La voie du thé

L’art du thé est unique au Japon. Une véritable expérience philosophique voire religieuse à vivre à l’abri dans un petit pavillon caché dans un jardin traditionnel. Tout un programme !
Pavillon de thé au jardin Ginkaku-ji à Kyoto

Oui, au Japon et chez tous les amoureux du pays du soleil levant, la cérémonie du thé appelée sadô ou cha-no-yu est en soi une culture, un art, une voie. La voie du beau dans laquelle, éthique se conjugue avec esthétique et religion. Cette tradition codifiée par un rituel immuable et des règles strictes est une institution bien lointaine de la routine. Boire le thé n’est pas tout, il faut d’abord le préparer. Mettre l’eau à la bonne température dans un bol artisanal et battre le matcha, poudre de thé vert, à l’aide d’un petit fouet de bambou pour le faire mousser. L’opération est simple, raffinée … magique. Pour certains l’expérience est mystique, pour d’autres, elle est apaisante, pour tous elle est délicieuse.

Un camélia ?

Originaire de Chine, Thaïlande et Birmanie, le théier, Camellia sinenis, de la famille des Camelliaceae, petit arbuste ou grand arbre, pousse à l’état sauvage dans les montagnes du Yunnan et du Sichuan. Depuis l’Antiquité, dans toute la Chine, ses feuilles persistantes sont consommées, fraîches ou séchées et broyées en poudre, comme légume, médicament ou boisson. Dès le VIème siècle, en même temps que le bouddhisme et l’art des jardins, les moines japonais, après un séjour d’études dans les grands monastères de Chine, l’introduisent chez eux. En revanche, il faut attendre le XVIIème siècle pour que cette « herbe de Chine » traverse les océans et parvienne jusqu’à nous.

Au Japon, au fil du temps, les cultures de thé s’installent sur les coteaux, notamment près de Kyoto. Les moines zen habitués à de longues méditations en consomment pour rester clairvoyants et ne pas s’endormir. Dès le XVIème siècle, avec l’arrivée d’une nouvelle bourgeoisie, la cérémonie du thé devient un divertissement luxueux et solennel purement esthétique, prétexte notamment à admirer des objets chinois importés et exposés au regard de tous pour marquer leur rang dans la société.

Wabi sabi

Ceci dit, une école de thé apparait à Kyoto et quelques grands maîtres, comme le célèbre Sen no Rikyu, – on pourrait dire un des paysagistes de l’époque-, démocratisent la cérémonie. L‘esthétique se décline dorénavant selon 2 concepts : le wabi (le beau) et le sabi (le temps écoulé), 2 mots qui conditionnent tout ce qui touche au thé. Wabi se réfère à la beauté de la pauvreté, à l’humilité, à la solitude proche de celle d’un ermite dans les montagnes. Alors que sabi se rapporte au temps passé, à la patine de l’âge, au caractère éphémère de la vie. A la nostalgie… heureuse. Ensemble, ils participent à la quête de la beauté des choses imparfaites et ce, dans un profond respect de la nature. Nous nous expliquons. Ce mouvement initié par le moine zen vient en fait contrer les fastes bourgeois et recentrer sur l’essentiel. En d’autres termes, se défaire du superflu, retrouver la sobriété, accepter l’impermanence, – comme la fragilité et la fugacité de la floraison des cerisiers -, sans chercher la perfection. Une philosophie qui perdure aujourd’hui.

Jardin de thé, roji

Et le jardin dans tout ça ? Clé d’un univers d’émotions, espace intime de transition, on le traverse pour se dépouiller des impuretés du monde extérieur, de l’agitation de la vie quotidienne, des hiérarchies sociales et cheminer vers l’intérieur de soi. Le jardin de thé dénommé roji qui veut dire expressément l’allée couverte de rosée est véritablement un parcours initiatique qui mène à la salle de thé et repose sur les 4 principes d’harmonie, respect, pureté et quiétude. Apparu au XVIème siècle, il devient pour le maître de thé Sen no Rikyu, un élément aussi important que la maison de thé ou la cérémonie elle-même.

Passé le portail, rompant tout lien avec le monde extérieur, on y découvre une sensation de fraicheur préparant à la jouissance esthétique du pavillon de thé, la demeure de la paix. C’est en fait, le premier stade de la méditation, ressemblant à un sentier de forêt ou de montagne où se cacherait un ermitage. Contrairement au jardin zen des temples bouddhistes composé notamment de sable et de gravier ratissés que l’on contemple de loin, ici, on parcourt l’espace pour vivre des sensations, oublier le matériel et préparer à l’essentiel.

La végétation y est sobre et volontairement limitée. Beaucoup de formes sauvages ou tortueuses, des feuillages verts persistants, des fougères et des mousses, pas de couleurs vives ni de parfums. Des pierres et quelques décors symboliques annoncent la présence humaine, tels les portails, les ponts, la lanterne de pierre jusqu’alors réservée aux sanctuaires shintoïstes et aux monastères bouddhistes et le lave-main servant non seulement à faire les ablutions avant la cérémonie mais aussi à purifier l’esprit. Sans oublier les pierres de passage, ces fameux pas japonais, irréguliers et asymétriques qui intentionnellement ne laissent passer qu’une seule personne à la fois pour ralentir le cheminement d’une voie bouddhique lente et parfois difficile.

Au bout de la promenade, apparait le pavillon de thé, une hutte paysanne au toit de chaume, modeste comme le jardin qui l’entoure. Simple et rustique, sans décor, il est propice à la méditation en offrant l’essentiel c’est-à-dire le minimum. Pour y entrer, on doit tous, sans distinction de statut, se plier en deux et se faufiler ; la voie du thé étant éminemment démocratique. Lorsqu’on s’assied sur des tatamis, dans une pénombre synonyme de suggestion ou d’imagination, les repères avec l’extérieur tombent, le détachement est total. Une cérémonie toute en retenue peut alors commencer. Elle fait prendre pleinement conscience du temps présent.

 

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