
Qui peut à l’achat d’un arbre imaginer le travail de fourmi déjà réalisé. Pour en savoir plus, nous avons rencontré Dominique Duhaut qui nous a expliqué les mystères de la naissance d’un végétal. Originaire de Mettet, c’est à Aalter qu’il a pris ses quartiers. Un grand hangar pour les machines, un bureau, des immenses frigos et congélateurs, quelques hectares de bonne terre sablo limoneuse bordés de haies et un espace réservé aux plantes mères. Dominique a tout appris sur le tas, à coups de bonnes et moins bonnes expériences. Sa bible ? Le livre, La Pépinière de Gerd Krüssmann (La Maison Rustique 2006, ISBN 9782082407090, malheureusement épuisé). Il y apprend les règles de l’art de la multiplication des végétaux ligneux.

La graine
Seuls les arbres et arbustes d’ornement l’intéressent et de préférence les espèces. Acer davidii, Cornus controversa, Euonymus alatus, Hamamelis virginiana, Prunus lusitanica pour n’en citer que quelques-uns. Exceptionnellement, quelques variétés qui se reproduisent fidèlement de semis tel l’Acer palmatum atropurpureum. Il assure le travail de multiplication du début jusqu’à la fin.
Euonymus alatus
Carpinus japonica Cercidiphyllum japonicum
L’aventure commence avec les graines. « Wild collected » ? Pourquoi pas. Il y a très peu de risque d’hybridation dans la nature. Le plus souvent, Dominique les récolte sous ses « pieds mères » comme pour le Styrax japonica. Il les achète aussi aux USA. Des collecteurs spécialistes ont des graines fiables à plus de 60%. Les Nyssa par exemple y sont secoués comme des pruniers. Les graines tombées sont recueillies par kilo sur une toile. Tout comme celles de l’Acer saccharum qui forme là-bas de véritables forêts. Outre-Atlantique, les saisons sont bien marquées. Le mûrissement des graines et des plantes y est plus facile. Les tiges se lignifient plus vite jusqu’au bourgeon terminal. En automne, le froid et le sec s’installent progressivement. Pas comme chez nous où règne un climat mi-figue, mi-raisin. Pour les plantes non américaines, il se fournit en Hongrie et en Italie. En Toscane, la moisson est belle car la saison est plus longue : environ 6 semaines de croissance en plus, de l’eau, du limon et un automne sec garantis. Parfois il cherche des graines au Japon mais là, les formalités compliquent la vie.
Magnolia sieboldii Magnolia stellata Styrax japonica
Dominique doit être certain de l’origine de la semence pour éviter une quelconque hybridation. Tout est affaire d’expérience. Et lorsqu’on sait qu’il sème environ 40.000 Magnolia ou 200.000 Cornus, il est préférable de ne pas se tromper ! Quelques certitudes se dégagent. Un Acer palmatum ne s’hybride pas avec un Acer griseum. Ils fleurissent à des époques différentes et ne sont donc pas pollinisés en même temps. Ils sont de plus trop éloignés dans la classification. Le Ginkgo biloba quant à lui, ne s’hybride avec personne. Dominique récolte les graines de l’Acer macrophyllum à l’arboretum de Tervueren malgré le fait qu’une hybridation puisse être possible avec l’Acer diabolicum. Mais il sait qu’il ne court aucun risque car ce dernier n’est pas planté dans les collections.
Acer griseum Acer griseum
Ginkgo biloba Liriodendron tulipefera
Depuis bien longtemps, il s’est constitué une collection de graines. Elles sont ses références. Quand il y a un doute sur l’origine d’une semence, la confrontation est utile.
Les clients
Ses clients sont des collègues pépiniéristes venus chercher chez lui leur matériel de départ. Soit des petits plants bien préparés, comme le Mespilus germanica, qui se développera tranquillement dans des conteneurs, soit des plants utilisés comme porte-greffes. L’Acer palmatum, le Magnolia kobus ou le Cornus kousa serviront de porte-greffes à un cultivar plus prisé par l’amateur. Pour ces derniers, la technique du semis est spécifique. Les distances sont rapprochées. Le porte-greffe doit en effet avoir de l’espace pour grossir mais ne doit pas développer de branches latérales. Parfois on lui commande aussi des plantes difficiles à bouturer ou à greffer. L’Hydrangea quercifolia par exemple ou la Vitis coignetiae aux boutures herbacées si fragiles.
Mespilus germanica Mespilus germanica
La méthode
Les graines sont récoltées de septembre à novembre. Elles ne germent pas directement. Heureusement. Elles sont en réalité entourées d’une enveloppe protectrice – le tégument – qui empêche la germination. La nature fait bien les choses car le plant issu d’une germination immédiate n’aurait pas assez de temps pour se consolider avant l’hiver.
Styrax japonica Corylopsis spicata
Après, les graines doivent être nettoyées minutieusement. Un travail manuel nécessitant beaucoup de patience. Il faut les rouler entre les mains, les remuer régulièrement pour favoriser le séchage, les tamiser plusieurs fois. Il est impératif d’éliminer les ailes bien accrochées et les dépulper avant une éventuelle fermentation. Equipé d’un pantalon de pêcheur à la crevette, il arrive à Dominique de les laver dans la rivière toute proche pour enlever les dernières impuretés.
Cornus kousa Cornus kousa
Troisième étape : la vernalisation de la graine, sorte d’hibernation nécessaire à la mise en route de la germination. Il s’agit d’un processus physiologique qui intervient grâce au concours du froid et de l’humidité. Comme en hiver. Soit de manière naturelle lors d’un semis d’automne effectué sur place directement. Comme pour le Cercis siliquastrum. Mais le professionnel choisira une solution plus pratique : la mise des graines au frigo ou chambre froide à + 2°C pendant environ 2 mois. Emballées dans un sac en plastique, elles seront artificiellement soumises au froid et à l’humidité comme dans la nature. C’est ce qu’on appelle dans le jargon, la stratification humide. Les graines sont superposées en couches alternées avec du sable. Ainsi, leur faculté germinative est conservée tout en les protégeant du gel et en évitant leur dessèchement complet. La durée de stratification est variable d’une espèce à l’autre. Après cette hibernation, la graine est prête à germer. On parle alors de levée de la dormance. Les graines à peau fine laissent apparaître un germe.
Autre chose est la mise au congélateur à – 2°C. Elle n’a pour seul effet que de conserver la graine. Sans plus. Elle ne lèvera pas la dormance. Pour les érables, il est indispensable de congeler les graines déjà stratifiées à froid, car pour un oui ou pour un non elles germent. Cela permet aussi à Dominique d’étaler les semis sur plusieurs périodes de l’année.
En 2009, la récolte des graines est fructueuse. La chaleur de l’été 2008 avait activé la formation des boutons à fleur et l’hiver rude mais sans gel tardif n’avait pas abîmé les boutons de Magnolia, Cercis et Lindera notamment. Les floraisons printanières de 2009 furent donc abondantes. Même le Sorbus folgneri, amateur de chaleur, a donné beaucoup de graines.
Tout n’est pas toujours aussi simple dans le petit monde du semis. Il faut savoir que certains arbres ne produisent pas de graines chaque année. Il y a parfois alternance de 2,3 à 5 ans. D’où l’intérêt de congeler pour planifier les dates de semis.
Une quatrième étape se révèle indispensable pour les graines au tégument très dur et donc très imperméable à l’eau et à l’air. La germination est souvent bloquée par cette enveloppe. Elle devra être « usée » par des conditions climatiques idéales, chaleur et humidité, pour que le processus se mette en route. C’est le cas délicat des semences de Cornus officinalis et controversa. Pour celles-là, le processus de dormance est plus long. Dès le printemps suivant, Dominique les dépose sous tunnel à température constante dans un mélange de tourbe et de sable. C’est le tour de la stratification dite chaude. Viendra ensuite une stratification froide au frigo jusqu’au semis. La germination aura lieu au printemps suivant, soit 1 an et demi après la récolte des graines. Le plant sera vendu au plus tôt à l’automne.
Une des semences les plus dures est celle du houx. Son développement n’est pas entièrement terminé lorsqu’elle tombe sur le sol. Il ne s’agit en fait que d’un embryon qui parachèvera sa formation pendant la stratification. Il lui en faudra deux sur un cycle de deux ans avant d’être enfin semée. Quelle persévérance ! Pour Paeonia lutea, il existe une nuance. Après la récolte et une stratification à froid, on sème au printemps suivant. Rien de plus ne se passe… à l’œil nu. En réalité, la première année, la plante fait ses racines (10 à 15 cm) et l’année suivante seulement apparait la tige. Petit à petit l’oiseau fait son nid.

La transplantation
Pour être vendue, la plante doit être préparée c.-à-d. prête à être transplantée. D’une plante à l’autre, la manière diffère. Le Cercidiphyllum par exemple a un enracinement naturel parfait dit « fasciculé » avec de nombreuses racines fines alors qu’un Cornus kousa a une racine profonde et pivotante. Pour ce dernier, Dominique « cultive les racines ». Il doit, durant le premier printemps, « dépivoter », soit couper le pivot. Il force alors les radicelles à se développer tout au bord du pied de la plante. Le Cornus fera des nouvelles racines au bout du pivot alors que le Nyssa refera encore un pivot unique mais moins profond. Ces pensionnaires iront en convalescence sous tunnel pendant deux semaines. Le temps que racines et radicelles se reforment. Pour réaliser une transplantation et une maturation plus facile des jeunes plants, il est parfois obligé de recommencer l’opération à l’automne suivant.
Un travail de précision étonnant qui exige patience, rigueur et persévérance.
Infos pratiques
Dominique Duhaut, Jezuietengoed 8b, 9880 Aalter