Montre-moi ta trogne

Vous savez qu’avoir une drôle de trogne n’est pas vraiment un compliment Mais saviez-vous qu’elle désigne aussi la silhouette d’un arbre étêté ?

Trogne, trognard, têtard, têteau, tous des noms qui évoquent un arbre dont on a enlevé la cime. Il existe plus d’une centaine de dénominations différentes. En France, tous les patois locaux ont leur version. Parfois chantante comme trouesse, ragosse ou chapoule. Chez nous, aléo, tchiap ou bollaert… Il est vrai que depuis le Moyen Age, cette tradition se perpétue. Dans le Robert de la langue française, on relève : un « arbre écimé et taillé de façon à favoriser le développement des repousses supérieures qu’on exploite à intervalles déterminés. » 

Certainement avez-vous déjà aperçu dans les campagnes ces arbres têtards tous vermoulus, noueux, tordus, biscornus, à la tronche bizarre, – une grosse tête d’où partent des rejets -, à la silhouette franchement étrange mais toutefois bien sympathique sans cesse croquée par nos peintres. Ils semblent sortir tout droit d’un conte où les héros s’appelleraient trolls ou elfes. Leurs cicatrices et bourrelets parfois impressionnants font partie intégrante de notre paysage. Pas que chez nous d’ailleurs. Des arbres têtards, il en existe dans le monde entier. Et même s’ils ont tendance à disparaître aujourd’hui suite aux nombreux remembrements et méthodes d’agriculture intensive, ils dressent toujours fièrement leur tête folle dans les nuages.

QUELS ARBRES ?

Pratiquement toutes les essences de feuillus peuvent s’y prêter. En fait, ce n’est pas le type d’arbre mais la taille qui fait la trogne. Si le saule, l’olivier du nord, est sans doute le plus célèbre, d’autres acceptent également d’être écimés. Avec plus ou moins de complaisance. Le peuplier par exemple mais aussi le charme, le chêne, le tilleul ou le frêne sans oublier l’aulne, l’érable champêtre, le tilleul et même le sureau.

A quoi servaient ces branches taillées ? Avant tout au bois de chauffage. Pour les branches les plus droites, à la fabrication de piquets ou tuteurs, de fascines pour délimiter les parcelles, de manches d’outils. Les brins souples des osiers à la vannerie ou pour palisser, tresser et fixer les berges des rivières. Certains feuillages comme celui du frêne étaient même utilisés comme fourrage pour les animaux.

Et aujourd’hui ? Oui, le bois de chauffage est toujours d’actualité, comme les tuteurs et autres piquets de jardin. La vannerie et le tressage des rameaux à l’ancienne reviennent à la mode tout comme le développement de la technique du BRF, – bois raméal fragmenté -, qui veut dire tout simplement, du broyat ou paillis de petites branches à déposer sur le sol pour améliorer sa structure, le protéger des rayons du soleil, retenir l’eau de pluie et contrôler les herbes dites mauvaises.

RÉSERVE DE BIODIVERSITÉ

Ce n’est pas tout. Utile pour les hommes, l’arbre têtard l’est également pour la faune et la flore sauvage. En effet, dans les cavités apparaissant à chaque recépage, vivent une foule d’insectes, oiseaux et mammifères. Chouette chevêche, mésange, pic, chauve-souris ou écureuil, tout un petit monde ravi d’y trouver refuge. Une flore intéressante vient également y élire domicile dans un terreau issu de la décomposition des feuilles et des fientes d’oiseaux. Fougères, lierres, herbe à Robert, sureaux ou églantiers…Ces vieux troncs constituent l’un des biotopes les plus riches de nos régions.

Vous l’avez bien compris, l’arbre têtard est écologique par définition. Il a un immense potentiel. Et renouvelable avec cela. Grâce uniquement à son tronc et ses racines, il sert à tout. Il est donc grand temps de le réhabiliter tant il est un gage d’avenir. Rendons-lui ses lettres de noblesse et  réintroduisons-le dans les jardins pour ses qualités esthétiques, économiques et écologiques.

COMMENT TAILLER ?

Etêter, écimer, ébrancher, recéper, émonder… à chacun son vocabulaire. Le principe général est de conserver le tronc de l’arbre. Dès qu’il a atteint un diamètre de 5 à 10 cm, on coupe à une hauteur choisie, – 1m50 ou 2m -, toutes les branches du sommet. Dès l’année suivant la plantation, en hiver, en dehors des périodes de gel, avec une scie à main ou une tronçonneuse. Quelques mois après, des rejets vigoureux pousseront autour des plaies de la coupe formant un bourrelet. Ils formeront la tête. Il sera nécessaire de les recouper régulièrement les années suivantes au-dessus du bourrelet cicatriciel, au même endroit, au ras du tronc. Après environ 3 ans et puis tous les 5 à 8 ans en moyenne en fonction du type d’arbre, de sa croissance et de son âge.

Plus il vieillit et plus la tête grossit. C’est chaque fois d’elle que partent les nouvelles branches après les tailles répétées. Le tronc se creuse au fil des ans. La partie centrale se dégrade et se vide alors que tout autour, miracle, la vie continue. Avec des tailles régulières et même si le tronc est creux, la production de nouveaux rameaux  se renouvellera pendant des siècles. En réalité, plus il est taillé, mieux l’arbre se porte. S’il n’est pas taillé, son tronc finira par se fendre sous le poids des branches et irrémédiablement passera de vie à trépas.

A LIRE

Les trognes, L’arbre paysan aux mille usages, Dominique Mansion, Éditions Ouest France 2010, ISBN 978-27373488456

A VISITER

Centre européen des trognes, Maison botanique, rue des Écoles à F 41270 Boursay (Perche en France), voir site : www.maisonbotanique.com

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