Le jardinier « bien rangé » juge souvent le rouge inutilisable car trop criard, trop tapageur. Idée classique d’un adepte des tons pastel. Beaucoup parmi nous ont succombé à cette mode. Sans doute parce qu’il est plus facile de traiter un camaïeu de rose ou de bleu que d’utiliser l’impétueux rouge sang, orangé, ou pourpré. Heureusement les modes changent. Les jardiniers aussi. Sortir des sentiers battus, rehausser avec un brin d’audace les teintes douces par des accents plus vifs… et le tour est joué.
Malgré son côté parfois un rien trop marqué ou pesant, le rouge c’est certain, réchauffe, apporte un peu de peps, de dynamique aux compositions, voire même une note de gaieté. Inutile de se lancer dans l’apprentissage fastidieux des multiples théories des couleurs, aujourd’hui, le rouge devient tendance, « jardinièrement correct » ! Et surtout à l’automne, quand les feuillages s’embrasent.
Christopher Lloyd, le précurseur
On ne présente plus Christopher Lloyd, propriétaire, jardinier et expert de ce magnifique jardin de Great Dixter, une des perles d’Angleterre. Réputé pour être un des premiers à opter pour les couleurs vives, il a osé les marier aux autres sans nécessairement les confiner dans une chambre de verdure particulière tel le jardin rouge de Hidcote Manor du non moins célèbre Lawrence Johnston. La nature disait-il, mélange allègrement les teintes sans jamais choquer. Sans faute de goût, Il a donc décidé de « réveiller » les différentes mixed-borders. L’occasion était belle pour lui de remettre à l’honneur, dahlias, glaïeuls, Crocosmia et autres Kniphofia. Depuis lors, il a fait école dans le monde entier et nombreux sont les amateurs qui se lancent encore sans crainte dans la création de « hot gardens ».

Rouge et rouge
Dans la vie, le rouge est la couleur du danger, – les feux de circulation -, de la passion et de l’amour, des douceurs et des gâteries. Les émotions générées par les couleurs ne sont pas toujours les mêmes. Chacun a son interprétation. C’est pareil dans la nature. On n’y trouve d’ailleurs peu de rouge tel le coquelicot. Mais plutôt toute une gamme de nuances allant de l’écarlate au cramoisi en passant par le magenta, corail, grenat, vermillon ou pourpre en fonction du fait qu’il vire plutôt vers l’orange ou vers le bleu. En compagnie du blanc, il évolue vers le rose, plus doux et sans doute plus facile à utiliser.

Au jardin, – qui est véritablement un tableau en trois dimensions -, les couleurs s’y perçoivent en volume. Soumises aux jeux de l’ombre et de la lumière, elles varient et changent en fonction des heures de la journée et des mois de l’année. Également selon le type de sol. Cela dit, le rouge est une couleur excitante que l’œil place systématiquement au premier plan. En réalité, il annule tout effet de profondeur. Les tons chauds semblent en effet plus proches de nous alors que bleus et violets, plus rafraîchissants, éloignent. Avec les couleurs, comme le précise Robert Mallet, on peut aussi jouer sur les distances et les effets d’optique : « Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’utilisation judicieuse des couleurs peut transformer totalement la perception de l’espace… En plaçant une couleur chaude devant une couleur froide, il est possible de réduire … l’impression de distance… » L’Optique des jardins, Editions Ulmer 2004

Cela dit, avec des couleurs bariolées, gare aux cacophonies et aux coups de soleil. Tous, nous avons en mémoire quelques ronds-points urbains bourrés de masses hurlantes de tulipes, bégonias ou Salvia rutilants qui abîment la rétine. Qui est vraiment cool, relax, devant une plate-bande rouge ? Sans oublier que trop de couleurs tue la couleur, surtout dans les petits jardins. Sous nos cieux où la lumière dominante est douce, le dosage doit donc être délicat et nuancé voire modéré pour conserver une atmosphère paisible. Tout est décidément une question d’équilibre.
Dahlia Paeonia lactiflora ‘Mme Gaudichau’ Tulipes
Rosa moyesi ‘Geranium’ Achillea ‘Summer Wine’ Rosa ‘Chevy Chase’
Feuillages, écorces et fruits
Les floraisons éphémères, c’est bien ; les feuillages, – présents plus longtemps -, c’est mieux. Certains présentent des pousses rouges tels quelques érables, Photinia, Nandina ou le Pieris ‘Forest Flame’ qui porte bien son nom au printemps. D’autres étincellent, tels ceux des Heuchera, des Berberis dont B. x media ‘Red Jewel’ ou des graminées Imperata cylindrica ‘Red Baron’. Beaucoup changent de couleurs à l’automne, avant la chute des feuilles, lorsque les températures baissent et les jours diminuent. Même si notre climat n’est pas le mieux adapté à l’embrasement automnal comme au Canada, dans l’est des Etats-Unis, en Chine et au Japon et si les couleurs chaudes sont souvent plus marquées dans les sols acides, on peut tout de même obtenir des scènes toniques en choisissant des arbres et arbustes venus de ces contrées lointaines. La vigne vierge, les Parrotia, Liquidambar, Nyssa, quelques chênes sans oublier les érables japonais ne déçoivent jamais.
Pieris Photinia fraseri ‘Red Robin’
Azalea Euonymus fortunei ‘Dart’s Blanket’ Nyssa sylvatica
Les écorces elles aussi peuvent se parer de rouge. Éclatantes chez le cornouiller, Cornus alba, ou chez certains érables dont l’Acer palmatum ‘Sango Kaku’ ou chez les bouleaux et Prunus d’ornement au tronc pourpre ou acajou.
Prunus serrula ‘Branklyn’ Cornus alba ‘Sibirica’
Quant aux fruits, outre les cynorrhodons des rosiers très présents à l’automne, les baies des sorbiers, des petits pommiers d’ornement, houx, Cotoneaster, Viburnum, Euonymus, fusains et autre Berberis ne sont pas en reste.
Malus ‘Crittenden’ Cotoneaster franchettii