Dans la Marne, au sein du Parc naturel régional de la Montagne de Reims, la forêt domaniale de Verzy ayant reçu le label de forêt d’exception, cache un site naturel unique. Classé depuis 1932, il présente la plus grande concentration au monde de faux, que l’on peut repérer aussi, en nombre moins important, dans l’est de l’Europe, notamment en Allemagne, Suède ou au Danemark.

Vous avez dit un fau ?
En ancien français, un fau est un hêtre, Fagus sylvatica, une espèce indigène de la famille des Fagacées au même titre que le chêne et le châtaignier. Arbre des climats tempérés, de plaine et basse montagne, il règne sur de vastes espaces forestiers et constitue chez nous une espèce dominante. Différentes appellations régionales ont fixé son souvenir dans le paysage. Notamment les noms de foy, faye, fayard, fays (Beaufays) ou faux (Faulx-les-Tombes) évoquant tous leur l’origine latine fagus.


Cela dit, le fau a une silhouette plutôt originale voire insolite. Dénommé communément hêtre tortillard, il exhibe un tronc, des branches et des rameaux tortueux, torsadés ou coudés, souvent entremêlés. Sa silhouette de petit parasol très dense ou d’igloo à feuilles, est assez différente de celle du hêtre commun qui file bien droit comme un pilier de grande cathédrale gothique. Le cas de notre forêt de Soignes. Pour les botanistes, une chose semble certaine et non discutable : le fau est un Fagus sylvatica var. tortuosa.
Particularités et anastomose
Sa forme tordue si singulière est la première caractéristique. Mais ce n’est pas tout. Sa croissance est non seulement très lente, – il ne dépasse pas 4 à 5 m de haut à l’âge adulte -, et d’une longévité exceptionnelle : certains ont 350 à 500 ans au compteur (en fonction du calcul du nombre de cernes), alors que le hêtre commun a une vie sur terre relativement courte de 100 à 150 ou 200 ans maximum. Par ailleurs, on remarque un curieux manque de fertilité avec un taux de germination des faines inférieur à 10%.



Vu son port à l’horizontale qui retombe en coupole vers le sol, il a une capacité certaine de marcottage, – par enracinement des branches terminales retombant à terre -, ou de drageonnage des racines qui font apparaître une branche un peu plus loin du tronc principal. D’où la difficulté de savoir s’il s’agit d’un même individu ou de plusieurs. Il a également une capacité d’anastomose : en d’autres mots, ses branches peuvent se souder entre elles ou avec celles du voisin. Une sorte de connexion naturelle par les racines, les branches ou les troncs ; une vraie fusion d’organes de 2 végétaux appartenant généralement à une même espèce. A Verzy, il est aussi exceptionnel de découvrir ce phénomène entre un fau et un chêne, une autre espèce appartenant à la même famille.
900 faux à Verzy
Pourquoi environ 900 faux à Verzy ? Leur origine dans cette contrée n’est pas certaine. On les dit vivaces depuis le VIème siècle et on conjugue leur histoire avec celle de l’abbaye de Saint-Basle qui s’y est installée dans les années 664, sur ordre de Saint Nivard, archevêque de Reims. Ils devaient en effet appartenir au domaine, être protégés, entretenus et multipliés par les moines, durant de nombreux siècles et jusqu’à la révolution. Il était en effet indispensable de leur octroyer de la lumière, leur petite taille ne pouvant pas concurrencer les autres espèces à croissance plus rapide. Mais pourquoi tant d’attentions à cette curiosité botanique ? Nul ne le sait ! Peut-être pour contrer une malédiction, une punition divine contre les mécréants du coin ? En Suède, un peuplement isolé de faux aurait également été protégé dans les mêmes circonstances par des moines.


Aujourd’hui, ils font toujours l’objet d’une grande attention. Un sentier a été aménagé pour éviter le piétinement nuisible aux racines. Il permet d’en observer une cinquantaine dont certains célèbres comme le fau parapluie, celui de la mariée, de la tête de bœuf ou les restes de la demoiselle, en mémoire de Jeanne d’Arc qui s’y serait assise lors du sacre de Charles VII à Reims. Une réserve de 30 ha clôturée depuis 1981, préserve une partie du peuplement et assure une gestion écoresponsable incluant la pratique du marcottage pour favoriser la reproduction et l’introduction d’autres essences pour éviter les maladies. Il est un site de référence pour l’étude de la génétique du hêtre.
Enigme botanique
Quelle est l’origine d’un fau ? Il n’y a pas de réel fondement scientifique. Des chercheurs planchent sur le sujet depuis longtemps. Il ressort de leurs analyses statistiques, prélèvements d’échantillons, séquençages de génomes et d’études comparatives des ADN des hêtres communs et tortillards sur différents sites, qu’ils ont un ancêtre commun et forment une même espèce. L’hypothèse d’une dégénérescence ou mutation génétique serait apparue jadis, spontanément ou induite par un pathogène, – à Verzy, il y a aussi d’autres tortillards, quelques chênes, Quercus petraea, et châtaigniers, Castanea sativa -, mais il n’y a pas de preuve de présence active d’un virus.


Tous les faux semblent être des clones, issus de marcottes ou drageons, sans différences génétiques entre les uns et les autres, mais il existerait plusieurs groupes de clones, ce qui expliquerait l’abondance de formes intermédiaires parfois même anarchiques : en ombrelle, rampante ou érigée. La mutation s’avère instable : en effet, certaines branches tordues reviennent au type et repartent bien droites, vers le ciel. Ce phénomène de réversion s’est accru ces dernières années.


Pour les botanistes, une transformation due aux contraintes du milieu, comme la nature du sol, le climat ou la présence de l’eau par exemple, ne parait pas possible. D’abord parce que tous les hêtres de Verzy ne sont pas tortillards mais aussi parce que ceux qui ont été transplantés ailleurs ou ceux qui ont été greffés sur du hêtre commun ont conservé leur aspect tourmenté. Cela dit, certains se demandent si le stress hydrique provoqué par les récentes sécheresses dues au réchauffement climatique, ne provoqueraient pas certaines malformations sur les jeunes plants. Affaire à suivre.