Sur les terres dévastées par les batailles, mystérieusement fleurissaient des coquelicots, rouge sang. Comme déjà 100 ans plus tôt lors des guerres napoléoniennes. Au Royaume Uni et dans tout le Commonwealth, ils sont associés au souvenir des combattants, tout spécialement ceux tombés lors de la première guerre mondiale. Traditionnellement en cette époque d’armistice, les britanniques portent à la boutonnière un symbolique poppy de papier. Outre-Quiévrain, une autre fleur des champs, le bleuet, rappelant la couleur de l’uniforme des poilus français, est également mise à l’honneur.
Pouvoir évocateur
Traditionnellement dans le langage des fleurs, le coquelicot est synonyme de repos, de rêves, d’oubli. Jadis, comme l’indique Jean-Baptiste de Vilmorin dans son ouvrage, Le Botaniste en herbe, (Editions Philippe Rey) : « Les Anciens imaginaient Morphée, déesse du sommeil, le front ceint d’une couronne de coquelicots. Dans des sarcophages égyptiens, on a retrouvé des princesses, mortes il y a trois mille ans, dont le corps était décoré avec des guirlandes de ces petits pavots sauvages ». En effet, avec le lierre et le laurier symbolisant le repos éternel, ils sont régulièrement repris lors des rites. Avec les épis de blé, ils sont les attributs de Cérès, déesse de l’agriculture, des moissons et de la fertilité, les milliers de graines contenues dans son fruit étant des signes de grande fécondité.

Omniprésent dans les pharmacopées, le folklore et les traditions, – placé sous la charpente, il écarterait la foudre -, il inspire les artistes et les peintres. Notamment Memling, Monet ou Mucha pour ne citer qu’eux. On le repère aussi dans les œuvres Art Nouveau, les sgraffites de Privat-Livemont, les verreries de Daum ou de Gallé et pour ceux qui s’en souviennent encore, dans les chromos fleuris et populaires de la marque Liebig.
Simplicité de la fleur des champs
De la famille des Papavéracées, le coquelicot, Papaver rhoeas, dénommé selon les terroirs, poupi, ponceau, mahon ou gau-galin, – il existe plus de 360 appellations -, est un pavot sauvage d’Europe. Indigène, plante herbacée annuelle, – il se ressème à l’envi -, son nom vient de la couleur rouge de ses fleurs qui évoque la crête du coq. Du temps de nos aïeux, mal aimé des fermiers, il égayait les champs de blé. Tous, nous avons un souvenir de coquelicot, il a bercé comme le petit chaperon, notre plus tendre enfance. D’ailleurs, pour empêcher les enfants de courir dans les champs, on le surnommait « la rose de loup » en Wallonie et en France et « le coupeur d’orteil » ou « le suceur de sang », bloedzuiger, en Flandre. Aujourd’hui, il est en voie de disparition. Avec l’utilisation des herbicides, on ne le rencontre plus dans nos campagnes mais plutôt sur les talus, les friches ou les bords des autoroutes. Souvent, il réapparait après des dizaines voire des centaines d’années. Son secret ? La faculté de germer malgré un long sommeil enfoui sous la terre, dès qu’une graine arrive à la surface d’un sol fraichement retourné, tel celui d’un champ de culture ou de bataille.

Gracieux et éphémère
Si incontestablement, il exhibe la fleur la plus rouge de ses consœurs d’Europe, ses 4 pétales d’une grande simplicité se chevauchent et font penser à du papier de soie délicat pâlissant doucement avant de se faner. Le cœur d’étamines noires marqué souvent à la base de taches de même couleur contraste énormément. Selon certaines croyances, « c’est Dieu qui, pour punir le coquelicot trop fier de sa beauté, a permis au diable de le toucher ; ses doigts ont produit des taches noires au fond de sa corolle » (Aux origines des plantes, sous la direction de Francis Hallé et Pierre Lieutaghi, Editions Fayard 2008).


Quant au bouton floral et à la tige rugueuse haute de de 50 à 80 cm, ils sont recouverts d’un charmant petit duvet. Dans certaines régions du sud, les rosettes de feuilles appelées rourella sont récoltées de septembre à mars pour être consommées comme un épinard.
Indicateur d’un sol calcaire riche en humus, il pousse sans souci dans les jardins, du moment qu’il y ait du soleil ou de la lumière. Il accepte tout type de sol, argileux, limoneux ou sablonneux mais de préférence une terre pauvre et bien drainée. En juin, les papillons virevoltent en sa compagnie, les abeilles récoltent le pollen, – une seule fleur pouvant produire des milliers de grains de pollen -, et les oiseaux, notamment les pinsons, se nourrissent des graines échappées de leur capsule. Conseillé aux débutants ? Pas vraiment ! Détestant être repiqué, le coquelicot doit, s’il ne se ressème pas tout seul, être semé en pleine terre en début d’année ou au mois de septembre. Si l’envie vous prend, n’oubliez pas qu’il a horreur des sols tassés et des terres froides et que lorsqu’il fait trop chaud, sa floraison s’arrête tout net.
Quelques jolis cousins
Différentes sélections de Papaver rhoeas méritent qu’on s’y attarde. Les unes à fleurs doubles aux couleurs variant du cramoisi au blanc pur, les autres aux tons pastel tels ‘Shirley Poppies’ ou aux reflets nacrés tels ‘Mother of Pearl’.

Par ailleurs, d’autres annuels, les charmants pavots somnifères, Papaver somniferum, présentent de multiples formes simples, frisées voire ébouriffées alors que les pavots d’Orient, Papaver orientale, vivaces, ont de plus en plus la faveur des jardiniers. Sans oublier le pavot d’Islande, Papaver nudicaule, le petit de Californie Eschscholzia californica, le jaune du pays de Galles, Meconopsis cambrica, le bleu délicat de l’Himalaya Meconopsis betonicifolia ou le pavot en arbre, Romneya coulteri ; il y en a pour toutes les sauces, mais cela c’est une autre histoire …

