Affublée du mot mirabilis, – qui veut dire admirable ou incroyable -, comme pour le Cyclamen mirabile ou la belle de nuit, Mirabilis jalapa dont les fleurs s’ouvrent la nuit et se referment au petit matin, Welwitschia fait partie de la famille des Welwitschiaceae qui ne compte qu’une seule espèce, celle qui nous occupe aujourd’hui. Pour les uns, elle a l’apparence d’une grosse salade flétrie dont les feuilles démesurées retombent dans le sable ; pour les autres, un monstre énigmatique, un énorme tas de copeaux ou une pieuvre végétale échouée que Darwin trouvait si vilaine qu’il la surnommait « l’ornithorynque du règne végétal ».
Sachant que dans un environnement au climat extrême, le Welwitschia peut vivre 2000 ans avec une seule paire de feuilles, il force le respect. Curieux, nous avons donc suivi les traces de Francis Hallé qui écrivait : « En tant que botaniste, j’ai tenté, … de montrer à quel point les plantes, beaucoup moins connues que les animaux, pouvaient être surprenantes, énigmatiques et parfois drôles. » Francis Hallé, Atlas de Botanique poétique, Editions Arthaud, Paris 2016.
L’abominable mystère de Charles Darwin
L’étude du Welwitschia, classé généralement comme plante ligneuse parmi les Gymnospermes, a permis de mieux comprendre le système reproductif sophistiqué des plantes à fleurs dites Angiospermes. En 1859, dans son ouvrage intitulé, ‘L’origine des espèces’ consacré à la théorie de l’évolution, Darwin n’avait pas réussi à le déchiffrer, à l’expliquer.
Arcanes de la botanique
Ne pas confondre :
Les Gymnospermes, apparaissent il y a 300 millions d’années. Il s’agit de plantes dont les graines sont nues, notamment les conifères, le Ginkgo biloba ou les cycas. Leurs inflorescences sont unisexuées et la dispersion du pollen n’est assurée que par le vent, sans intervention animale.
Les Angiospermes apparues plus tard, il y a seulement 150 millions d’années, sont des plantes « à fleurs, – contenant les organes sexuels-, et à fruits vrais ». Leurs graines sont en effet renfermées dans des fruits. Le pollen est distribué par le vent mais aussi par les animaux, insectes, oiseaux, mammifères, que les fleurs attirent et nourrissent. C’est le groupe le plus important des plantes à fleurs.
(La botanique redécouverte, Aline Raynal-Roques, Editions Belin, 1994)
Chez cette espèce dioïque, – les plantes mâles et femelles sont distinctes -, les cônes mâles portent le pollen, au gré du vent, des fleurs mâles aux fleurs femelles. Mais ce qui est étrange pour une Gymnosperme, c’est que les fleurs produisent du nectar destiné aux insectes qui, se souillant alors de pollen, vont le transporter jusqu’aux ovules. Le Welwitschia serait-il donc apparenté aux Angiospermes venues au monde beaucoup plus tard ?
Cônes femelles Cônes femelles
Et ce n’est pas tout. En y regardant de plus près, on constate aussi que les cônes mâles renferment quelques ovules stériles … de quoi faire trembler les scientifiques de haut vol. Une tentative échouée de faire des fleurs ? En tous cas, c’est la raison pour laquelle Welwitschia appartiendrait à un groupe intermédiaire entre Gymnospermes et Angiospermes, les Gnétophytes comptant quelques caractères et gênes similaires aux Angiospermes. Un vrai casse-tête botanique.
Dans l’un des plus vieux déserts du monde

Découvert en 1859 par le botaniste autrichien Friedrich Welwitsch, parti prospecter pour le Jardin Botanique de Lisbonne, il est nommé en son honneur et décrit à l’époque comme « la chose la plus merveilleuse qu’un pays d’Afrique peut offrir ». On ne le trouve qu’à un seul endroit de la planète. Endémique des déserts côtiers de Namibie et d’Angola, on le repère sous forme de populations isolées allant de quelques individus à plusieurs milliers dans l’immensité du désert du Namib, un paysage lunaire semblant abandonné de toute forme de vie. Nous les avons découverts sous le cagnard, au bout du monde, en quittant la petite ville de Swakopmund aux accents allemands sympathiques, dans des vallées de granit ocre et noir accidentées par l’érosion. Deux spécimens sont les doyens, ils auraient plus de 1500 ans. Le plus imposant, The big Welwitschia, s’étale sur le sol sur près de 4m de diamètre pour 1,40 m de haut. Célébrissimes dans leur pays d’origine, ils figurent en bonne place sur les armoiries de la Namibie et sur le blason de la fameuse équipe de rugby des Westelike Rugby Subunie dont les joueurs sont surnommés tout simplement … « les Welwitschias ».
Clef de voûte indispensable à l’écosystème local, il apporte un microenvironnement favorable à la biodiversité. Sous ces larges feuilles persistantes, les températures sont plus douces ; une certaine humidité est maintenue dans les débris de feuilles accumulés sous la plante. Source d’ombre et de fraicheur pour les oiseaux, les petits reptiles comme les lézards et les insectes, punaises ou pucerons lanigères, elles sont mastiquées par les rhinocéros, éléphants, zèbres ou oryx. Sans oublier le peuple Damara qui aime après la pluie déguster les cônes femelles, rôtis ou crus, c’est selon.

Bizarre autant qu’étrange
Rubannées, striées et coriaces Jeunes feuilles Jeunes feuilles
Au-delà de ses particularités de reproduction, il intrigue aussi les botanistes par son anatomie et son mode de vie unique en son genre dans le monde végétal. Plante xérophile, – qui supporte des grandes sécheresses -, il ne développe pas les stratégies traditionnelles d’adaptation au désert, telles des petites feuilles grasses pour contrer la déshydratation ou des épines comme chez les cactus. Etonnamment, il casse les codes par son apparence paradoxale et exhibe une seule paire de feuilles vert foncé à jaune vert, persistantes, rubanées, aux stries parallèles bien reconnaissables chez la jeune plante. Epaisses et coriaces comme du cuir, les deux feuilles opposées, s’étalant sur un sol brûlant qui emmagasine la chaleur, sont insérées à la périphérie du plateau d’un tronc gris foncé, très court, à l’écorce liégeuse, qui fait penser à une sorte de tabouret.
Ce qui surprend, c’est qu’elles poussent continuellement à partir de la base et peuvent atteindre de très grandes tailles, entre 2 et 4 m. La croissance est lente, ce qui est logique dans un environnement contraignant et étant donné leur stratégie de longévité. La croissance moyenne mesurée in situ tournerait autour de 0,3 à 0,4 mm par jour, soit une dizaine de cm en un an, avec quelques variations dues aux saisons et à l’humidité ambiante. Faites donc le calcul pour ceux qui auraient plus de 1000 ou 1500 ans ! Au cours de cette croissance, les deux feuilles ne cassent jamais, renforcées par des fibres tenaces donnant l’impression qu’il y en a bien plus que 2. Mais lacérées par le vent en lanières étroites, elles finissent par s’éclater en s’enchevêtrant ou en s’effilochant et leurs extrémités plus ou moins grillées ou usées, par se nécroser.
Au bord du plateau central formé par le tronc, insérées juste au-dessus des deux feuilles, poussent, bien visibles, les grappes d’inflorescences en épis de 30 cm de haut. Des petits cônes femelles, vert-jaune, aux raies rouge brun, accolés les uns aux autres, ressemblent à des pommes de pin. Ils produisent des milliers de graines ailées dont très peu arrivent à maturité faute de pluie suffisante nécessaire à leur germination. Les mâles, plus petits, de couleur brune, sont fortement chargés de pollen. Pour ceux que l’expérience tenterait, il faut savoir que l’espèce pousse facilement à partir de semences achetées chez des revendeurs spécialisés. Maintenues humides pendant une quinzaine de jours, elles doivent être exposées à autant de chaleur et de lumière que possible durant cette période. Et puis, il reste à prévoir les conditions optimales de survie … celles du désert du Namib.

Mirabilis
Il y pleut souvent moins de 25 mm par an. Mais à proximité des côtes, un phénomène climatique particulier dû à la remontée d’un courant froid venu du sud, intervient pendant une partie de l’année : une sorte de brouillard se formant la nuit pour se disperser au lever du jour. Des études scientifiques ont démontré que les feuilles, grâce à des petites ouvertures appelées stomates, recueillent l’humidité de la rosée qui apparaît dans le désert chaque nuit. Toutes ces petites gouttelettes de condensation sont une véritable aubaine pour la faune et la flore notamment des nombreux lichens colorés sur les rochers.
Par ailleurs, un système radiculaire développé lui permet également de subsister dans ce milieu hostile et de croître durant des siècles. Non seulement grâce à une très longue racine pivotante pouvant atteindre plus de 10 m mais aussi un réseau très étendu de petites racines latérales parvenant à absorber l’humidité déposée par le brouillard.
Vous aviez bien dit « admirable », qui dit mieux ?