Les patios et carmeñes andalous… où le murmure de l’eau fait chanter les jardins

L’Andalousie a déjà fait couler beaucoup d’encre… Grenade et l’Alhambra, Cordoue et Séville, destinations archi-connues, peuvent-elles encore nous étonner ? N’a t-on pas tout dit et redit ? Grenade, pays du poète Garcia Lorca et des grenadiers, Cordoue parfumée au jasmin, patrie de Cervantès et de Don Quichotte et Séville, éclaboussée du bleu des Jacaranda méritent toujours le voyage. Au gré des ruelles, une multitude de patios fleuris, de carmeñes et de jardins crée la surprise. A l’abri des regards et des bruits de la ville, une harmonie y règne entre les fleurs, les fragrances, les arômes des fruits, les chants de l’eau et des oiseaux, les jeux de lumière et des couleurs. Un pays de contes de fée, imprégné du mélange de plusieurs cultures et d’une certaine vision islamique du paradis.

L’Espagne, berceau des grands jardins d’Europe

Les Maures, un ancien peuple du désert, envahisseurs de l’Espagne au VIIIème siècle s’y révèlent de vrais magiciens de l’eau. Au contraire de l’Italie, l’Espagne à la terre aride et à la végétation parcimonieuse n’est pas connue pour la fertilité de son sol. Arrivant avec leur savoir et leur expérience, ils irriguent les villages grâce à d’ingénieuses conduites, construisent fontaines, bassins, canaux, cascades, rideaux et escaliers d’eau. Élément sacré dans l’histoire de l’Islam, perçue comme un don du ciel, symbole de vie et de pureté, l’eau participe à l’unité et à la sérénité de l’espace au même titre que le feu, l’air et la terre. On la rencontre sous toutes ses formes :  bruissante, courante, jaillissante ou apaisée. On n’apprécie jamais autant l’ombre et l’eau que dans ces régions où elles sont si rares et si précieuses.

En botanistes avertis, les arabes collectionnent, décrivent les plantes et établissent un système de classification des végétaux, précurseur avant l’heure de celui de Linné. Ils ouvrent des écoles de botanique notamment à Cordoue et acclimatent de belles exotiques originaires de l’est du bassin méditerranéen. Ils introduisent certains conifères, tels le cèdre du Liban et le pin à encens mais aussi les laurier-tin, lilas, clématite et violette africaine… Les premiers plantés sont les arbres pour leur ombre bénéfique, dense sous les ifs et les cyprès, légère sous les dattiers et les citronniers. Les buissons, myrte, buis, ciste, laurier-rose structurent le jardin et les fleurs, rose, œillet, sauge, jasmin, chèvrefeuille et glycine le colorient et le parfument.

Véritable berceau des jardins en Europe, les jardins andalous sont les précurseurs du classicisme italien des XVème et XVIème siècles. Ils restent les seuls témoignages européens actuels des jardins des XIII et XIVème siècles.

Patios et carmeñes, réminiscences de la villa romaine

Le patio ou cour  intérieure fait véritablement entrer le jardin dans la maison, jouant continuellement avec l’ombre et la lumière. On s’y repose au bord d’une fontaine ou d’un puits installés au centre, on s’y promène à l’abri d’une colonnade. Accrochés sur les murs blanchis à la chaux ou disposés au gré des envies sur le sol clair, des pots en terre cuite de toute forme et de toute couleur avec une prédominance du bleu les émaillent. Garnis de géraniums, œillets, agapanthes, daturas, acanthes, cistes et même de citronniers et d’orangers, les patios croulent sous les nuées de fleurs. Véritable art populaire, ils font partie du mode de vie d’aujourd’hui, tant et si bien qu’un festival des patios est organisé chaque année à Cordoue.

Les carmeñes sont typiques à Grenade. D’origine musulmane, ces villas ou manoirs construits par la bourgeoisie à la fin XIXème et au début du XXème siècle peuplent la colline de l’Albayzin déclarée au même titre que l’Alhambra et le Généralife, patrimoine mondial de l’humanité protégé par l’UNESCO. Les maisons relativement petites aux murs blancs sont entourée d’un verger et de jardins orientés vers l’Alhambra. Les carmeñes ponctuent la blancheur du bourg d’une infinité de petits espaces verts. Ils allient nature et architecture pour créer un espace unique autour d’un patio agrémenté d’un bassin ou d’une fontaine.

Les patios de Cordoue

Les plus jolis patios privés de la ville sont dans les rues des quartiers de San Lorenzo, San Basilio, San Augustin et dans le quartier juif. Chaque année, au printemps se tient le festival et le concours des patios de Cordoue (environ 70). En 2004, retenez la première semaine du mois de mai pour le festival et la deuxième pour le concours. Un événement qui invite le passant à pousser les lourdes portes cochères pour un petit moment d’indiscrétion exquise!

A Grenade, le Carmen des Martyres

Ce jardin du XIXème siècle est conçu à l’endroit d’un ancien ermitage et d’un couvent de Carmélites. Il est sans doute le plus imposant de la ville, non seulement par sa taille mais aussi par la permanence d’éléments datant de sa fondation. Situé sur les pentes sud de la colline de l’Alhambra et aménagé en terrasses, il compte à lui seul plusieurs styles différents : français, anglais et plus contemporain. Une agréable promenade ombragée vous emmène à travers un bois, un potager, un jardin d’herbes et un labyrinthe. Puis, apparaît un étonnant lac artificiel rehaussé d’une cascade romantique et d’une ruine colonisée par les valérianes. Des Magnolia grandiflora majestueux, d’opulents Laurus nobilis campent le décor, des néfliers du Japon au feuillage persistant, Eriobotrya japonica exhibent leurs fruits ressemblant à des prunes et d’épais Viburnum tinus forment des haies de près de 4 mètres de haut. Tous résistent merveilleusement aux hivers rudes de l’endroit. Le thermomètre descend en effet régulièrement jusqu’à moins 10 degrés.

Un imposant Cupressus lusitanica, cyprès pleureur originaire d’Amérique, aurait plus de 400 ans…venu à Grenade à l’époque des grandes découvertes et sacré doyen d’Europe. Un aqueduc du XVIème siècle relie le jardin à la propriété du Généralife située plus haut sur la colline et le pourvoit généreusement en eau. Rien n’est laissé au hasard !

Le Carmen de la Fondation Rodriguez-Acosta

Œuvre du peintre José Maria Rodriguez-Acosta, ce carmen accroché sur la colline de l’Alhambra, se dresse dans un environnement de terrasses sur trois niveaux, orientées vers la plaine et la Sierra Nevada. Construite en 1920, la maison se compose de différents blocs aux très hauts murs percés de petites fenêtres. Caractéristique du style européen de l’entre-deux-guerres, elle est classée monument national. De hauts murs de cyprès de plus de quatre mètres ferment la cour intérieure et rappellent l’architecture verticale de la villa. Une trouée offre une vue panoramique sur la ville. L’art se conjugue ici à la nature : une pièce d’eau aux coins ornés de piliers surmontés d’anges baroques, des arcades enfouies sous les glycines et des escaliers dérobés menant à des sculptures.

Et le Carmen de la Victoria

C’est sur la colline Sacromonte que vous trouverez ce carmen traditionnel du XIXème pratiquement non remanié et appartenant à l’université de Grenade. Les vues sur l’Alhambra et le Generalife sont tout simplement magnifiques. A ne pas rater. La tradition est respectée. Une maison aux murs blanchis à la chaux, un jardin ombragé par de vieux arbres dont un Morus alba et un très beau Cercis siliquastrum centenaire, une gloriette couverte de cyprès et un couloir de glycine et de chèvrefeuille. Les chemins de galets en provenance de la rivière Darro toute proche dessinent de jolis motifs floraux…. Les rosiers Rosa banksiae aux petites fleurs en pompons jaunes et les Tamarix africana aux diaphanes fleurs blanches rappellent qu’ici on peut tout se permettre !

L’Alhambra et le Généralife

A Grenade, l’Alhambra et le Généralife demeurent de véritables conservatoires de jardins. Destination classique mais toujours époustouflante…

L’Alhambra, palais arabe, s’élève au-dessus de la vieille ville, en face de la chaîne montagneuse de la Sierra Nevada. Alhambra signifie château rouge, les bâtiments arborant une couleur rouge-fauve très séduisante. L’usage de l’eau, de la lumière, des couleurs en font  un jardin-paradis, vision coranique de la perfection. Lieu envoûtant digne d’un spectacle des mille et une nuits. Toutes les pièces du palais sont reliées entre elles par des patios à la fois sobres et raffinés. Celui de la cour des myrtes, d’une simplicité extrême avec son miroir d’eau longiligne, bordé d’une rangée de Myrtus communis s’oppose à la richesse de la cour des Lions où une monumentale vasque en marbre repose sur 12 lions en pierre qui crachent de l’eau.

Le Généralife, « le plus noble des jardins » ou résidence d’été des sultans, situé 50 m plus haut dans le même enceinte que l’Alhambra est nettement plus intime. L’alternance des jardins et des éléments architecturaux aboutit à un rythme presque idéal. L’eau circule dans tout le palais même à l’intérieur des salles. De spectaculaires jets d’eau entrecroisés bordent le canal tant photographié du calme patio de la Acequia.

 Malheureusement un « bémol » à la visite…le nombre considérable de visiteurs et de photographes…choisissez la fin de journée pour être plus au calme et comptez environ trois heures de promenade. (Le site ferme ses portes à 20 heures, faites le compte !)

A Cordoue, le Patio des orangers de la mosquée-cathédrale

Le patio des orangers de Cordoue est le plus ancien jardin d’Europe toujours entretenu comme tel. Depuis la construction de la mosquée en 784, il sert à la méditation et à la prière. C’est un immense rectangle de 130 m sur 50 divisé en trois parties avec une fontaine au centre de chacune. Les premières plantations de grenadiers, cyprès et palmiers ont été remplacées il y a 200 ans, par des rangées symétriques d’orangers, 98 au total dont l’alignement rappelle les fûts de colonnes de l’intérieur de la mosquée. Encore un bel exemple de fusion de l’architecture et de la nature. Quelques orangers centenaires imposent le respect. Irrigués eux aussi à partir des sources de la Sierra Nevada, des rigoles en plomb aboutissent au pied de chaque arbre. Au milieu de tout cela, un petit olivier installé près d’une fontaine rompt la symétrie et fait le trouble-fête. Toléré depuis 500 ans, il tient toujours le coup. Quelques palmiers ajoutent de la profondeur.

Et le palais de Viana

Propriété du marquis de Viana, cette maison aristocratique date des XVème et XVIème siècles. Aujourd’hui, on l’appelle le musée des patios de Cordoue car elle ne compte pas moins de 12 patios et un jardin, reliés l’un à l’autre pour former un véritable labyrinthe. C’est une magnifique variation sur le thème du jardin clos qui utilise les mêmes plantes dans des ambiances et des cadres différents. Les murs chaulés, les arcades légères et les châssis peints en bleu clair mettent une multitude de plantes grimpantes en valeur : bignone, glycine, jasmin, plumbago, bougainvillée, rose, lierre… Des haies de buis, des orangers et des citronniers  parfois élégamment palissés le long des murs, des palmiers, cyprès et dattiers, des arums, lis, fougères et héliotropes colonisent tous les recoins. Chaque patio a un nom qui le distingue des autres : celui du puits, de la dame, des orangers, des chats, du portail, des jardiniers…les sensations sont distinctes mais l’eau toujours omniprésente rafraîchit les visiteurs et apporte calme et sérénité. Ne vous pressez pas et laissez-vous emporter. Soleil et ombre apparaissent et disparaissent au fil de la promenade. Ici aussi, des pots en terre cuite ornent les murs à des hauteurs vertigineuses d’où tombent délicatement un brouillard d’asparagus et de longues chutes de géranium. Gare à la séance d’arrosage !

Les Alcazar de Cordoue et de Séville

C’est à Cordoue, dans la médina, que s’élève le premier alcazar andalou, dénommé alcazar des rois chrétiens, enceinte fortifiée et royale abritant un palais, un jardin et des patios. L’eau provenant de la rivière Guadalquivir court dans des petits canaux souterrains pour aboutir dans une enfilade spectaculaire de grands bassins rectangulaires. La plupart des plantations datent du XIXème siècle et le choix effectué aujourd’hui par les 8 jardiniers se révèle très élégant : roses, zinnias, « bouquets tout faits », anthemis, lavatères, géraniums odorants immenses, camomilles et acanthes. Les cyprès taillés en colonne et les orangers en parasol donnent fière allure à ce jardin structuré que l’on découvre, avec stupéfaction, du haut d’une terrasse.

L’Alcazar de Séville ne compte plus actuellement que 6 ha alors qu’à l’origine, il couvrait une bonne partie de la ville jusqu’au Guadalquivir. Éclectique, d’influence mudéjar, adaptation musulmane aux nécessités chrétiennes, il a été plusieurs fois remanié au cours des siècles, dans des styles Renaissance et baroque. A nouveau, une succession de jardins et de patios clos de murs, l’utilisation des azulejos jaunes, bleus et verts et la présence de l’eau amenée par aqueduc. Des grottes, des fontaines à chaque croisement de chemin, des niches sont ajoutées « au petit bonheur ».Un grand jardin à la française entouré de murs et de balustrades avec piliers ornementaux et portails décoratifs s’étend en contre-bas d’une terrasse presque entièrement occupée par un bassin-miroir. Des haies de myrte, de buis et de thym bordent les parterres, des boules de Pittosporum tobira marquent les coins. Eucalyptus, Magnolia Grandiflora, palmiers et Cycas, Chorisia speciosa aux épines dangereuses, seringats et rosiers imposent le rythme.

 A Séville, la maison de Pilatos

La Casa de Pilatos édifiée en 1483 par le duc d’Alcala, vice-roi de Naples, devient au XVIème siècle, la première station d’un chemin de croix réputé à Séville. La maison, très raffinée est construite dans le plus pur style mudéjar. Une belle collection d’azulejos aux motifs fleuris et colorés animent la maison. Le bleu des carreaux de céramique, le jaune ocre des murs et le rideau vert des jasmins contrastent et se répondent. Fontaines en marbre et statues d’empereurs romains aux mines sévères rappellent les origines du maître des lieux . Un vieux citronnier y coule des jours heureux depuis  400 ans. Les parterres s’illuminent des couleurs chaudes propres aux régions du sud avec des lauriers-rose, des agaves, des Clivia miniata aux grands cornets oranges, des Erythrina crista-galli, à crête de coq, aux fleurs cramoisies, des grenadiers et des seringats.

Et le parc Marie Louise

Le parc Maria-Louisa à Séville est une œuvre moderne du début du XXème siècle. J.-C.N. Forestier, architecte paysagiste français renommé, père de la roseraie de Bagatelle et de son concours international en est le concepteur. Il est vrai que depuis le mariage de Napoléon III avec Eugénie de Montijo, les français étaient à la mode en Espagne. Il adapte ses idées au style mauresque, installe des fontaines, jets d’eau, canaux, et bassins et rehausse les pergolas d’azulejos. Il établit les grands axes, dispose un étang rectangulaire et une fontaine octogonale ornée de lions qui ne sont pas sans rappeler l’Alhambra de Grenade. Fidèle à son concept paysager, les grands arbres sont sauvegardés et beaucoup d’autres ajoutés pour accentuer les couleurs et les formes des différentes frondaisons. Acacias noirs, ailantes, mûriers à papier, platanes, palmiers, sycomores, sophoras et tulipiers accompagnent Jacaranda, Ficus dealbata, Taxodium distichum, Araucaria bidwillii et Washingtonia robusta. Les buissons de myrtes et de fusains se marient aux rosiers pimprenelles.

Aujourd’hui, le parc sert de salle de lecture à ciel ouvert et les bâtiments abritent quant à eux les bibliothèques en céramique vernissée qui regorgent de livres. Quel fameux encouragement à ce bel art de vivre qu’est la lecture !

Infos pratiques

A titre général

A Grenade :

  • Alhambra : Calle Real, 18009 Granada
  • Généralife : Calle Real, 18009 Granada
  • Carmen des Martyres, Paseo de los Martires, 18009 Granada
  • Fondation Rodriguez-Acosta, Callejon Ninos del Rollo 8, 18009 Granada
  • Carmen de la Victoria, Cuesta del Chapiz 9, 18009 Granada

A Cordoue :

  • Alcazar de los Reyes Cristianos, Caballerizas Reales, 14004 Cordoba
  • Patio de Los Naranjos de la Mezquita, Cardinal Herrero 1, 14003 Cordoba
  • Palais de Viana, Plaza Don Gome 2, 14001 Cordoba

A Séville :

  • Alcazar royal de Séville, Patio de Banderas, 41004 Sevilla
  • Casa de Pilatos, Plaza de Pilatos 1 à 41003 Sevilla
  • Parc de Maria Luisa, entouré des Avenidas de Delicias, Portugal, Maria Luisa et Borbolla y Eritane, 41012 Sevilla
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