Tous les goûts sont dans la nature

Le jardin stimule les sens. La vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat et presque indissociable, le goût. Grâce à lui, le jardin devient autre chose qu’une belle image réservée au seul plaisir des yeux. Le paradis des papilles…
Potager de Spetchley

Célèbres miettes de petite madeleine mijotant dans une cuillère de thé ! Elles évoquent chez Proust « toutes les fleurs du jardin et celles du parc de M. Swann et les nymphéas de la Vivonne, tout Cambray et ses environs, …sortis…de la tasse de thé. Quand d’un passé ancien rien ne subsiste …seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer l’édifice immense du souvenir… » (Du côté de chez Swann, Marcel Proust).

Les saveurs perceptibles par les papilles sont activées par l’odorat. Si bien que lorsqu’on est enrhumé, on perd le goût des aliments et à l’inverse lorsqu’on hume des parfums enivrants, l’appréciation des mets s’en voit un rien gênée.

Qui ne se remémore les menus larcins de son enfance, perpétrés dans le jardin d’un voisin ou d’une grand-mère ? Les doigts négligemment perdus dans les pots de confiture vous rendant rouges de plaisir ? Appréciés par tous, les petits fruits et les légumes figurent aujourd’hui dans tous les lieux, même les plus menus et les plus raffinés. Les cueillir et les récolter procure une grande joie à une époque où les notions d’utilité et de rentabilité ont un rien déserté les allées du potager.

Les légumes parmi les fleurs

Nul besoin d’un potager dessiné dans les règles de l’art, ni d’y passer le plus clair de son temps à semer, planter, biner…Pas besoin de se compliquer la vie … Aujourd’hui, la plupart des plantes semées avec soin par des professionnels sont vendues en godets qu’il suffit de replanter dans les massifs d’ornement. Dès le Moyen Age, fleurs et légumes cohabitent traditionnellement dans les jardins clos. Les fleurs servaient à confectionner les bouquets mais aussi à dissuader certains ennemis communs. Les tagètes par exemple, éloignent les nématodes des tomates, alors que les capucines attirent les pucerons pour les détourner des fèves des marais.

Potager de Miromenil

Les grands maîtres de la peinture n’hésitent pas à introduire les légumes au beau milieu de leur composition florale ou à les utiliser comme thème central à la manière d’Arcimboldo.

La palette des plantes aromatiques, n’a pas son pareil pour créer un espace aux mille saveurs. Cueillies fraîches, elles s’utilisent aussitôt pour parfumer les plats. C’est là que les arômes prennent le plus de force. Les espèces persistantes comme le thym, la sauge, la lavande ou le romarin structurent le jardin en hiver. La ciboulette ou sa cousine, la ciboule chinoise en fleurs à la fin de l’été, tracent les bordures alors que l’origan ou la menthe forment rapidement des tapis parfois envahissants. L’indispensable persil au semis délicat s’insinue parmi les cerfeuil, coriandre et pourpier. Ensuite vient l’hysope aux fleurs bleues, la livèche ou céleri vivace ainsi que l’estragon si savoureux en compagnie du poulet. Le fenouil à la silhouette légère est aussi décoratif, qu’efficace en cuisine. Ses feuilles et ses graines accompagnent les mets de poisson et son bulbe s’accommode en légume.

Pourquoi ne pas oser un damier de laitues vertes et rouges à la place des annuelles conventionnelles aux couleurs tonitruantes, inévitables bouche-trous ? Une courgette plantureuse aux grandes fleurs oranges ou plus imposante, la dernière cucurbitacée à la mode suivront les bulbes de printemps  … Des goûts et des couleurs, cela ne se discute pas mais l’effet insolite sera garanti ! Parmi les légumes spectaculaires, il faut retenir l’artichaut et son proche parent le cardon. Ils attirent le regard par leur feuillage décoratif légèrement bleuté et leurs élégantes fleurs magenta. Point focal au bout d’une perspective, ils participent à l’architecture végétale. Dans un autre registre, la rhubarbe vivace aux tiges rouges et aux immenses feuilles arrondies et l’angélique sculpturale et graphique à réserver pour meubler les fonds. Pour créer des verticales, les pois et haricots n’ont pas leur pareil, palissés sur des bambous en « tente d’indien »… et pour exalter l’automne, quelques choux aux formes et couleurs variées rendront le lieu terriblement photogénique.

Potager d’Eden Project

La saga des petits fruits

Si légumes et fleurs font bon ménage, pourquoi ne pas marier à leur tour, fruits et fleurs ? Pas les grands cerisiers à la taille parfois démesurée mais plutôt la famille des petits fruits aux couleurs acidulées. Les framboisiers un rien dégingandés se contentent des endroits ombragés et se multiplient à l’envi en passant parfois la clôture sans  permission. Les groseilliers plus disciplinés croulent sous les grappes rouges, roses et blanches avant que les oiseaux ne les repèrent. Une fois greffés sur tige, ils ajoutent au lieu un peu de hauteur. Les cassis et les myrtilles américaines exigent beaucoup de soleil alors que les mûres et ronces, avec ou sans épines, grimpent et s’enchevêtrent délicieusement. Les fraisiers ourlent joliment les parterres de fleurs ou faute de place, se débrouillent sans problèmes dans les jardinières. Surtout ceux des « quatre saisons » qui restent bien en place car ils ne forment pas de stolons. Certains rosiers donnent aussi des fruits, les cynorrhodons, riches en vitamine C. Ils apparaissent après la floraison et agrémentent gelées et confitures.

Pourquoi ne pas rêver aux vendanges ? Pas besoin de coteaux en plein cagnard ou d’une serre chauffée mais tout simplement d’un mur ou d’une arcade suffisamment ensoleillés et d’un plant bien adapté à nos régions.

Les herbes et les baies dites mauvaises ou sauvages

Aujourd’hui, la soupe aux orties fait partie du grand ordinaire. D’aucuns se risquent aussi à grignoter l’oseille, la pâquerette, le plantain, la podagraire ou l’achillée en passant par l’ail des ours…Les livres de cuisine des plantes sauvages foisonnent dans les rayons des librairies. Inutile de chercher de midi à quatorze heures ! C’est parfois à ses pieds que l’on déniche le plus savoureux au moindre prix. Avis aux curieux : les adventices ne seraient donc plus aussi mauvaises qu’on le dit…

Les baies sauvages également. Très prisées des oiseaux mais aussi de nos palais humains lassés de la monotonie des variétés proposées dans les rayons des grands magasins. Les  liqueur, alcool, tisane, sirop, compote, confiture, gelée, pâte de fruits et autre marmelade reviennent en force. L’amélanchier par exemple donne des fruits comestibles à partir de juillet août, utilisés principalement en confiture. Aux baies sauvages, il faut ajouter les fruits des arbres ornementaux comme les pommiers décoratifs, les Malus, dont quelques-uns offrent des petites pommes rafraîchissantes, excellentes à croquer ou en gelée et en compote.

La cuisine des fleurs

Les fleurs ne sont pas en reste. Autant en profiter pour rehausser les plats de leurs couleurs vives. On mange bien les racines, les tiges, les graines et les feuilles des plantes ! Ne se conservant pas bien, elles doivent être récoltées à la dernière minute. Les fleurs de capucine colorent les beurres et les salades, celles des soucis, les potages ou les poissons et traditionnellement celles des bourraches, les « maatjes » hollandais. Celles de l’aspérule parfument le vin de mai tout comme celles du sureau le vin et la liqueur. Sans parler des violettes, lavandes, roses (surtout les pétales rouges), hostas, hémérocalles, courgettes…

A notre époque, il est devenu de bon goût d’ajouter des pétales dans les assiettes des convives…

Un zeste de bourrache

Très simple ! Introduisez un jour dans le jardin, sauf si elle s’invite toute seule, une plante de bourrache, Borago officinalis. Fidèle, elle se ressèmera jusqu’à la fin de vos jours. Ses petites fleurs bleues, de juin à août, très appréciées des abeilles, transformeront  vos salades en mets de fête. Un certain goût de cornichon, voire un goût certain de concombre ou mieux d’huître, c’est selon…

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