Il y a plus d’un siècle, quelques rares aficionados appréciaient cette plante vivace dénommée Epimedium, du grec epi, « sur » et media, le pays des Méditerranéens. Ils ne connaissent alors pratiquement qu’E. alpinum originaire des Balkans. En 1830, Philipp Franz von Siebold introduit en Europe, au jardin botanique de Gand, deux espèces en provenance du Japon, E. grandiflorum aux fleurs un peu plus grandes et E. x yougianum. Petit à petit des hybrides voient le jour, dont E. x rubrum et E. x versicolor devenus des grands classiques. Mais c’est en Chine que l’on compte le plus d’espèces. Les floraisons y sont plus spectaculaires et les feuillages persistants. Il faudra attendre la fin de la révolution culturelle et l’autorisation d’expéditions botaniques pour pouvoir les recenser et les présenter au grand jour. Le japonais Mikinori Ogisu et l’anglais Roy Lancaster à la fois botanistes et chasseurs de plantes s’en donnent à cœur joie. Roy Lancaster déniche notamment le fameux E. stellulatum ‘Wudang Star’. Martyn Rix, James Compton et Darrell Probst s’enthousiasment eux aussi. Les nouvelles plantes sont multipliées et croisées par Robin et Susan White de Blackthorn Nursery dans le Hampshire, Elizabeth Strangman de Washfield Nursery, Ernst Pagels en Allemagne, Harold Epstein aux USA et plus proches de nous, Koen van Poucke de la Pépinière éponyme, Daniëlle Monbaliu de la Pépinière Epimedium et Thierry Delabroye. Collectionneurs convaincus, ils participent tous ensemble à leur renommée. W. Stearn, botaniste à la réputation internationale, les décrit méticuleusement et leur dédie une monographie incontournable. De 29 Epimedium répertoriés dans le Plant Finder avant les années 80, on en dénombre plus de 150 aujourd’hui, en ce compris les espèces et cultivars.
E. rubrum
Berbéridacée
Aussi bizarre que cela puisse paraître, l’Epimedium appartient à la famille des Berbéridacées autant que les arbustes Berberis ou Mahonia et les vivaces tels que Vancouveria, Podophyllum et Jeffersonia. Le genre Epimedium est composé de 30 à 40 espèces de vivaces rhizomateuses, à feuillage coriace caduque ou persistant. Sa hauteur varie de 30 à 60 cm jusqu’à parfois près d’1m. Originaire des régions tempérées du nord de l’hémisphère, il pousse en Europe dans les forêts claires ou à l’ombre de broussailles rocheuses, tels E. alpinum, pinnatum ou pubigerum. Excellent couvre-sol, d’une solidité à toute épreuve, il est à l’aise dans les sols secs. En revanche, les espèces asiatiques réclament des sols riches, couverts d’humus. Comme dans les sous-bois humides. Elles demandent à la fois plus d’ombre et plus d’humidité. Les unes croissent au Japon et apprécient une terre à tendance légèrement acide : E. grandiflorum ou x yougianum. Les autres, plus nombreuses, viennent de Chine et plus précisément de la province du Sichuan où elles vivent sur les versants calcaires jusqu’à 1500 m d’altitude : E. franchetii, stellulatum, wushanense, acuminatum.
E. grandiflorum
Feuillage
Les feuilles cordiformes sont attrayantes. Ovales, rondes ou lancéolées, elles sont plus ou moins coriaces, épineuses ou dentées sur les bords. Les nouvelles variétés présentent généralement des feuilles plus allongées. Le feuillage change de couleurs et d’aspect tout au long de l’année. Au printemps, il arbore des teintes variées. Vert, ocre, cuivre, mauve ou pourpre. Parfois bordé, veiné, marbré ou même éclaboussé de rouge. Il vire ensuite au vert en été avant, pour les espèces caduques, de reprendre les teintes du débourrage. Avec parfois une pointe de doré. Les Epimedium à feuillage persistant présentent un feuillage mat au printemps devenant luisant, voire métallique en hiver qui traverse les saisons en conservant un aspect toujours séduisant. Par temps très froid, il colore même en bronze ou cramoisi. A la fin de l’hiver, il sèche et laisse place à la floraison. Dès que celle-ci se termine, le nouveau feuillage se déploie. Et le cycle recommence.
Une question se pose en début d’année : tailler ou ne pas tailler les feuilles anciennes ? S’ensuit un débat et différentes théories. Les uns dont Danielle Monbaliu estiment qu’on peut aisément raser les feuilles en février-mars, avant l’apparition des fleurs pour mieux les mettre en valeur. Les autres dont Thierry Delabroye ne le font pas car ils estiment que ces feuilles protègent la future floraison des derniers gels. De toute manière, les plus robustes comme les très rhizomateux E. x perralchicum ‘Fröhnleiten’ ou x rubrum ne craignent rien. Ils peuvent tout simplement être coupés à l’aide d’un taille haie électrique. Par ailleurs, les jeunes feuilles et fleurs des nouveaux cultivars issus des espèces chinoises apparaissent bien au-dessus du vieux feuillage. Pour Koen Van Poucke, il est toujours temps de pincer une à une les vilaines feuilles abîmées par le gel ou la neige. Attention aux E. perralderianum qui ne supportent pas une taille hâtive.
E. ‘Amanogawa’ E. ‘Akame’ E. franchetii ‘Brimstone Butterfly’ E. grandiflorum f. flavescens E. ‘Pierre’s Purple’ E. pubigerum
Fleur
Dès le début du printemps, de mars à fin juin, apparaissent des petites fleurs discrètes. En forme de racèmes ou panicules plus ou moins pendants, elles sont suspendues au bout de tiges ramifiées aussi fines que solides. Revêtues de jaune, blanc, rose ou pourpre, aux nuances délicates, elles portent souvent un éperon plus ou moins long. En d’autres mots, un appendice tubuleux dont l’épiderme interne sécrète un nectar très attractif. Petit éperon chez E. x warleyense, ou assez long et fin chez E. grandiflorum ce qui lui donne un look d’ancolie ou d’araignée. Dans le langage vernaculaire de plusieurs contrées, on l’appelle la plante des elfes. On se prend alors à rêver dans la mi ombre à une meute de petits elfes dansant joyeusement. Quelques Epimedium présentent des fleurs un peu plus grandes : E. latisepalum, wushanense, x omeiense. Certains hybrides tels ceux de grandiflorum arborent des fleurs bicolores. Aussi chez E. x rubrum, blanc cassé et rouge cramoisi. Celles d’E. fargesii font penser aux fleurs en forme de cloches des Dodecatheon. D’autres enfin ont une remontée florale en septembre tels les wushanense, les rhizomatosum et plusieurs nouveaux hybrides.
E. grandiflorum ‘La Rocaille’ E. fargesii ‘Pink Constellation’ E. ‘Kaguyahime’ E. warleyense E. ‘Akane’ E. ‘Okuda’s White’ E. x versicolor ‘Cherry Tart’ E. brachyrrhizum E. x versicolor ‘Discolor’
Culture
A l’abri sous le couvert des arbres et arbustes, ils sont la plupart du temps bien rustiques. Gare aux gelées printanières qui peuvent abîmer fleurs et jeunes feuilles. Surtout celles des espèces et variétés originaires de Chine. Dans les endroits peu propices, il est utile d’en choisir à la floraison plus tardive. Ils ne risqueront plus rien. Attention aussi aux vents desséchants. Ceci dit, les Epimedium sont extrêmement accommodants pourvu qu’ils puissent se blottir à l’ombre ou la mi ombre. C’est là leur unique exigence. Pas de soleil brûlant.
Les européens tolèrent les sols secs, alors que les asiatiques demandent un sol fertile, riche en humus, frais mais bien drainé. C’est le plus important pour eux. Ces derniers prospèrent généralement en sol neutre à l’exception des japonais qui préfèrent un sol acide et refusent de pousser dans les sols alcalins. Quant aux chinois, ils acceptent les sols calcaires. D’où l’importance de connaître leur origine et de s’adresser à un spécialiste.
Un tantinet poussifs au début, ils apprécient les deux premières années un peu d’engrais ou de compost. Puis ils se débrouillent tout seul. Franchement exempt de maladies, ils n’attirent pas vraiment les limaces, vu leur feuillage coriace. Une aubaine. Les rhizomes sont plantés tous les 50 cm. Attention à leur capacité à s’étendre. Les uns, solitaires et plus compacts ne se développent pas dans tous les sens, les autres sont carrément traçants. Ils sont divisés tous les 3 à 5 ans au début du printemps, juste après la floraison ou à la fin de l’été. Les curieux peuvent tenter le semis dans le courant de l’été.
Koen Van Poucke
Trois pépiniéristes font autorité dans le domaine et se passionnent pour cette plante. Ils se connaissent, se respectent et cultivent chacun leurs préférés. Koen Van Poucke à Sint Niklaas près d’Anvers est un des premiers à s’être intéressé au genre. Il en a la plus longue expérience. Depuis 25 ans, il a réuni, – en commençant par les botaniques -, une des plus grandes collections d’Europe avec plus de 150 spécimens. Il les multiplie et en propose aujourd’hui 75 à la vente. Il a eu la chance de rencontrer l’éminent spécialiste japonais Mikinori Ogisu à plusieurs reprises. Il se souvient que c’est Jelena de Belder qui a encouragé Ogisu à chercher de nouvelles espèces en Chine. Originaire des Balkans, elle connaissait parfaitement E. alpinum, un des premiers européens.
Pour Koen, choisir est difficile. Bien sûr, il ne cache pas une petite préférence pour E. stellulatum ‘Yukiko’ un présent de Mikinori Ogisu. Sa qualité première est une très longue et abondante floraison blanche au printemps, – 40 à 60 fleurettes par branche –, avec une remontée à l’automne en octobre. A chaque fête des plantes, il présente un sujet en fleurs. Les E. wushanense figurent aussi parmi ses favoris avec leurs feuilles oblongues assez variables et les fleurs pointant à 80 cm de haut. E.wushanense nova a selon lui un des meilleurs feuillages, attrayant jusqu’en été. E. macrocephalum est le seul russe de la collection. Très rare, il arbore de très grandes fleurs dans les tonalités bleu rose. Sans oublier les grandiflorum pour leurs fleurs et leur feuillage changeant ainsi que les classiques x rubrum, excellents couvre-sol.
E. stellatum ‘Yukiko’
Daniëlle Monbaliu
Danielle Monbaliu a eu l’occasion d’effectuer un stage chez Ernst Pagels, célèbre obtenteur allemand de plantes vivaces. C’est là qu’elle découvre à la fois les Epimedium et les techniques de multiplication. Pagels est le père de différentes variétés dont, grandiflorum ‘Lilafee’, x perralchicum ‘ Lichtenberg’, ‘Nachfolger’ ou encore x warleyense ‘Orangekönigin’. Elle revient en Belgique à Oostkamp près de Bruges pour y créer en 1999 sa propre pépinière qu’elle appelle tout naturellement Epimedium. Sa pépinière est petite, elle est donc sévère dans ses choix. Ses pensionnaires doivent être de « bonnes plantes » et ne pas être sensibles aux maladies. Une raison supplémentaire de collectionner les Epimedium.
Daniëlle en rassemble environ 130. Ceux destinés à la vente sont longuement observés. Elle remarque par exemple que lorsque le sol est trop humide, il est utile de jeter un peu de tourbe pour pomper l’eau. Incorporer de lave pour drainer le sol est une autre solution. Elle les multiplie et ce n’est pas toujours facile. Ainsi Epimedium franchetii ‘Brimstone Butterfly’ se divise sans difficulté tandis que Epimedium elongatum ‘Enchantress’ est très capricieux. Même s’ils n’ont pas de feuillage persistant, les E. grandiflorum ne la laissent pas indifférente, dont E. g. ‘La Rocaille’, aux fleurs crème et aux feuilles allongées. Ses préférences vont aussi aux nouvelles obtentions chinoises, solitaires, moins traçantes à la longue floraison bien au dessus du feuillage. E. fargesii ‘Pink Constellation’ à la feuille allongée et E. stellulatum ‘Wudang Star’, une excellente découverte de Roy Lancaster.
E. stellulatum ‘Wudang Star’
Thierry Delabroye
Thierry Delabroye est pépiniériste à Hantay dans le nord de la France. Animé par une insatiable curiosité, il se penche sur les Epimedium après avoir exploré l’univers des hellébores et des heuchères. Son premier coup de foudre fut pour un E. x omeiense. Ce qui le captive le plus, c’est le travail de sélection et d’hybridation. Créer de nouvelles variétés dont les fleurs apparaissent au-dessus du feuillage et restent bien dressées. Pas seulement sur le pourtour de la plante mais aussi en son centre. Il préfère les feuillages persistants aux mille nuances qui se parent de belles couleurs d’automne. Il porte dès lors peu d’intérêt aux E. grandiflorum dont le feuillage est caduc et aux latisepalum, des botaniques qui ne fleurissent que trop parcimonieusement à son goût et uniquement sur le pourtour. Il reconnaît qu’il n’y a pas mieux qu’Epimedium x perralchicum ‘Fröhnleiten’à rhizomes traçants au pied d’un résineux ou à l’ombre sèche.
Il travaille sur 8 espèces différentes principalement chinoises qu’il croise. Après deux, trois ans d’observation, il en retient une dizaine et les nomme. Des noms d’elfe de préférence. L’hybridation est difficile et lente. Un vrai travail de précision qui exige de bons yeux. Maintenant, après 10 ans, une trentaine de variétés sont retenues et environ 10 sont nommées. Quelques sélections le ravissent particulièrement. E. ‘Pink Champagne’, ‘Buckland Spider’ qui drageonne bien et ‘Amber Queen’ qui forme notamment un merveilleux tapis au pied d’un Cornus ‘Winter Flame’ au Vasterival, le jardin de la Princesse Sturdza. Mais bien évidemment, ses propres hybrides sont ses préférés : ‘Perrine’s White’, ‘Domaine de Saint-Jean de Beauregard’ ou ‘Eldarion’ pour ne citer qu’eux.
E. ‘Perrine’s White’
Persistant ou caduc
La plupart des Epimedium ont un feuillage persistant. Mais à tout principe existe des exceptions principalement originaires d’Europe et du Japon.
Epimedium à feuillage caduc : E. alpinum, davidii, x youngianum et grandiflorum ainsi que leurs hybrides.
Epimedium à feuillage persistant vert en hiver : acuminatum, fargesii, franchetii ‘Brimstone Butterfly’, wushanense, x perralchicum, perralderianum et x omeiense.
Epimedium à feuillage persistant roux en hiver : x rubrum (semi persistant), x warleyense ‘Orangekönigin’, x versicolor ‘Sulphureum’.
Les compagnons
Les Epimedium accompagnent les bulbes printaniers comme le narcisse mais aussi avec les graminées, dicentras, hostas, hellébores, Heuchera, Bergenia, Erythronium et Trillium et les autres plantes d’ombre ou de sous-bois comme les fougères. Le mariage est particulièrement réussi avec des plantes dont la forme du feuillage contraste. Celui des luzules par exemple ou des Anthriscus sylvestris ‘Ravenswing’. Plus tard dans la saison, ils se marieront avec les anémones du Japon, Aconit, Tricyrtis et autres Uvularia. Les couvre-sol peuvent être combinés avec des Geranium macrorrhizum ou nodosum. Ou des Tiarella et leurs cousins les Tellima. Pour ajouter un peu de hauteur, pensez aux Polygonatum, Arisaema et Campanula trachelium ou latifolia.
Les meilleurs couvre-sol
Les meilleurs couvre-sol ont une croissance latérale certaine sans devenir envahissants : E. x perralchicum, perralderianum, x rubrum, pinnatum, x versicolor et x warleyense.
Trois pépiniéristes spécialisés
Koen Van Poucke
Pépinière Koen Van Poucke. Heistraat 106 à B. 9100 Sint-Niklaas. T. + 32 (0)3 777 76 42; www.koenvanpoucke.be
Daniëlle Monbaliu
Pépinière Epimedium. Meulestee 56 à B. 8020 Oostkamp. T. + 32 (0)50 36 28 41; www.epimedium.be
Thierry Delabroye
Pépinière Delabroye. Rue Roger Salengro 40 à F. 59496 Hantay. T. + 33 (0)3 20 49 73 98; www.les-vivaces-de-sandrine-et-thierry.fr
A lire
The Genus Epimedium and other Herbaceous Berberidaceae, William T. Stearn, Timber Press 2002, ISBN 978-0881925432
Epimediums and other Herbaceous Berberidaceae, David G.Barker, The Hardy Plant Society, 2007, ISBN 0 901687 24 3