Annemie Maes, jardinière urbaine à deux pas de la Grand-Place de Bruxelles

« Je vois les toitures vides et mortes comme un patchwork de toiles vierges. Je les traite avec un pinceau « nature » …La ville devient alors un grand écosystème. A continuous productive urban landscape. » Annemie Maes

Le jardin d’Annemie Maes est différent. Insoupçonnable. Curieux. Étonnant. Pour le découvrir, au beau milieu du quartier Sainte-Catherine à Bruxelles, il faut s’aventurer dans un complexe de parking urbain plutôt sinistre, – comme ce genre d’espace peut l’être -, et dénicher dans la pénombre la porte de l’ascenseur. Le sésame. Puis, au 6ème étage, le dernier de l’immeuble, on arrive dubitatif mais impatient dans l’espace de vie d’Annemie.  A une hauteur d’environ quinze mètres, se cache un appartement discret, moderne, accueillant et lumineux dont les portes et fenêtres s’entrouvrent sur une immense terrasse ensoleillée. 7 ares de toiture verte ! Mais pas seulement. Un potager, un verger, une serre et des ruches complètent le tableau. Et cerise sur le gâteau, une vue à 360°, avec en ligne de mire l’église Sainte Catherine, la place Sainctelette, la tour du Midi ou la flèche de l’hôtel de ville. Flotte alors dans l’air de ce lieu gorgé de chaleur, une odeur de garrigue, échouée au dessus des toits de la capitale. Les bruits s’estompent. Le silence est d’or.

Jardinière militante

Le décor est planté. Annemie, artiste multimédia, green activist à ses heures en est la créatrice. Graphiste et plasticienne, elle appartient à un collectif d’artistes soucieux d’écologie, d’art et de médias du nom d’OKNO, « media -art-ecology », qui collabore à différents projets urbains. A la fois verts et innovants, ils unissent art et technologie.

Pour elle, un toit vide tapissé de roofing n’est rien d’autre qu’une toile vierge. Elle décide de le transformer en jardin. Petit clin d’œil au cloître du couvent des Dames Blanches dit de Jéricho qui jadis se trouvait là, à cet endroit. L’idée est belle, la boucle est bouclée. N’étant pas paysagiste, elle laisse libre cours à son imagination débordante. Ce jardin, elle le désire comme un simple terrain d’expérimentation, d’adaptation de plantes en milieu urbain. En d’autres mots, un lieu fonctionnel. Viendra ensuite, sur la toile, le temps d’un travail plastique et graphique où elle mêlera films, documents, livres, photos, sociologie, écologie et philosophie. D’emblée, elle réalise un site web, www.opengreens.net, véritable jardin virtuel dédié à la création artistique. Appartenant à un réseau européen de jardins virtuels, il développe une base de données destinée à générer de nouvelles expériences de jardinage urbain bien réelles cette fois.  

Annemie avoue que sa recherche artistique reste assez libre. Pour elle, tout est interconnecté, comme sur le web. Avant tout, l’homme et la nature. Le passé et le présent. Les us et coutumes de grands-mères et les nouveaux défis d’aujourd’hui. Le fait de vivre durablement et la prise de conscience que les ressources ne sont pas inépuisables.

Agricultrice

Concilier son amour de la ville avec un besoin vital de campagne devient son principal défi. Influencée par l’Urban farming, mouvement né en Amérique afin de réconcilier cité et écologie, persuadée qu’il y a de la place en ville pour la production de nourriture, elle transforme l’univers artificiel de sa terrasse en terre nourricière. Un jardin comestible pour tous, animaux y compris, à cultiver selon les principes de la permaculture, cette philosophie ou plutôt mode de vie respectueux de l’environnement.

Pour y arriver, elle met en pratique la technique de l’Edible forest Garden basée sur l’observation de la forêt où différents étages de végétation, – arbres, buissons, herbes, plantes grimpantes, champignons et racines -,  se superposent harmonieusement. Chez elle, dans son jardin, prennent place à la fois des arbres et arbustes, principalement des fruitiers mais également des plantes vivaces, annuelles, couvre-sol et grimpantes. Sans oublier légumes et herbes aromatiques. Dans cette vision globale et dans l’idée de cultiver une toiture verte intensive, elle se passionne alors pour la botanique, la culture potagère, l’herboristerie et les plantes tinctoriales. Elle étudie les conditions extrêmes du lieu tels le sol peu profond, le vent et la chaleur et décide d’installer une cabane pour protéger sa terrasse des vents froids du nord. Le résultat est un microclimat lui permettant d’acclimater des plantes méditerranéennes comme les lavandes, figuiers et oliviers devenus au fil du temps véritablement indigènes. 

Quelques plantes sauvages s’invitent toutes seules. Pour son plus grand bonheur. Toutes peuvent se ressemer du moment qu’elles plaisent aux insectes et aux oiseaux. Ombellifères, fenouil, bourrache. Et comme il s’agit d’un jardin principalement comestible, il doit être un minimum entretenu. Les plantes invasives et toxiques sont éliminées à la main ainsi que les herbes dites mauvaises qui pomperaient trop d’humidité dans ce sol superficiel.

Urban Farming

L’Urban Farming est un mouvement, une philosophie née essentiellement aux Etats-Unis dans le but d’établir et développer des jardins dans des espaces non utilisés. Des jardins essentiellement alimentaires. Avec la pratique de la permaculture, ce mouvement a rapidement gagné le reste du monde.  www.urbanfarming.org

Edible Forest Garden

Cette méthode ancestrale et traditionnelle d’étagement des végétaux est pratiquée à l’origine sous les climats tropicaux. Aujourd’hui, on s’inspire de cet environnement qu’est la forêt pour créer un écosystème alimentaire et comestible  dans n’importe quel jardin et par n’importe qui. www.edibleforestgardens.com

Permaculture ?

Le mot permaculture est né en 1978 lorsque deux australiens publient le livre : Permaculture One. Ils y expliquent leur mode de pensée visant à développer des écosystèmes équilibrés et productifs, soit des groupes harmonieux de plantes et d’animaux. Comme dans la forêt. Comment faire pratiquement ?  En diversifiant les plantes de son jardin et en multipliant les interactions bénéfiques entre les différentes espèces.

Apicultrice

Fascinée par le voyage des plantes, par le jardin en mouvement de Gilles Clément, elle se tourne  tout naturellement vers le monde des abeilles, ces insectes sociaux qui ont l’art de vivre en groupe. Un véritable coup de foudre. Pour Annemie, pas de permaculture sans les abeilles. Et comme en ville, il n’y a pas de pesticides agricoles, elles y vivent plutôt en bonne santé. En plus, elles offrent à qui sait les comprendre de précieuses informations sur les écosystèmes dans lesquels elles grandissent.

 Elle installe 5 ruches, plante des végétaux mellifères dont le précieux Tetradium daniellii appelé aussi l’arbre à miel, aux 100.000 fleurs, incomparable par sa floraison parfumée de fin de printemps et d’été. Petit à petit, elle devient apicultrice. Sans trop de difficultés. Elle surveille les colonies, observe leur comportement et communique ses observations aux autres jardiniers apiculteurs sur les toits de Bruxelles. Des récoltes abondantes et savoureuses viennent la récompenser. Un miel au goût floral, mentholé ou à l’arôme de tilleuls nombreux dans le quartier. Dorénavant les voisins d’Annemie viennent chez  elle y « goûter » leur quartier.

Premier jardin

C’est en 2009 que lui vient l’envie d’un vrai jardin. Autour des ruches. Puisqu’elle a des idées et n’a peur de rien, elle démarre à l’époque son premier projet d’écologie urbaine, les études de faisabilité – solidité et étanchéité-  en poche. Le défi est de taille. Transformer 350 m² de roofing inhospitalier en un milieu le plus naturel possible où pourront vivre de concert, fleurs sauvages, fruits, légumes, arbustes et arbres. Elle le parsème de buttes de terre pour y planter les arbres et de quelques carrés surélevés destinés aux plantes potagères. Des végétaux en priorité mellifères. Les fraises des bois se faufilent et envahissent la zone. Pour les oiseaux. Ailleurs, thym et sarriette forment vite un tapis odorant. On se croirait dans le midi. Le résultat est à la hauteur de ses espérances.

Deuxième jardin

En avril 2012, elle décide avec enthousiasme de doubler sa surface jardinière en colonisant une deuxième parcelle surélevée. Le jardin d’en haut plus dégagé et plus exposé, est voué à la culture d’un vrai potager associé à un petit verger. La voici bientôt à la tête de 7 ares de toitures vertes. Des dizaines et des dizaines d’anciens cagots à pommes sont récupérés comme bacs de plantation. Disposés à même le sol, remplis de terre et de compost, ils accueillent des tas de légumes différents. Dans les plus grands et plus profonds prennent place des arbres fruitiers. Une griotte de Schaerbeek, un néflier, un mirabellier et un mûrier. Et cela marche. Elle pratique la rotation des cultures, couvre les plantations avec de la paille pour les protéger du soleil et pour maintenir l’humidité. Elle veille à leur nourriture et leur donne une bonne dose de compost « fait maison » ou des granulés de fumier de cheval séché. Comme dans n’importe quel potager. Les bacs à compost sont cachés au nord derrière la cabane, près du petit bois composé d’amélanchier, aubépine et érables champêtres. Un arrosage automatique vient alléger la corvée d’eau.

En plein milieu de ce nouvel espace, trône une serre préfabriquée en aluminium et verre qu’elle a montée sur place. A l’intérieur, 150 kg de tomates et tout autour des couches pour les semis et les plantes plus délicates. Aubergines, avocats, l’épinard grimpant de Malabar assez rare, quelques plantes médicinales réputées pour leurs vertus comme le Symphytum officinale ou le Solidago canadensis et d’autres à vocation tinctoriale comme l’indigo, Indigofera tinctoria, une plante des régions chaudes. Magique.

                                                          

Annemie rêve d’un champ de blé ou d’un chemin dans le gazon, bien vert en hiver, sur lequel elle pourrait marcher pieds nus. La tête dans les nuages, elle songe à un autre passage dans la ville, un corridor biologique sur les toits. De quoi faire école et rendre la ville plus verte…

                                                              

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