C’est à Aartselaar non loin de l’Escaut, qu’Anne et son mari Jean-François restaurent une vieille ferme familiale entourée de trois hectares et bordée de 4 drèves, des hêtres et des chênes, datant de la fin du 18ème siècle. Tandis qu’un golf est aménagé en bordure de la propriété, elle commence à planter un petit jardin formel et structuré devant la maison. Imprégnée de la tradition jardinière maternelle – sa mère est membre d’un cercle horticole dans le Condroz – et forte d’une première expérience à Ohain, elle décide de se mettre au travail. A Aartselaar, la place ne manque pas, elle peut voir grand ! Son mari ingénieur plus doué qu’elle en matière de perspective et de proportions met ses idées en musique.
Petit-à-petit, un jardin prend forme.




La dendrologie
La rencontre de Philippe de Spoelberch et la découverte de son domaine d’Herkenrode provoquent chez elle un véritable déclic. La beauté du lieu, l’érudition et la gentillesse de son propriétaire, l’envie d’en savoir plus et de réaliser quelque chose l’entraînent dans une incroyable spirale verte. Les yeux émerveillés, les oreilles étourdies de noms barbares et latins, elle repart les bras chargés de souvenirs … des réductions d’arbres certes et des magnolias bien évidemment ainsi qu’un nouveau carnet d’adresses. Michel Decalut de l’arboretum Waasland et le Docteur Antoon De Clercq y figurent en bonne position.
Mettre la main à la terre et vivre parmi les arbres deviennent désormais une nécessité et l’inscription comme membre de la Société Nationale de Dendrologie Belge suit tout naturellement avec son lot de visites, journées d’étude et rencontres enrichissantes. Elle en est d’ailleurs toujours la secrétaire appréciée de tous.
Curieuse, elle dévore magazines horticoles et livres, tels Les Jardins d’Eden et les passionnantes monographies de Timber Press. La dernière trône encore sur la table de salon, A natural history of conifers, d’Aljos Farjon.
Xavier Misonne, ancien directeur de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique et Professeur à l’université de Louvain, dendrologue averti et auteur de plusieurs livres lui a légué sa bibliothèque. Elle lui est extrêmement reconnaissante.
Autodidacte, elle se prend au jeu de la botanique. Les ouvrages dont La botanique redécouverte d’Aline Raynal-Roques ( Editions Belin 1994) et Le monde fabuleux des plantes de John King (Editions Belin 2004), sont devenus ses références.
Q. imbrica Liquidambar formosana Ginkgo biloba ‘Tubifolia’
Le coup de cœur
Elle renonce à toute collectionnite aigüe. Pas question d’introduire le Viburnum rhytidophyllum sans intérêt, en revanche elle ne peut résister au joli Viburnum setigerum pas assez présent dans les jardins ou au magnifique feuillage d’automne du furcatum. Elle choisit au coup de cœur, des sujets d’origine botanique ou d’intéressantes nouveautés, en privilégiant les plantes à baies et celles qui colorent bien à l’automne. Les baies ? De plumes ou de poils, la faune doit y trouver son bonheur ! Les merles adorent celles de l’Ilex verticillata ou du Cornus controversa alors que les faisans se jettent sur celles des Leycesteria formosa et des Nyssa sylvatica. Des petits semis naturels colonisent d’ailleurs tous les recoins du jardin. Cette part d’inconnu lui plaît et la pousse à la tolérance. L’Euonymus oxyphyllus a lui aussi une place de choix. Joli et facile, ses grosses baies rouge vif attirent du monde.
Nyssa sylvatica ‘Autumn Cascade’ Viburnum furcatum Viburnum setigerum
Leycesteria formosana Sorbus hupehensis var obtusa Tetradium d.
Elle n’aime guère tailler. Si les branches d’un arbre traînent jusqu’au sol, elles finissent toujours par faire des heureux …les oiseaux s’y réfugient. Dans les zones plus sauvages du jardin, elle ne fauche qu’en partie pour sauvegarder cette faune, précieuse compagne du jardinier. Elle nous avoue même avoir planté deux petits massifs de Phlox subbulata au bord de la terrasse pour satisfaire les lièvres qui en sont si friands.

Jouer avec les couleurs d’automne, quoi de plus naturel quand on aime les arbres. Il est temps de rendre honneur à cette saison… et de ne pas concentrer toute son énergie dans le printemps…
Parrotia persica Nyssa sinensis Cercis canadensis ‘Forest Pansy’
Euonymus alatus Liquidambar acalycina Acer mandchouricum
Les feuillages, par leur forme, leur couleur et leur texture l’intéressent. Elle aime associer les longilignes aux arrondis, les dorés aux différents verts, les brillants aux mats.
Cerathoteca triloba Cladastris kentukea ‘Rosea’ Alungium platanifolium
Les végétaux sont sélectionnés en fonction de la qualité du sol. Ici, une bonne terre limoneuse – on n’est pas loin de l’Escaut -, à tendance acide. Petit inconvénient, à Aartselaar, les plantes poussent parfois trop vite et trop haut, elle doit alors les tuteurer. Et la nappe phréatique très haute endommage les racines des plantes lors des hivers pluvieux. Terre inhospitalière aux conifères, elle parvient malgré tout à introduire de semis, Cupressus sempervirens et Cryptomeria japonica.
Cryptomeria japonica Elegans Group Détail
La méthode
Anne Leitner est très organisée ; cela aide quand le jardin est grand. La liste de plantes en est un exemple. Un jardinier lui donne un coup de main pour les « gros travaux ». Mais il lui est interdit de planter et pulvériser…cela reste de son ressort. Sans hésiter, elle fourbit binette et faux, certaine que pour protéger la nature, chacun devra réapprendre les gestes du cantonnier. Les batraciens sont moins décimés par la faux que par les pulvérisations chimiques dont une seule goutte les fait passer de vie à trépas.
Les semis ? Elle pensait que ce n’était pas pour elle vu la taille de son terrain d’expérimentation. Et puis, saurait-elle patienter ? Elle se souvient des paroles de Philippe de Spoelberch qui lui disait : « prends cette graine et essaies…tu verras c’est si facile ». Et à force de côtoyer les dendrologues, elle est définitivement devenue « accro ». « C’est tellement gai lorsque les semis dépassent les espérances. Quelle joie de pouvoir les distribuer aux amis ! » Chaque plante a son histoire : « celle-ci est un cadeau d’untel et celle-là récoltée à tel endroit au Chili. » Elle rappelle avec humour qu’André Charlier, dendrologue confirmé, peut très précisément dire dans quel village grec et sur quelle route de campagne il a récolté des glands de Quercus trojana … Le jardinage, avant tout un terreau de rencontres …
Dans le bulletin de la Dendrologie belge, elle énonce les règles élémentaires du semis, « si vous voulez éprouver un sentiment de paternité en semant des graines récoltées dans la nature, et cela sans vous prendre la tête. » Les voici. Tout d’abord, se munir de sachets en plastique et d’une veste à poches multiples. Sans oublier un crayon pour noter le nom de la plante, sa provenance et la date de la récolte. Ensuite, dès le retour à la maison, nettoyer la graine en la frottant avec du papier absorbant et en la « roulant » sur du papier. Lorsque la graine est prête, la glisser dans un conteneur d’environ 20 cm de diamètre empli d’un mélange de terreau, de sable et de granulés d’Osmocote pour nourrir la plante au début. Enfin, installer le pot à l’extérieur avec une étiquette car le semeur a lui aussi la mémoire qui flanche. Au printemps suivant, ne pas oublier de jeter un coup d’œil aux protégées car dès qu’il y a un peu de chaleur, la germination se met en route. Et là ça passe, ça pousse ou ça casse ! Dès l’apparition des premières feuilles, il est déjà temps pour les plantules de rejoindre la pépinière. En quelques mois, elles grandiront en âge et en sagesse et le tour sera joué. Anne précise que grâce à cette méthode, on peut facilement acclimater des plantes à la limite de la rusticité car elles apprennent à s’endurcir dès leurs premiers hivers. Elle se souvient du semis de Firmiana simplex, une sterculiacée exotique dont elle avait ramassé les graines lors d’un voyage en Italie. Aujourd’hui, il se porte à merveille et étonne les visiteurs. Tout comme l’Aphananthe aspera, une jolie ulmacée. Persuadée qu’elle ne les aurait jamais réussis en plantant directement des grands sujets.
Firminiana simplex Détail
Quant aux boutures, à part les Hydrangea et les Fuchsia, elle ne s’y risque plus.
H. aspera ‘Spinners’ H. heteromala ‘Nepal Beauty’ H. heteromala ‘Snowcap’
Leitneria floridana
Quelle ne fut pas la surprise de son mari Jean-François lorsqu’il découvrit dans une encyclopédie scientifique, un petit arbre au nom de Leitneria floridana ! Un inconnu appartenant au régiment des leitneriacées, découvert en Floride par un certain Docteur Leitner. Son bois très léger servait à fabriquer les flotteurs des cannes à pêche …Aujourd’hui il a quasiment disparu. On croit rêver… La rencontre entre Anne Leitner et le Leitneria eut lieu en 1997 à l’Arnold Arboretum de Boston. Quelques mois plus tard, Anne reçoit d’amis dendrologues, un tout petit Leitneria en pot. Planté dans l’endroit le plus humide du jardin -c’est son habitat de prédilection -, elle patiente quelques années pour connaître le sexe de cet arbre dioïque. Une première floraison la comble de joie en 2003 et petit à petit, une population clonale femelle prospère. Lors d’un second voyage dans l’Illinois, elle reçoit 3 sujets mâles pour tenter « l’opération ». Dès l’année suivante deux des trois produisent des fleurs. Installés à proximité des plantes femelles, celles-ci se mettent à porter des fruits en 2007. Peut-être les premières fructifications d’Europe ?

Visite du jardin
A chaque plante, son histoire. Commentaires et souvenirs se succèdent au fil de la visite, sous le soleil chaud de fin juillet. Près de la maison quelques frileuses se rassemblent le long des murs. Firmiana simplex, Hippophae rhamnoides, Carpentaria californica et Daphniphyllum macropodum pour n’en citer que quelques-unes. Un Setaria palmifolia, en pot, qui rappelle « le plissé Hermès » et les petits bulbes de Zephyranthes candida à l’allure de crocus d’été s’épanouissent entre les pavés.
Hippophae rhamnoides Zephyranthus candida
La première partie du jardin est plus formelle avec ses quatre carrés de vivaces plantés par couleur. Les clochettes roses du Dierama s’y balancent et ponctuent différents massifs. Le terrain de golf voisin n’est jamais très loin.
Dierama p.
Puis deux hectares plus sauvages de bois, partagés en îlots ébouriffés nous attendent. Une première partie dénommée « Tsugabos » en l’honneur du premier arbre planté, un Tsuga diversifolia et la deuxième appelée « Toonabos » en hommage au plus grand spécimen du coin, le Toona sinensis.

Avant d’y arriver, un magnifique Nyssa sylvatica ‘Automn cascade’ étale sa « robe de mariée » au bord d’un massif qu’Anne est obligée d’agrandir chaque année. Plus loin, un Olearia x haastii buissonnant et bien touffu à la longue floraison blanche et un Comptonia peregrina, une myriacée au joli feuillage aromatique. Les étoiles blanches mellifères d’un Hoheria sexstylosa au feuillage également persistant rappellent le jardin de Sissinghurst où Anne l’a aperçu la première fois. Elle nous fait l’éloge du Xanthorhiza simplicissima, une renonculacée originaire des forêts de l’est des USA, très solide, drageonnant à souhait, qualité requise pour tout bon couvre-sol. A petites fleurs pourpres au printemps, au feuillage d’abord bronze puis vert vif, terminant rouge pourpré à l’automne, d’une hauteur de 50 cm, il accepte même l’ombre totale. Il ne faut jamais s’en occuper ni le tailler tel un Epimedium car il se débrouille tout seul. Un seul petit défaut : il pousse assez lentement. Anne enchaîne avec le Microbiota decussata, un conifère d’origine sibérienne, aux pousses vertes puis brun- rouge, à port prostré, autre excellent couvre-sol avec son air de genévrier étalé.

Olearia x h. Comptonia p. Hoheria s.
Deux Quercus phillyreoides au feuillage persistant sont postés l’un à côté de l’autre. L’un a un port en boule d’1m50, l’autre presque fastigié se dresse vers le ciel à 3 m … Le premier est le vrai et vaut la peine d’être introduit dans les petits jardins. C’est à Kew Gardens, école de botanique à ciel ouvert qu’elle l’a découvert.
L’élégant Stachyurus salicifolius aux tiges rouges, jeune feuillage bronze et racèmes pendants jaune pâle qu’elle a toujours rêvé d’avoir côtoie un Rhamnus frangula asplenifolia, la bourdaine au feuillage encore plus fin et plus gracieux que celui de l’Alnus imperialis. Quelques spécimens de Nothofagus, une famille fascinante découverte lors d’un voyage dans la région des Grands Lacs au Chili, clôturent la visite.
Stachyurus s. Rhamnus f. a. Nothofagus
Tant de petits semis devenus grands ! Les plus beaux jours du jardin sont à venir … Le bonheur y a l’allure d’un Leitneria floridana !!
Les fournisseurs
La nature est et restera son premier fournisseur de plantes. Mais elle succombe souvent aux offres de l’un ou l’autre. Michel Decalut et l’arboretum Waasland certes, mais aussi le pépiniériste Damien Devos ou Dirk Benoit de la pépinière Pavia chez qui elle a trouvé la plupart de ses chênes. Sans oublier la pépinière Van Der Auwera tout près de chez elle et surtout Cees van Ostaayen de la pépinière hollandaise Hulsdonk à Zundert. « Quel bonheur de se rendre notamment au « verzamelaarsdag », d’où l’on revient avec une multitude de minuscules petits pots contenant des raretés bien enracinées aux noms bien étranges ! »
Les graines sont achetées chez Thomson&Morgan et la plupart des bulbes chez Avon Bulbs dans le Somerset qui livrent, par la poste, des plantes saines et bien emballées.
- www.damiendevos.be
- www.pavia.be
- www.vanderauwera.be
- www.hulsdonk.nl
- www.thomson-morgan.com
- www.avonbulbs.co.uk
Sans oublier les amis avec qui il est toujours amusant d’échanger des trouvailles.
Les favorites
Anne éprouve quelques difficultés à marquer sa préférence pour l’une ou l’autre plante. Voici cependant une liste non exhaustive.
Arbres : Ulmus parvifolia, Nyssa sylvatica et sinensis, Nothofagus procera, Quercus bicolor et Zelkova sinica
Arbustes : Hoheria sexstylosa, Neillia thibetica, Comptonia peregrina, Stephanandra tanakae et Halimodendron halodendron
Couvre-sol : Microbiota decussata, Xanthorhiza simplicissima et Pachysandra procumbens
A la mémoire d’Anne,
Anne nous a malheureusement quittés le 30 janvier 2013. Un hommage lui fut rendu dans Éden Magazine.
Ombra Mai Fu
Jamais l’ombre d’aucun arbre ne fut plus douce, plus précieuse, plus agréable ! Haendel.
Anne Leitner nous a quittés sur la pointe des pieds ce 30 janvier dernier. Dendrologue passionnée, secrétaire pendant de longues années de la Société Nationale de Dendrologie belge, elle en était devenue un des ses principaux piliers. Tout en douceur et curiosité, avec gentillesse, élégance mais aussi conviction et rigueur, elle nous a initiés au beau. La nature, les arbres mais aussi les fleurs et les fruits. Elle nous a appris à semer, à voir grandir, à écouter le vent dans les feuilles. Son magnifique jardin que Les jardins d’Éden ont présenté il y a 4 ans dans le numéro 32 sous le titre « De la graine à l’arbre, le jardin d’une dendrologue » était à son image. Structuré, raffiné, haut en couleurs et en frondaisons. En réalité, tout simplement un vrai jardin d’Éden. Beaucoup, nous avons eu la chance de recevoir un de ses « bébés » qui aujourd’hui dans un coin de notre jardin nous rappelle son souvenir. Abraham Rameloo nous a confié que l’Hamamelis ‘Anne’ aux délicates fleurs jaunes légèrement parfumées, né à Kalmthout, serait dorénavant le sien. Sans oublier le Magnolia ‘Anne Leitner’ qui lui est dédié et le Leitneria floridana, une rareté découverte par hasard dans une encyclopédie et aussitôt introduite à Aartselaar.
Aujourd’hui, Anne n’est plus là, elle est sortie dans son jardin.