En juillet dernier, depuis l’accord historique des levées de sanctions intervenu entre la république islamique d’Iran et les pays occidentaux, les frontières de ce pays secret et mystérieux s’ouvrent enfin pour révéler aux yeux de tous, sa grandeur et sa beauté légendaire. Des lieux enchanteurs et des jardins de rêve qui se réfèrent à une certaine idée de l’Eden, ce paradis dont la racine persane « pardis » ou « pairidaêza » désigne simplement un beau jardin enclos derrière des murs. Lié à un imaginaire national indéniable, le jardin persan est depuis 2011 consacré par un label de qualité. En effet, il y a 5 ans, l’UNESCO a inscrit cette notion de « jardin persan » sur la liste du patrimoine mondial à respecter et protéger.
Paradis sur terre
De ce type de jardin originel, il ne reste pratiquement que les évocations littéraires des poètes célèbres tels Hafez et des grands voyageurs tels Pierre Loti (début XXe siècle) ou Engelbert Kaempfer (XVIIe siècle) dont les dessins et gravures fournissent de précieux détails. A l’exception de quelques jardins comme celui de Fin à Kashan presque intact aujourd’hui. Mais son influence est telle qu’il est devenu une référence dans le monde entier. Des traces sont visibles autant dans les jardins de l’Inde moghole, Shalimar au Cachemire ou Taj Mahal à Agra que dans l’ouest du monde musulman, dans ceux du Maghreb ou de l’Espagne mauresque. Petit clin d’œil à l’Alhambra de Grenade…
Pour définir ce qu’est un jardin persan, l’UNESCO retient plusieurs éléments :
- Son plan est géométrique, souvent basé sur le chiffre 4 et fondé sur l’angle droit. Les bâtiments, fabriques, pavillons, kiosques et murs en font partie intégrante ;
- Le système de gestion de l’eau s’y révèle assez complexe voire sophistiqué. Il est nécessaire à la fois à l’irrigation et à l’esthétique ;
- La végétation toujours luxuriante contraste avec un environnement désertique ;
- L’art du jardinage appartient depuis des lustres à la culture iranienne ; il est un témoignage exceptionnel de l’évolution des traditions. Déjà décrit dans l’Avesta, l’ancien livre sacré des zoroastriens, le jardin figure avec le ciel, l’eau et la terre parmi les 4 éléments à vénérer. Depuis, lieu privilégié bordant maisons, palais, édifices publics et religieux, il suit l’évolution de la société persane et garde encore aujourd’hui un rôle très actif. Certains sont classés depuis 1930 ;
- Associé à des développements culturels d’une valeur exceptionnelle, il reste la principale source d’inspiration des grands poètes, musiciens, peintres, artisans et architectes. La vie iranienne toute entière est imprégnée de ses références.

9 jardins UNESCO
Sous la dénomination de « jardin persan », 9 jardins disséminés dans le pays et datant de périodes différentes (à partir du VIe siècle avant JC) sont repris sur la liste du patrimoine mondial : l’ancien jardin royal de Pasargades, celui d’Eram à Shiraz, de Chehel Sotoun à Ispahan,de Fin à Kashan, de Shahzadeh à Mahan, de Dolatabad à Yazd, de Pahlevanpour à Mehriz, d’Akbarieh à Birjand et d’Abbas Abad près de Behshahr.
Oasis et sérénité
Les tous premiers jardins sont nés dans les déserts chauds et arides du Moyen orient, sur la route de la soie. Ces espaces de verdure et de fraicheur clos derrière des murs d’enceinte, – pour les protéger des rôdeurs et des sables mouvants -, accueillaient celui qui désirait se reposer, boire, manger ou prier. Pour ce peuple parcourant des régions aux conditions climatiques extrêmes, c’était une halte bienfaisante, à la fois pour le corps et pour l’esprit. Une oasis miraculeuse en contradiction totale avec la nature environnante, – l’enfer -, austère et minérale.
La présence de l’eau y est incontournable. Vitale. Un luxe voire même un culte honoré dans le zoroastrisme et le Coran où l’eau est la manifestation de la grâce divine. Conservée dans des réservoirs et acheminée depuis les montagnes par des conduits souterrains, les fameux qanâts, elle permet à la végétation de pousser de manière abondante. Précieuse, elle se voit et s’entend partout mais comble d’élégance et de raffinement, sans aucun gaspillage, grâce à un savoir-faire incomparable.

Le dessin formel un peu austère de ces jardins oasis est savamment tempéré par l’exubérance de végétaux apportant douceur, ombre, couleurs et parfums. Des cyprès, grenadiers, platanes, cerisiers, pins, amandiers, orangers mais aussi vignes, roses, tulipes, narcisses, violettes, jacinthes, jasmins, œillets, iris, coquelicots, jonquilles, églantines ou crocus à safran… et j’en passe.
Chahar bagh
Le jardin persan est toujours resté fidèle au style du chahar bagh, littéralement 4 jardins, un rectangle de végétation partagé par 4 rectangles disposés en forme de croix. Et cela, bien avant la conquête arabe, à l’époque de Cyrus le Grand (VIe siècle avant JC). Comme le précise Michel Baridon dans son livre, Les Jardins, (Editions Robert Laffont, 2006, p115) : c’est un « dispositif cruciforme mille fois réutilisé : subdivision d’un rectangle en 4 rectangles égaux par des canaux ou des allées. Cette simplicité géométrique convenait à l’imaginaire politique des empereurs de Perse qui se dénommaient « maîtres des 4 quartiers du monde », elle fut admirée des Grecs et elle fut facilement réutilisée ensuite par les conquérants de l’Islam qui pouvaient se réclamer à leur tour des 4 fleuves qui, selon le Coran, coulent au paradis… La quadripartition du jardin d’origine persane convient à la mythologie coranique des 4 fleuves ».

Pasargades
Non loin de la prestigieuse Persépolis, le jardin de Pasargades est le jardin royal de Cyrus le Grand (546 avant JC) de la dynastie des Achéménides, le roi fondateur de la grande Perse. Il est aussi véritablement la première expression aboutie du jardin persan. Le précurseur du chahar bagh qui a tant marqué l’imagination. Comme l’atteste Xénophon dans un de ses écrits, Cyrus jardinier à ses heures, dessinait le plan de ses jardins, suivait les travaux de plantation et mettait personnellement la main à la terre en vue d’acclimater les végétaux reçus des 4 coins de son empire.
Ce jardin reliait le palais officiel à la résidence privée. Il était composé de 4 parterres entourés par des canaux et des vergers débordant d’arbres et de fleurs. Les canaux de pierre taillée alimentés par la rivière toute proche se coupaient à angle droit et formaient une croix dont le centre était occupé par un bassin. Des pavillons, véritables belvédères, servaient non seulement aux banquets, mais permettaient aussi au roi de contempler cette nature dominée avec brio ou symboliquement de surveiller son royaume.

Aujourd’hui, à part le sable, quelques grandes dalles formant le reste des allées, certaines conduites de pierre, l’un ou l’autre fût de colonnes et le tombeau de Cyrus, place à l’imagination.
Jardin de Fin
A quelques kilomètres de Kashan, la ville de l’eau de rose, le jardin de Fin conçu au XVIe siècle sous le règne du grand Shah Abbas Ier, est le plus ancien d’Iran parvenu jusqu’à nous. Même restauré et transformé au cours des siècles, – surtout au début XXe -, il a gardé l’esprit du lieu. Entouré d’une enceinte et protégé d’une tour à chaque angle, l’espace rectangulaire a en son centre, – point de convergence des 4 axes principaux -, un grand pavillon à coupole. A l’intérieur de celui-ci est disposé un bassin carré en marbre d’où partent de longs canaux rectilignes alimentant les différents bassins. Une eau turquoise à l’image des céramiques tapissant le fond des qanâts y coule paisiblement sans artifice aucun. Des petites fontaines çà et là, ponctuent délicieusement ce lieu charmant ombragé par des cyprès plusieurs fois centenaires.

Jardin de Dolatabad
A Yazd, le jardin de Dolatabad encadre le palais historique de la ville. Dessiné en 1748 selon les canons de l’époque, il respecte les règles immuables du jardin persan : mur d’enceinte, grand rectangle et canalisations de pierre. A l’intérieur de l’imposant pavillon hexagonal à 2 étages, un bassin occupe lui aussi le centre d’une pièce surmontée d’une coupole et bordée de 6 alcôves. Sur son toit s’élève la plus haute tour d’aération d’Iran, de plus de 30m, une construction traditionnelle permettant de faire circuler l’air frais dans les maisons.

Jardin de Shahzadeh
Jardin de la résidence d’été du fils du Shah Mohammed (époque Qadjar, XIXe siècle) sise près de Mahan, au sud de l’Iran, il est créé sur une colline, au pied des montagnes. Vaste rectangle de 5,5ha, protégé par une enceinte qui le sépare du désert, ce lieu de plaisance révèle une fabuleuse mise en scène au service de l’eau. Provenant des montagnes, dans un canal rectiligne, elle relie les deux pavillons et traverse le parc de haut en bas avant de s’en aller couler dans les jardins de la petite ville. Terrasses, escaliers, bassins et fontaines alimentées par simple gravité, prennent place autour de cet axe central encadré par des pins, cyprès et parterres de fleurs. Endommagé en 2003 lors du tremblement de terre de Bam, le jardin est aujourd’hui restauré.

Palais d’Ispahan
Le XVIe siècle est en vérité l’âge d’or des jardins en Perse. Surtout à Ispahan, Esfahan, la ville de Shah Abbas Ier surnommée « la moitié du monde » avec ses ponts de 300m de long construits au bord de grands jardins d’agrément. C’est sans doute ici que l’on a imaginé l’un des premiers plans d’urbanisme musulman. Soit un entrelacs ordonné de jardins, d’édifices et de rues inspiré des dessins des tapis persans. En effet, c’est en Perse que sont noués les plus beaux tapis. Ils présentent à eux seuls un monde en réduction, un paradis où arbres, fleurs et arabesques sont disposés de manière esthétique et régulière. Installés dans les pièces des palais ou dans les nombreux kiosques, ils participent au dialogue intérieur et extérieur et perpétuent symboliquement l’image d’un monde soumis à un roi.

Le jardin de Chehel Sotoun, autour du palais du même nom, celui des 40 colonnes, est né sous Shah Abbas 1er. S’il y a bien 20 colonnes en tronc de platane autrefois ornées de miroirs et de vitres colorées pour soutenir l’élégant portique du palais, on en compte 40 lorsque qu’elles se reflètent dans le bassin miroir rectangulaire long de 110m. L’effet est magique. A l’intérieur du palais, les murs sont recouverts de tableaux d’une élégance et d’une finesse rares au service d’une nature idéalisée, immatérielle de beauté, de pureté. Les motifs végétaux, inlassablement recopiés, s’entrelacent sans arrêt dans de luxueux décors riches et variés.

Non loin de là se dresse le palais Hasht Behest, des « huit paradis ». Il date de la même époque. Ou un pavillon d’été à 8 pièces, – pour les 8 femmes du roi -, ouvert de chaque côté sur un jardin foisonnant et se mirant une fois encore sur un plan d’eau. A l’intérieur, la lumière se reflète sur la surface de l’eau d’un bassin et se réfracte dans la mosaïque en verre étamé des plafonds comme dans un jardin de lumière où coule l’eau pure…

Shiraz
Shiraz, ancienne capitale de la Perse, située non loin des sites antiques de Persépolis et Pasargades est la définition même d’une oasis de verdure au beau milieu du désert. Aussi, une oasis de culture. Cette ville évoque depuis la nuit des temps les jardins, les roses, les rossignols, les vignes sans oublier l’amour. En d’autres mots, un certain art de vivre, fruit d’une civilisation millénaire, suggéré avec moult détails par les poètes Hafez ou Saadi. Leurs descriptions de fleurs comparées à des pierres précieuses, de fruits et de fragrances traduisent subtilement le raffinement de l’âme. Pour eux, jardin est synonyme de contemplation. Pierre Loti (1850/1923) subjugué, notait dans son ouvrage Vers Ispahan : « Il y a vraiment quelque chose, dans ce pays de Chiraz, un mystère, un sortilège, indicible pour nous et qui s’échappe entre nos phrases occidentales. Je conçois en ce moment l’enthousiasme des poètes de la Perse et l’excès de leurs images, qui seules, pour rendre un peu cet enchantement des yeux, avaient à la fois assez d’imprécision et assez de couleur. »

Aujourd’hui, quelques jardins font encore la renommée du lieu. Celui de Hafez dans lequel il repose, un lieu de promenade particulièrement apprécié des iraniens ou le jardin d’Eram, en langue persane, du paradis, créé à la fin du XIX e siècle pour un ministre du shah. Aujourd’hui, jardin botanique de l’Université, différentes collections de végétaux sont gérées autour d’un élégant pavillon. Honneur à la rose. Quant au jardin de Narendjestan-Qavam, entourant l’une des plus belles maisons de la ville construite à la fin XIXème siècle par de riches commerçants, haut en couleurs, il magnifie l’eau dans tous ses états.

Cyprès d’Abarkuh
Impossible de terminer cet article sans évoquer le patriarche de la province de Yazd, le cyprès d’Abarkuh. D’âge canonique, il y coule des jours tranquilles depuis 4500 à 5000 ans. Reconnu comme un des arbres les plus anciens du monde, il résiste à l’épreuve du temps et domine de très haut un bébé installé à ses côtés, au cas où… La légende rapporte qu’il aurait été planté par le prophète Zoroastre lui-même…

Le cyprès fait partie intégrante de la culture iranienne, il est une figure essentielle de la poésie persane et est de tout temps représenté par peintres et sculpteurs. Notamment déjà à Persépolis où, stylisé, il sépare les nombreuses délégations des peuples de l’empire. Par sa silhouette élancée et harmonieuse, il représenterait la femme ; toujours vert, il serait arbre de vie, de la connaissance spirituelle ; immortel, il symboliserait l’axe de l’éternité autour duquel tourne le monde. A lui tout seul, emblème végétal du jardin d’éden, il incarne le paradis.
Pour prolonger le rêve
- Gardens of Persia, de Penelope Hobhouse, Kales Press, 2004, ISBN 978-0967007663
- The Persian Garden: Echoes of Paradise Paperback de Mehdi Khansari et M.R.Moghtader, Mage Publishers 2003, ISBN 978-0934211758
- Palaces and Gardens of Persia, Yves Porter et Arthur Thevenart, Flammarion 2004, ISBN 978-2080112576
- Guide culturel de l’Iran de Patrick Ringgenberg, Edition Rowzaneh 2015, ISBN 978-9643342425