Hundertwasser, quand l’architecture rencontre la nature

Rendre la ville plus verte ? Ce n’est plus un rêve mais un défi à atteindre dans les prochaines décennies. Un précurseur ? L’architecte autrichien, Hundertwasser et ses maisons boisées

En décembre dernier, nous apprenons que le célèbre architecte Stefano Boeri signe son premier projet d’immeuble-forêt en Belgique et plus précisément au sud d’Anvers, dans le nouveau quartier en construction Nieuw Zuid. En 2014 en plein cœur de Milan, il avait déjà réalisé le Bosco Verticale,2 tours résidentielles de 80 et 112m de haut, dont les balcons étaient plantés d’1ha de forêt, soit 900 arbres et des milliers d’arbustes. En 2022, le Palazzo verde ou « immeuble-forêt » ouvrira ses portes, soit 50 appartements aux toits et terrasses plantés de 86 arbres, 1000 arbustes et 1200 plantes vivaces. De quoi purifier cinq tonnes de CO2 par an, selon Triple Living, le développeur du projet.

Babylone

Dans les villes, faute de place à l’horizontale, les espaces verts sont de plus en plus restreints. Il est dès lors urgent d’installer de la chlorophylle au bord des fenêtres, d’aménager des jardins à la verticale et des toitures végétalisées. Les murs végétaux sont apparus avec Patrick Blanc, paysagiste, botaniste, spécialisé dans l’étude des plantes de sous-bois en milieu tropical qui a mis au point un système de culture verticale hors sol. Peut-être avez-vous déjà admiré les façades du Musée des Arts Premiers au Quai Branly à Paris.

Le concept n’est pas nouveau. Déjà aux VIIème et VIIIème siècles avant JC, les jardins suspendus de Babylone enchantaient la région alors que depuis mathusalem en Scandinavie, il est de tradition de recouvrir les toits des maisons en bois par des mottes de gazon et des couches d’écorces de bouleau dans le but de se protéger du froid hivernal.

Hundertwasser

Friedensreich Hundertwasser, né Friedrich Stowasser (1928-2000), peintre, penseur, architecte, humaniste et écologiste est un artiste complet. Inspiré des œuvres d’Antoni Gaudi et de celles de Gustav Klimt, il est l’instigateur d’un renouveau artistique. Refusant la rigidité de l’architecture classique, l’uniformité, la monotonie et la ligne droite, – un danger créé de toutes pièces par l’homme -, il préfère jouer avec les courbes plus vivantes et surtout irrégulières. Le résultat ? Des façades gaies et multicolores, des ouvertures et fenêtres asymétriques, des formes audacieuses, libres, légèrement excentriques, en fait tellement typiques des années 60 et 70. Les sols sont ondulés, les colonnes bigarrées, les patios envahis par les plantes grimpantes ou retombantes, le tout dans un joyeux mélimélo.

Amoureux de la nature, – source d’harmonie universelle -, il l’invite dans son univers en intégrant dans ses immeubles des toits végétalisés ou des terrasses arborées afin littéralement de construire des paysages urbains écologiques. En réalité, Hundertwasser décide de réaliser son rêve de reboiser la ville en plantant sur les toits des arbres qui contrôleraient l’écoulement des eaux et contribueraient à diminuer le taux de pollution. Avec eux, il essaie d’améliorer le cadre de vie général dans un environnement idéal à protéger. Par ailleurs, il propose des « arbres locataires » à l’intérieur des appartements qui installés devant les fenêtres, vivent les racines dans le compost « maison » tout en retrouvant leur liberté en poussant vers l’extérieur, hors des façades. Voici venir l’idée d’un certain « droit à la fenêtre », qui permettrait à chacun de se l’approprier et de la décorer selon ses humeurs.

Le combat d’Hundertwasser intervient dans un climat particulier propre aux années 70 en Allemagne et en Suisse. Non seulement des livres et articles sur la végétalisation des toitures y foisonnent, mais diverses stratégies y sont déjà mises en œuvre. Le leitmotiv étant de rendre à la nature les territoires usurpés et dévastés en replantant la moindre parcelle de surface plane, en ce compris les friches industrielles, tout en acceptant la végétation spontanée comme les mousses et mauvaises herbes.

Pionnier visionnaire de l’architecture écologique, il réfléchit également très tôt, à l’impact de la vie urbaine sur le traitement des déchets. Il ambitionne une société zéro déchet où tout serait recyclé sans pollution et dans le plus grand respect de la nature. Il met au point différents procédés biologiques d’épuration de l’eau en faisant intervenir des plantes aquatiques : jacinthes d’eau papyrus, prêles, Alocasia pour l’intérieur des immeubles ; roseaux, massettes, menthe aquatique ou iris jaunes pour l’extérieur. Il prône aussi les toilettes sèches, l’idée étant de mettre le compost des excréments humains, – l’or noir -,  et les eaux domestiques usées à la disposition des arbres qui habitent dans les immeubles d’où proviennent ce même compost. C’est ce qu’aujourd’hui on appellerait un circuit court.

Hundertwasserhaus à Vienne 

Construite dans les années 80, probablement un de ses chefs- d’œuvre, la Hundertwasserhaus, un des lieux les plus visités de Vienne, est reconnue comme un bijou architectural, source d’inspiration pour des générations à venir de bâtisseurs verts. Cet immeuble de logements collectifs, – on pourrait dire un HLM à l’allure étrange -, est construit avec des matériaux colorés, divers et variés. Pour lui, un lieu de vie exceptionnel avant tout extrêmement convivial : « The house is a step in human progress in the direction of harmony with nature and creativity » (Hundertwasser, Harry Rand, Editions Taschen 2007). Pour atteindre cet objectif, 900 tonnes de terreau et plus de 250 arbres et arbustes sont installés sur le toit ou les balcons dont ces fameux « arbres locataires » qui traversent allègrement les fenêtres plutôt …hétéroclites.

Hundertwasser est décédé en 2000 d’une crise cardiaque. Il repose depuis dans le « jardin des morts heureux » … sous un tulipier.


Pour en savoir plus : www.hundertwasser.com

Partager