre de sérénité à l’écart de la ville

Il est impératif de donner un rôle à cette nature. Surtout en ville où vit la moitié des habitants du monde entier. Les espaces de verdure doivent y être reliés entre eux pour créer de véritables réservoirs écologiques. Des respirations. En cela, il est influencé par le travail des architectes paysagistes Michel Desvigne, Georges Descombes et Dan Kiley ou Garrett Eckbo, sans oublier Frederick Law Olmsted (1822-1903), un pionnier des Park Systems, réseau de grands parcs publics, notamment l’EmeraldNecklace à Boston ou le Central Park à New York. Nécessaires au bien-être, ils avaient à l’époque pour mission de guérir la ville de l’industrialisation outrancière ; aujourd’hui, ils participent au sauvetage de la planète tant malmenée.

Pour Bas Smets, une chose est certaine : c’est le paysage qui construit l’urbanisme et pas l’architecte

Prix René Pechère

Le prix littéraire René Pechère qui rend hommage à ce célèbre architecte de jardins et homme de lettres, distingue tous les 2 ans, – en alternance avec le prix néerlandophone -, un ouvrage dédié à l’art des jardins et du paysage en fonction de différents critères d’originalité, rigueur scientifique, qualité d’écriture et d’illustration. Cette année, le jury auquel appartenait Bas Smets, récompense l’autrice Catherine Maumi, historienne du paysage notamment américain, pour sa magnifique présentation du travail et des préoccupations humanistes majeures de F.L. Olmsted. Frederick Law Olmsted architecte du paysage, Catherine Maumi, Editions de la Villette, 2021, ISBN 978-2-37556-035-8

Laboratoire d’expériences

Son bureau est un laboratoire scientifique éclectique. Composer la nature ne s’improvise pas. Les préliminaires sont essentiels à la réussite d’un projet. Etude de la botanique, géographie, météorologie, climatologie, pédologie, cartographie notamment des sous-sols. Pour le site de Tour & Taxis (2012-17) à Bruxelles, c’est en redessinant la carte de l’hydrologie à grande échelle, qu’il découvre les nombreux ruisseaux secondaires qui coulent vers la Senne et décide de convertir la voie ferrée installée jadis en un espace verdoyant, telle une vallée fluviale asséchée.

Les défis sont toujours multiples et différents d’un pays ou d’un continent à l’autre. Ils le sont aussi à l’intérieur d’un lieu aux ambiances et biotopes généralement différents. Le problème de l’eau, sa présence et son stockage, sont récurrents et incontournables pour lutter contre le réchauffement climatique et les gaz à effets de serre. Tout est bon pour lui donner un rôle majeur et l’adopter sous toutes ses formes. Etangs, canaux, bassins, et pourquoi pas les jets d’eau de la Renaissance italienne qui apportent mouvement, lumière, jeux et surtout convivialité. A la Fondation Luma à Arles (2009-2021), pour recueillir l’eau dérivée d’un canal proche, il a même fallu créer une nappe phréatique artificielle entre la dalle de béton d’une ancienne gare de triage et la terre importée. Dans ce chantier, le challenge était immense, à la fois technique et complexe : comment faire pousser un jardin vivant sur une dalle stérile semi-désertique, sans terre, sans eau. Le résultat est époustouflant : 80.000 végétaux et plus de 140 espèces différentes sont installés sur des buttes de terre fertile à l’allure de dunes ondulantes. Petit à petit, un nouveau microclimat méditerranéen s’est installé, ou plutôt une séquence de différents microclimats. Grâce à l’évaporation d’un étang et à la protection du site contre le mistral, les températures ressenties ont diminué de 20 degrés par rapport au site avant sa transformation. Aujourd’hui, la plus belle récompense pour Bas Smets est l’appropriation spontanée du parc par les familles et les promeneurs. Cela dit, il faut généralement compter environ 2 ans pour vérifier si la composition correspond bien à l’idée de départ. A la Fondation Luma, les dunes sont dessinées de manière aléatoire par les vents dominants alors qu’à Tours & Taxis, les saules, arbres pionniers à croissance rapide, plantés au départ pour préparer le sol, sont coupés au fur et à mesure. Ils laissent la place aux essences à croissance plus lente comme les chênes, charmes, ou tilleuls. Le paysage évolue sans cesse, sans être figé… il est en mouvement.

©Iwan Baan, jardin de la Fondation Luma avec à gauche la tour de l’architecte Frank Gehry

Un laboratoire induit aussi beaucoup d’interactions entre les différents acteurs d’un projet. Les interventions de spécialistes comme les pépiniéristes Filippi qui produisent des plantes adaptées aux jardins secs ou le scientifique de renommée internationale Stefano Mancuso, fervent défenseur de la théorie de l’intelligence des plantes, sont précieuses et essentielles. Parfois aussi, celles d’artistes, photographes ou cinéastes. Ce n’est pas un hasard si Bas Smets a conçu et façonné le paysage d’une nouvelle planète pour le plateau de tournage d’un film de Philippe Parreno (C.H.Z., 2011) et c’est naturellement qu’il a installé une sorte d’amphithéâtre éphémère, pour camoufler des travaux urbains devant l’entrée de Bozar, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (2017-19)

®Michiel De Cleene

Eloge de la simplicité

Bas Smets se contente souvent de simplement inverser le regard. Certains espaces se suffisent à eux-mêmes. La touche du paysagiste est alors obligatoirement minimaliste ou peu perceptible. Seules les intuitions comptent. Faire le plus avec le moins, tout en donnant de l’effet. Sur les hauteurs de Viens dans le Luberon, au domaine des Davids, dans un paysage harmonieux façonné de vignes, d’oliviers et d’arbres fruitiers, il « suffit » de mettre la nature en scène. Dans ce terroir rare et préservé, transformé en bio pour y produire des vins d’exception, il décide de tracer un chemin souple, arrondi voire ondulé, – une constante chez lui -, et quelques courbes de niveaux. Une promenade harmonieuse sur les traces d’un sanglier, à la recherche d’une source, d’un sous-bois, d’une colline. Longeant un vallon, elle suit une perspective vers un tumulus, un arbre remarquable, une borie du Midi ou une petite station météo ressemblant à une merveilleuse invention de Tinguely ! Ici, les nouvelles plantations ne sont pas nécessaires, ni les sculptures initialement prévues, le paysage naturel existant est « simplement » magnifié. Hormis un extraordinaire champ rose de cosmos de 3 ha au milieu duquel se cache un cratère recueillant l’eau de pluie … comme une météorite tombée dans les cosmos.

A Hong Kong, dans la prison de Tai Kwun (2021), il garde les arbres existants afin de leur réserver le premier rôle. Pour protéger leurs racines, il aménage des grands bacs circulaires remplis de terre et sur les bords surélevés, des bancs pour s’asseoir et deviser à l’ombre des frondaisons. Chez nous, pour le Mémorial aux victimes des attentats terroristes de Bruxelles (2016), dans une clairière de la forêt de Soignes, il pose un cercle de pierres et plante 32 bouleaux à l’écorce blanche qui captent la lumière en-dessous des grands hêtres.

©Michiel De Cleene, Dans une clairière naturelle, le lieu de commémoration des victimes des attentats

Faire le plus avec le moins, tout en donnant de l’effet.

Arbres, peinture et paysage

©Michiel De Cleene, A Waregem, sur un dénivelé de 4m, une promenade relie les différents bâtiments par de grands escaliers bordés d’arbres

La présence de l’arbre dans le travail de Bas Smets est récurrente. Source de vie, il offre une solution face au changement climatique et transforme le CO2 en matière organique. Mais pas seulement. Il est aussi pour lui, la colonne vertébrale de tout projet paysager. La verticale essentielle, le lien entre la terre et le ciel, la ligne de fuite qui joue avec la profondeur. Comme dans un tableau. Le paysagiste et le peintre ont la même lecture du paysage. D’ailleurs, ce concept de paysage est né dès le XVème siècle chez les primitifs flamands, créant des petites fenêtres ouvertes vers l’extérieur, dans l’idée d’apporter une touche de réel dans leurs œuvres vouées aux sujets de dévotion. Plus tard, il devenait le décor puis le sujet même de la toile ; c’était le début d’une grande tradition de peinture du paysage dont Breughel l’Ancien était le maître incontesté. Dans ce cadre-là, en vrai passionné, Bas Smets a réalisé une exposition pluridisciplinaire au Bozar, « Invention du paysage, une histoire continue » (2016), où il a exploré le thème, à travers 5 formes d’art différentes, la peinture, la cartographie, la photographie, le cinéma et l’architecture du paysage. Lors de l’exposition Landscape paintings by Bruegel (2019), à l’occasion du 450 -ème anniversaire de sa mort, il a voulu interpréter de manière sobre et subtile la vision du maître.

©Cedric Verhelst, Exposition ‘The Invention of Landscape’ , 2016, au Bozar de Bruxelles

Dans ses multiples projets, les arbres sont choisis avec minutie. Les Ginkgo biloba semblent éternels dans la cour de la maison de repos de Lommel (2006-12), les Gleditsia triacanthos au feuillage léger accompagnent les escaliers de la promenade piétonne de Waregem (2010-17), les aulnes densément plantés, forment une forêt urbaine dans le quartier bétonné de la Défense à Paris (2011-2020). Les bouleaux sont la force du Mémorial des victimes des attentats à Bruxelles (2016), les fougères arborescentes, la pièce maîtresse du sunken garden d’une cour minérale d’un immeuble à Londres (2010-11), alors qu’à Bahrein, les Delonix regia plantés dans la ville historique, proposent un nouveau réseau d’espaces publics (2012-19). Lorsque le côté technique ou pratique l’impose, le choix des espèces est déterminant : dans le projet Nieuw Zuid, derrière le nouveau palais de justice à Anvers (2013-2028), les Metasequoia glyptostroboides et autres Ginkgo biloba, véritables fossiles vivants, démontrent que leurs racines peuvent se développer sans crainte sous un dallage de briques inhospitalier.

©Michiel De Cleene, A la maison de repos de Lommel, les Ginkgo biloba, brillent dans 1 des 4 jardins formant un paysage continu

Bio

©Julian Salinas BW

Né en 1975, Bas Smets a suivi des études d’architecte à la KUL à Louvain, puis de paysagiste à Genève. En 2007, il fonde son bureau à Bruxelles après avoir collaboré pendant 6 ans chez l’architecte paysagiste Michel Desvigne à Paris. Lauréat de plusieurs prix, dont le prix biennal français des jeunes architectes paysagistes et celui de l’Urbanisme et de l’espace public de l’académie française d’architecture, il gagne plusieurs grands concours internationaux dont les prestigieux abords de Notre-Dame de Paris (2021-2027). Avec son équipe de 25 architectes et paysagistes, il a réalisé dans 12 pays différents, plus de 50 projets, privés ou publics, des plus petits aux plus grandioses, des centres villes aux plateaux de tournage de film. Professeur dans plusieurs écoles et universités, dont le GSD, The Graduate School of Design d’Harvard, il est également conférencier, commissaire d’expositions et auteur d’ouvrages dont Landscape stories (2015) ainsi que de nombreux articles spécialisés.

Infos pratiques

Bureau Bas Smets, Place Madou, 8 à 1210 Bruxelles, www.bassmets.be

Article d’Eden Magazine n°73, hiver 2022-23 : www.edenmagazine.be

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