Baignée par les courants chauds du Gulf Stream, l’Irlande du sud

Sur l’île d’émeraude, entre mer et montagne, les jardins des environs de Cork et Waterford, ouvrent leurs portes aux « jardinophiles »

Généralement, la virée annuelle des aficionados du jardinage se déroule en Angleterre sur les routes de campagne des Cotswolds, Kent ou Cornouailles à la découverte de perles sublimissimes comme Hidcote, Sissinghirst ou Trebah, pour ne citer qu’elles. Toutes, des destinations up to date, indémodables. Parfois, il est bon de pousser la curiosité ailleurs. La verte Irlande a son lot d’admirateurs inconditionnels à Powerscourt, Mount Stewart ou Mount Usher ou, au centre de Dublin, dans le fameux jardin d’Helen Dillon, jardinière et auteure qu’on ne présente plus.

Cette année, au sud du sud, nous avons assouvi notre fièvre jardinière aux alentours des charmantes petites villes de Cork et Waterford où règne un microclimat humide et doux. Outre deux destinations phares incontournables, Ilnacullin sur l’île de Garinish et Bantry House, nous avons musardé dans d’autres haltes moins connues mais tout aussi enchanteresses comme Mount Congreeve, Dromana, Cappoquin, Lismore ou Coosheen.

BANTRY la grandiose

Lové dans une baie spectaculaire, une des plus belles d’Irlande, ce domaine privé de 18 ha appartenant aux descendants des comtes de Bantry depuis le milieu du XVIIème, est en cours de restauration après plus de 40 ans d’abandon. Créées de 1844 à 1867, 7 terrasses engazonnées, encadrées de balustrades en pierre et ponctuées de vases forment les jardins formels à l’italienne. Petit clin d’œil au « grand tour » accompli à l’époque par tout jeune homme de bonne famille qui se respecte.

A Bantry, on se croirait vraiment en Italie, au bord du lac de Côme ou du lac Majeur. Au nord, 14 îlots ronds émergent d’une mer de gravier ; à l’ouest, un jardin en contrebas, « sunken garden », est planté de végétaux exotiques et au sud, le grand parterre formel dessiné autour d’une fontaine est surmonté d’un imposant cercle de glycines, Wisteria sinensis et W. floribunda. Dans le prolongement, un étonnant escalier de 100 marches, encadré de végétation luxuriante, mène en haut de la colline. De là, la vue est imprenable sur la maison, les jardins, la baie de Bantry et les montagnes.

Aujourd’hui, les propriétaires replantent, éclaircissent, enlèvent les Rhodo ponticum et luteum plantés en 1900  qui ont tout envahi, retracent les promenades dans le bois et reconstruisent les étables, les serres et le jardin clos. Pour le plus grand bonheur du visiteur.

ILNACULLIN la magique

Dans la baie de Bantry, l’île de Garinish appelée Ilnacullin, l’île aux houx, ne ressemble à aucune autre. Une île jardin de 15 ha qui n’a rien à envier à l’Isola Madre des Borromée sur le lac Majeur. Pour y arriver, un trajet idyllique en bateau parmi quelques îlots mauves peuplés de Rhododendron ponticum et d’une colonie de phoques se prélassant sous le soleil. Délicieux préambule. En 1910, Ilnacullin, un caillou où ajoncs, genêts et bruyères avaient peine à pousser, est acheté par Annan Bryce, homme d’affaires et politicien, pour y construire sa résidence secondaire et aménager un jardin. Finalement, seul le jardin est réalisé avec l’aide d’Harold Peto, architecte paysagiste réputé pour ses jardins italiens. Un de ses chefs-d’œuvre, avec Iford Manor dans le Wiltshire.

L’occasion est belle de créer un jardin classique baroque, dans un cadre naturel voire sauvage de style « Robinsonien » parsemé de plantes exotiques. Colonnade, escalier majestueux, terrasses, bassins, maison de thé, temple des vents, tour de guet, campanile, jardin clos, tous, des éléments essentiels à une mise en scène élégante parmi d’immenses conifères rares, des rhododendrons peu communs, de gracieuses fougères arborescentes, Dicksonia antartica et d’énormes rochers de grès couverts de lichens. Admirablement entretenu par des jardiniers hors pair, ce fabuleux jardin d’atmosphère est depuis 1953, la propriété de l’Etat irlandais.

COOSHEEN la contemporaine

Coosheen, dans l’estuaire du port de Cork,  est l’étape contemporaine qui excite plus d’un passionné. Un petit jardin d’environ 14 ares, commencé dans les années 90 par Hester Forde, où les combinaisons de formes de feuillage et arrangements subtils de couleurs deviennent son sport favori. Tâche délicate sur un terrain très pauvre, battu par les vents. La trame générale du jardin est composée par des arbres présentant un intérêt à différents moments de l’année. C’est ici indispensable car la place est comptée. Elle sélectionne un bouleau de l’Himalaya, Betula utilis var. jacquemontii et un Acer griseum pour la beauté de leur écorce, un Parrotia persica ‘Vanessa’ pour son port presque fastigié, un Cornus controversa ‘Variegata’ pour sa silhouette étagée. En-dessous, depuis que les branches basses ont été coupées pour récupérer de la place et de la lumière, tout est permis.

Inconditionnelle d’Helen Dillon, des jardins de Sissinghurst, Great Dixter et Lakemount tout proche ou des pépinières Avondale, Ashwood nursery ou Cotswold garden flowers, tous les végétaux l’intéressent. Sans exception. Petits arbustes et vivaces mais aussi les bulbes comme les Camassia aux grappes bleues et blanches à la fin du printemps, les colchiques à l’automne ou les Eucomis, appelées aussi fleurs d’ananas, originaires d’Afrique du sud. Sans oublier les délicates alpines installées dans des parterres surélevés, les raised bed ou quelques exotiques graphiques comme le Schefflera taiwaniana ou le Tetrapanax payrifer.

MOUNT CONGREVE la botanique

Dans les environs de Waterford, autour d’une demeure construite en 1760, Ambrose Congreve, amateur éclairé, largement inspiré par Lionel de Rothschild et son jardin d’Exbury dans le Hampshire, défriche, plante et gère les bois, les 28 ha de parc et le jardin clos dessiné autour de l’immense serre géorgienne. Depuis 1963 et jusqu’à sa mort en 2011, les végétaux y arrivent des 4 coins du monde, avec une prédilection pour le Tibet, le Yunnan et la Birmanie. Découverts et introduits en Europe par des chasseurs de plantes comme George Forrest, les Rhododendron, Magnolia et Camellia, la grande trilogie de son mentor, débarquent en nombre à Mount Congreve. En tout, une collection de plus de 3000 arbres et arbustes différents, des centaines de plantes grimpantes et des milliers d’herbacées, de quoi assouvir son appétit jardinier.

Les promenades sont aussi belles qu’instructives. Les plantations en masse sont ponctuées par des arbres de position alors que des perspectives ménagent des surprises sur la rivière en contrebas et le paysage environnant. Dans le jardin clos dédié aux légumes et aux fruits, on découvre un bassin aux nénuphars, des bordures de printemps avec roses, vivaces ou graminées et des plates-bandes pour les floraisons tardives comme les Hydrangea. A l’assaut des hauts murs, courent les Wisteria, Lonicera, Pileostegia viburnoides, Schizophragma hydrangeoides, Trachelospermum jasminoides et Hydrangea anomala subsp.petiolaris. Un rêve.

LISMORE la moyenâgeuse

Non loin de là, se dresse un impressionnant château-fort construit en 1185, propriété de la famille des ducs de Devonshire. Les jardins d’environ 3 ha sont cachés derrière le mur d’enceinte et sont divisés en 2 parties. Ils ont été créés ou remaniés au XIXème par le célèbre Joseph Paxton, botaniste, ingénieur, architecte et paysagiste.

Le jardin clos, composé d’une double mixed-border où légumes, herbes, fruits et fleurs à couper se côtoient, est articulé autour d’un axe central dirigé vers le clocher de l’église voisine. Paxton, renommé pour son inoubliable Crystal Palace à l’exposition universelle de Londres en 1851, propose d’y ajouter des serres. La mode à l’époque étant à l’acclimatation des plantes exotiques. En contrebas de la bâtisse, il maintient la très belle allée d’ifs séculaires et dessine des promenades parmi des plantations informelles d’arbres et arbustes comme Magnolia hypoleuca, Hoheria sexstylosa, Luma apiculata, Eucryphia x intermedia ‘Rostrevor’ ou Arbutus unedo. Aujourd’hui, quelques sculptures contemporaines prennent place dans les jardins et dans une aile du château devenue espace d’art contemporain.

DROMANA et CAPPOQUIN les secrètes

Dans les deux propriétés privées de Dromana et Cappoquin, lovées dans un environnement agreste, le charme est au rendez-vous. La première, perchée sur un éperon rocheux au-dessus de la rivière Blackwater, est une vieille bâtisse du XVIIème appartenant à la famille Villiers-Stuart. Dans ce site  exceptionnel, au-delà d’une terrasse engazonnée au dessin formel, la balade vers le bord de la rivière est botanique. Des plantes acidophiles, quelques arbres vénérables datant de 1744 et des décors, – une ancienne fortification, un bastion, une cale et un refuge pour bateau -, animent ce tableau. Aujourd’hui, la 21è génération perpétue avec enthousiasme et compétence, la tradition et l’entretien de ce beau domaine.

Presque en face, à Cappoquin, l’ambiance y est tout aussi délicieuse. Le manoir géorgien de la fin XVIIIème, reconstruit en 1920 appartient à la famille Keane depuis 1735. Ses jardins créés au milieu du XIXème et ouverts sur la vallée de la rivière Blackwater et les collines environnantes, sont repris en mains dans les années 50 et 70. Des végétaux de sol acide sont replantés de manière informelle sous la canopée d’arbres matures ayant parfois plus de 150 ans. En contrebas de la maison, un sunken garden encadré d’une balustrade en pierre est dédié aux vivaces de l’été. Eucalyptus coccifera, Cryptomeria japonica, Nothofagus antartica pour ne citer qu’eux et beaucoup de rosiers dont une ‘Dentelle de Malines’ aux petites corolles rose tendre qui nous rappelle les origines belges de la propriétaire actuelle.

BALLYMALOE la gourmande

Une visite à la célèbre école de cuisine de Ballymaloe, installée autour d’une ancienne ferme restaurée, ne se refuse pas. Cela fait plus de 30 ans que Darina Allen transforme le lieu à sa manière. Un véritable atelier à ciel ouvert où les apprentis cuisiniers découvrent l’abc du jardinage, de la semence à la récolte. En tout, 7 jardins compartimentés en chambres de verdure. Le premier consacré aux herbes aromatiques est inspiré par Villandry et ses délicates tapisseries de buis. Puis un potager, un verger, un petit arboretum, une prairie fleurie, un labyrinthe celtique et un coin de fleurs à couper. Sans oublier le point d’orgue de la composition, une double mixed border dans les règles de l’art, menant à un étonnant petit pavillon octogonal aux murs intérieurs tapissés de coquillages.

EN PRATIQUE :

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