L’hiver, sombre, maussade ou triste ? Sans doute le jardin est-il tranquille, presqu’au repos, les arbres et arbustes réduits à leur plus graphique expression. Mais, sous le jeu subtil de la lumière rasante, lorsque les ramures sont dénudées, les lignes, textures et autres petits détails se révèlent et prennent dans la grisaille toute leur importance. Dans le silence hivernal, tout semble figé, dépouillé voire délicatement sculpté. Chaque année, un spectacle tout en sobriété et nuance qui a le bon goût de se renouveler.
Cédric Pollet, paysagiste de formation récidive pour notre plus grand bonheur avec le troisième tome d’une série consacrée aux arbres. A leurs écorces en particulier. Mais pas seulement. Oui, il nous parle de l’hiver en France ou en Angleterre, mais aussi de jardiniers réputés comme Greta Sturdza, Harold Hillier ou les Bloom père et fils et moins connus mais tout aussi exceptionnels, Christian Peyron, Jean-Pierre Hennebelle ou Jean-Louis Dantec. Il décrit des lieux incontournables comme Wisley, Harlow Car et Rosemoor, 3 des 4 jardins expérimentaux de la RHS, – Royal Horticultural Society -, et des endroits de rêve comme le merveilleux Lady farm de Judy Pearce près de Bristol ou près de Rouen, le jardin de Bellevue de Martine Lemonnier et la Mare aux trembles de Thérèse et Pierre Gibert. Tous, des formidables coups de cœur.
Scène d’hiver avec Cornus sanguinea ‘Midwinter Fire’ aux Bressingham gardens © Cédric Pollet
C’est indéniable, l’Angleterre est pionnière dans l’histoire de l’art du jardin, notamment en matière de jardins d’hiver. Il y a ceux confinés dans les serres de l’époque victorienne, ceux dessinés par Gertrude Jekyll déjà intéressée à l’époque par les arbres et arbustes à écorces ornementales ou ceux réservés aux galantophiles de haut vol qui ont le chic de se recroqueviller, transis de froid, le genou à terre dans les borders tout illuminés de blanc à la recherche de quelques craquantes nouveautés du genre snowdrop. Depuis quelques temps, les jardins d’hiver ne sont plus confinés à l’arrière des woodland gardens mais, tels des tableaux à l’atmosphère bien particulière, font désormais partie intégrante du paysage.
L’écorce, l’élégance à fleur de peau
L’écorce en est l’élément essentiel. Dans la vie d’un végétal, elle tient un rôle primordial. Elle sert d’enveloppe à une plante ligneuse, sa peau en quelque sorte. Elle la protège des détériorations, du vent et des températures extrêmes. Elle subit toutes sortes d’agression, dérapage de tondeuse, liens trop serrés, attaques de lapins, campagnols, insectes ou champignons. Mise en valeur par une taille en transparence de l’arbre, elle a un impact graphique évident. Surtout lorsqu’il a perdu ses feuilles, qu’il est planté en cépées, – plusieurs troncs -, ou en petits bois bien serrés. A la pépinière Jean-Pierre Hennebelle, le bosquet d’écorces vaut à lui seul le déplacement. Séduits, beaucoup de visiteurs impressionnés ont d’ailleurs décidé à leur retour chez eux d’en planter un.
Cédric Pollet connait le sujet sur le bout des doigts. Il observe les différences de couleur des écorces en fonction du semis, de l’exposition, – une écorce au sud peut littéralement brûler en été -, du taux d’humidité, de l’âge. En effet, le tronc du Stewartia pseudocamellia par exemple, n’exhibe ses magnifiques écailles gris-orangé qu’en en vieillissant. Il décrit aussi la mue de certains arbres dont la teinte de l’écorce change lorsqu’elle desquame, celle du Platanus x acerifolia en été, ou la mutation hivernale de l’érable à peau de serpent tel Acer pensylvanicum ‘Erythrocladum’ passant du jaune à l’orange soutenu.
A l’Etang de Launay, © Cédric Pollet
Betula, indiscutable
Le bouleau est un incontournable des jardins d’hiver. D’une rusticité à toute épreuve, se contentant d’un sol ordinaire, il exhibe une silhouette légère, une croissance rapide, une écorce presqu’immaculée, une ramure délicatement dorée l’automne venu et des chatons discrets en hiver. Les asiatiques ont des écorces féériques. L’un des plus connus est le bouleau de l’Himalaya, B. utilis et sa célèbre variété plus blanche que blanche, l’étourdissant B. utilis var. Jacquemontii. D’autres écorces comme celle du japonais B. ermanii, du chinois B. albosinensis, ou celle de B. costata originaire de Mandchourie ont des nuances roses, orangées ou rouges des plus fascinantes. Parfois, le bouleau revêt une écorce brune voire presque noire, par exemple chez B. utilis ‘Park Wood’. A noter les petits de la bande qui ont plus facilement une place dans les jardins d’aujourd’hui , B. ermanii ou le joli B. ‘Mount Apoi’ dont le feuillage prend de belles couleurs d’automne.
Betula utilis subsp. occidentalis ‘Kyelang’ au jardin botanique du Bois Marquis © Cédric Pollet
Acer, Prunus
Si l’Acer griseum, l’érable cannelle à écorce de papier qui s’exfolie, reste une valeur sûre, les érables à peau de serpent ne sont pas en reste en hiver. Leur tronc est admirablement strié de blanc comme chez Acer ‘White Tigress’, de vert chez A. davidii ‘Rosalie’, de jaune chez A. rufinerve ‘Winter Gold’ ou d’orange voire rouge chez A. pensylvanicum ‘Erythrocladum’ ou A. x conspicum ‘Phoenix’. D’autres représentants de la famille, sans avoir nécessairement d’écorce striée, interpellent le jardinier tel le bien connu A. palmatum ‘Sango-kaku’ aux jeunes rameaux rose crevette.
Impossible ici de ne pas mentionner le cerisier du Tibet, Prunus serrula, à l’écorce brillante voire luisante brun acajou. Le cultivar ‘Jaro’ se permet même de combiner plusieurs couleurs comme le vert olive, l’orangé et l’acajou. Magique. A noter que Prunus maackii à la robe rouge cuivrée, orangée ou ambrée, admirable en début de croissance, perd souvent de sa superbe avec l’âge.
Au jardin du Bois Marquis, Acer x conspicuum ‘Phoenix’ © Cédric Pollet
Cornus et Salix
Les cornouillers à tiges décoratives ont leur place dans n’importe quel jardin. Ils ne passent jamais inaperçus. De véritables tisons ardents aux reflets fluo variant du vert au rubis qui enflamment les compositions. Le Cornus alba ‘Sibirica’ qui n’a de secret pour personne gagne tous les suffrages. A ses côtés, beaucoup de déclinaisons. C. sericea ‘Flaviramea’ aux branches jaune vert, C. sanguinea ‘Winter Beauty’, ‘Midwinter Fire’, C. alba ‘Bâton rouge’ ou ‘Westonbirt’ aux tiges rouge-orange… Il n’y a que l’embarras du choix pour un effet toujours garanti à condition que les branches soient recépées sévèrement au début du printemps.
Dans la même idée, les saules à bois coloré. Généralement jaunes, les tiges sont parfois recouvertes d’une pruine blanche comme chez Salix irrorata. S. alba var. vitellina ‘Britzensis’ montre des rameaux orange vif alors que ceux de S. viminalis ‘Rouge Ardennais’ sont plus foncés.
Cornus aux Hillier gardens © Cédric Pollet
Et compagnie…
Avec eux les Stewartia, l’Heptacodium miconioides à l’écorce beige saumonée, le curieux Zelkova sinica aux taches orange fluo, l’Ulmus parvifolia ou encore le Parrotia persica dont l’écorce s’exfolie en plaques. Mention spéciale au Tilia cordata ‘Winter Orange’ ou au Fraxinus excelsior ‘Jaspidea’ résolument doré.
A retenir aussi, un groupe moins sympathique au premier abord, les ronces décoratives. Leurs gracieuses tiges arquées, sont soit blanches – pruinées – chez Rubus cockburianus dont le cultivar ‘Golden Vale’ a un feuillage jaune d’or du printemps à l’automne, chez R. biflorus ou thibetanus, soit rougeâtres chez R. phoenicolasius qui offre en plus de délicieuses petites mûres.
Ceci dit, les végétaux à feuillage persistant n’ont pas leur pareil pour mettre les écorces en valeur et structurer l’espace. Non seulement la famille des bambous aux chaumes colorés parfois tachetés ou striés et celle des conifères dont Adrian Bloom fait l’éloge dans son célèbre jardin de Bressingham, Foggy Bottom, mais aussi les bruyères et arbustes classiques comme houx, mahonias, Leucothoe ou Euonymus fortunei mélangés aux graminées, Stipa tenuissima, Festuca et autres Carex.
A épingler, un petit conifère couvre-sol au port étalé, Microbiota decussata, bien rustique dont la robe hivernale est cuivrée, teintée de bronze ou le Bergenia ‘Bressingham Ruby’ qui réapparait au fil des pages du livre telle une rivière pourpre coulant au pied des arbres.
Last but not least, les délicates floraisons et fructifications spectaculaires. Elles ont également un rôle à jouer dans les tableaux d’hiver. Les fleurs d’Hamamelis, Mahonia, Sarcococca et autres Helleborus en compagnie des petits fruits rutilants des Malus, Sorbus, Callicarpa et autres rosiers.
A laisser entre les mains des amoureux des jardins.
Jardins d’hiver une saison réinventée, Cédric Pollet, Editions Ulmer 2016, ISBN 978-2-84138-782-1
Qui est Cédric Pollet ?
Paysagiste, Cédric Pollet est avant tout passionné de photographie et de botanique. Un jour, il décide de consacrer sa vie professionnelle aux arbres et à leurs écorces. Ainsi, trois ouvrages parus aux Editions Ulmer, illustrés de photos à couper le souffle leur sont entièrement dédiés. Un premier apparait en 2008, Ecorces, voyage dans l’intimité des arbres du monde, puis en 2011 un deuxième, Ecorces, galerie d’art à ciel ouvert. Cette année, Jardins d’hiver une saison réinventée, vient compléter cette trilogie. Il y met en lumière 20 fabuleux jardins, des centaines de mises en scène admirables et plus de 300 plantes séduisantes …de quoi inciter le lecteur à créer chez lui un éden, beau été comme hiver.
© Cédric Pollet