Début décembre, en dévorant des yeux la magnifique série télévisée « Histoires d’arbres » sur Arte, l’idée nous est venue de vous tirer le portrait de l’un d’entre eux, l’Araucaria araucana, arbre national du Chili, vénérable et vénéré mais malheureusement en danger d’extinction. Tout au long du film, on le découvre dans les dernières forêts du parc national de Villarrica dans la région volcanique et montagneuse d’Araucanie au Chili. On aperçoit aussi un peuple qui se bat pour lui et notamment pour la survie d’un valeureux spécimen trônant au beau milieu d’une autoroute bétonnée.
© Etienne Leclef
Désespoir des singes
Dinosaure végétal, cela fait 150 millions d’années qu’il survit et se bat contre les éléments. Inclassable, souvent mal-aimé, il est carrément hors du commun : « Un arbre d’un aspect très singulier et saisissant, dont aucun autre ne peut donner l’idée ». Cette définition est tirée de l’édition de 1875 du Bon jardinier, la célèbre encyclopédie de jardinage. Il est vrai qu’à cette époque, avec le cèdre bleu, il faisait fureur dans les jardinets à front de rue. Tous deux représentaient le raffinement d’un propriétaire avide d’exotisme qui aimait cultiver une plante distinguée venue des antipodes.
Introduit en Europe à la fin du XVIIIe par un chasseur de plantes écossais, ses feuilles triangulaires en écailles acérées, également réparties sur les jeunes troncs, lui ont valu le sobriquet de désespoir des singes ou monkey puzzle tant il paraissait impossible d’y grimper. « Voilà ce qui reste de plus proche du dragon au XXIe siècle. Hélas, les dragons ont disparu, heureusement, il nous reste les araucarias. » Alain Hervé, Fous de plantes, Editions Belin 2009
Drôle de conifère
L’Araucaria est un conifère originaire d’Amérique du sud, d’Australie et de certaines îles de l’océan pacifique, de la famille des Araucariacées qui comprend une quinzaine d’espèces vivant sur les vallons et les pentes des montagnes et volcans jusqu’à 1500m d’altitude. Réputé pour son gigantisme, de 50 à 90 m de haut, on le plante aujourd’hui dans les parcs et jardins des zones tempérées où il ne culmine qu’à 25 m maximum.

Araucaria araucana croît spontanément au Chili et en Argentine jusqu’à la Patagonie et la Terre de feu alors que l’élégant Araucaria heterophylla, aux branches bien étagées croit naturellement sur l’île de Norfolk au large de la Nouvelle-Zélande. A.bidwillii, surnommé « bunya-bunya », nous vient d’Australie et Araucaria columnaris, le pin colonnaire découvert en 1774 par le capitaine Cook, est endémique en Nouvelle-Calédonie. Le seul vraiment rustique chez nous, l’A. araucana, habitué aux régions de climat rude résiste à – 15°. Il affectionne les climats pluvieux et les sols frais ou humides, à l’abri des vents froids. Raison pour laquelle, on en repère beaucoup sur le littoral atlantique.
A. heterophylla A. columnaris
A la silhouette curieuse
On le reconnait à son allure pittoresque, majestueuse et sévère. Sa silhouette ne trompe pas. Un dôme bien dessiné avec une étrange couronne presque tabulaire et de longues branches régulièrement réparties et ramifiées. Francis Hallé, docteur en biologie et botanique note : « De cette simplicité, de cette évidence géométrique, naissent leur majesté et leur beauté. Aucun arbre « moderne » ne croît ainsi. » Atlas de botanique poétique, Edition Arthaud, 2016
En vieillissant, la cime s’aplatit et le tronc devient gris argenté. Un tronc très droit, fièrement érigé, rarement fourchu, utilisé in situ pour la fabrication des mâts de bateaux. Serrés les uns contre les autres pour résister aux tempêtes, ils rendent les forêts chiliennes plutôt impénétrables. L’écorce est particulièrement épaisse, ce qui n’est pas étonnant puisque l’arbre doit s’adapter aux éruptions volcaniques et se régénérer après les feux.
Les feuilles, – oui, oui, on parle bien de feuilles chez les conifères même si elles sont parfois réduites en écailles ou en aiguilles -, sont particulièrement étonnantes. Persistantes, épaisses, coriaces, vernissées, vert sombre, presque noires, en écailles raides pointues voire acérées, elles s’imbriquent en spirales les unes dans les autres. Elles persistent, vivantes, 10 à 15 ans sur l’arbre et puis, même mortes, y restent accrochées. Le surnom de « désespoir des singes » fait sourire les chiliens car dans leur pays… il n’y a pas de singe. Ceci dit, les écailles découragent pas mal d’autres prédateurs prêts à venir grignoter les fruits.
Vous avez dit dioïque ?
L’Araucaria est dioïque ; en d’autres mots, il existe une version mâle et une version femelle. Le mâle plutôt menu et maigrichon, pas plus de 15 m de haut, porte de gros chatons bruns, couverts pendant quelques jours de pollen jaune, alors que l’arbre femelle, plus imposant, s’élève à 30 m et porte des fruits ou cônes ressemblant à des noix de coco. Pour produire des graines fertiles, vous l’aurez compris, ils doivent pousser dans les parages l’un de l’autre. Les graines appelées pinones ou pignons comme par exemple chez le pin parasol mûrissent en 2,3 ans. Elles sont comestibles et ont permis aux indiens de survivre dans les montagnes pendant les guerres menées par les espagnols au XIXe. Aujourd’hui encore, à l’automne, les autochtones s’en vont traditionnellement à la récolte des pignons.
