Photos et documents de Michel Mathy
Beaucoup parmi vous songent sans doute à l’extravagant Désert de Retz ou au jardin romantique d’Ermenonville du marquis de Girardin, là où Jean-Jacques Rousseau est décédé. Ils se souviennent de leurs fantaisies, obélisques, ermitages, tombeaux, grottes, pagode ou colonne tronquée. D’autres se prennent à rêver Outre-Manche à Rousham, Chiswick, Stourhead ou Stowe, tous des modèles du genre attirant leur lot de touristes jardiniers.
Temple dans le parc du château de Scy….un petit air d’Outre-Manche © M. Mathy
En cette période plus ou moins confinée, inutile de partir loin. Chez nous aussi des décors exceptionnels ont, bon an mal an, réussi à traverser les outrages du temps, les vandalismes ou les attaques de la végétation environnante. Appartenant à ce petit patrimoine éphémère, souvent sans utilité véritable, appelé en Flandre « zen », « zonder economisch nut », ils n’attirent pas vraiment les subsides. Heureusement, quelques passionnés irréductibles comme Michel Mathy les mettent en lumière par l’organisation d’une exposition au CIVA à Bruxelles, – Belgian Follies,When architecture embellishes nature-, et l’écriture d’un livre encore en devenir.
Pavillon rococo dans le parc du château de Freÿr © M. Mathy
Fabrique
On les appelle des fabriques de jardin. L’ouvrage des Editions du patrimoine, Jardin, vocabulaire typologique et technique (Paris, 2000, ISBN 2-85822-358-0) les définit :
« Petite construction de jardin… servant de ponctuation à la promenade en ménageant des vues… Edifiées dans les matériaux les plus divers… les fabriques empruntent leur décor à l’architecture de différentes époques ou parties du monde, ou illustrent des thèmes philosophiques, littéraires ou religieux. »
Arrière du pavillon De Notelaer à Hingene © M. Mathy
Mais c’est l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert qui évoque pour la première fois ce terme de fabrique en l’empruntant à la peinture de paysage pratiquée par des artistes comme Claude Gelée dit Le Lorrain, Nicolas Poussin, Hubert Robert ou Gaspard Dughet. Dans leurs toiles, on aperçoit des petites constructions originales inspirées de décors antiques.
Temple de Flore dans le parc du château de Wespelaer © M. Mathy
Grand Tour
Ces tableaux sont découverts par les jeunes gens de bonne famille d’abord britannique, puis européenne, lors de leur « Grand Tour », sorte d’Erasmus actuel, destiné à parfaire leur éducation à la fin de leurs études. Ce voyage initiatique à travers l’Italie et la Grèce durait pratiquement un an. L’occasion d’admirer les décors in situ. Sans oublier les plus anciennes civilisations avec les jardins égyptiens, de Babylone ou de Perse, répliques terrestres du paradis céleste. L’esprit débordant de ces idées nouvelles, ils les emportaient avec eux et revenant au pays, les réalisaient dans leurs domaines.
XVIIIe siècle
Dans l’art des jardins, le XVIIIe est résolument à l’anglaise après un XVIIe à la française et un XVIe à l’italienne. La nature et la campagne y sont magnifiées, le paysage devenant jardin. D’où l’appellation de « jardin paysager ». Si l’eau, les arbres, le ciel et la terre en sont les pièces maîtresses, quelques détails décoratifs viennent animer un jardin pittoresque comme dans un tableau, pour créer des effets esthétiques, des émotions, des surprises ou des haltes agréables.
Pavillon De Notelaer face à la rive de l’Escaut à Hingene © M. Mathy
Sophistiquées ou très sommaires, frivoles, inutiles ou nécessaires, faites de différents matériaux, – pierre, brique, bois ou végétal -, ces fabriques sont inspirées de la mythologie antique, de thèmes philosophiques ou littéraires mais aussi de contrées lointaines comme la Chine. L’architecte français Georges Louis Le Rouge publie entre 1775 et 1788 des cahiers de gravures de jardin reprenant les modèles des nouveaux jardins à la mode, les jardins anglo-chinois. Pagodes à clochettes, pavillons chinois au toit retroussé, tours japonaises à plusieurs étages poussent alors comme des champignons dans les propriétés.
Plan du projet de jardin avec fabriques pour le Prince Evêque de Liège à Seraing © Archives de l’Etat à Liège, Fonds des cartes et plans
Grottes chinoises et autres dans les Cahiers de Le Rouge Projet de jardin avec fabriques dans les Cahiers de Le Rouge
Pour chaque « jardinomane » qui se respecte, l’occasion est belle de réunir et faire coexister en un seul lieu, des époques et régions différentes voire incompatibles, dans le seul but d’éveiller raffinement, plaisir, exotisme ou surprise. Un pont laqué de rouge est alors posé à un jet de pierres d’un obélisque et en face d’une fausse ruine médiévale… Le comble de l’hétéroclite, de l’incongru ou de l’élégance ? Comme le déclare le philosophe Michel Foucault : « le jardin, c’est la plus petite parcelle du monde et puis c’est la totalité du monde ». En tous cas, l’art des fabriques devient depuis lors, une branche nouvelle de l’architecture avec laquelle il faut compter.
Grotte contemporaine à Argenteuil inspirée de la porte de l’Ogre de Bomarzo © M. Mathy
Diversité
Tout est bon pour égayer le paysage. Toutes les formes architecturales du moment qu’elles soient de modestes dimensions. Des cabinets de verdure, ou de maçonnerie, des treillages, tonnelles, belvédères, kiosques, pergolas, ruines ou rochers artificiels, grottes, temples, nymphées, pagodes, mosquées, tentes mais aussi des colonnes ou obélisques, pyramides, tombeaux, arcs de triomphe, ermitages, pavillons des bains, fermes ornées ou rustiques. Sans oublier les surprenants champs Elysées champêtres, véritables galeries à ciel ouvert à la mémoire de personnages célèbres et bienfaiteurs.
Hamal © M. Mathy Chapelle pyramide du château de Hamal © M. Mathy
Pavillon chinois de Ramezée © M. Mathy Pavillon chinois de Waleffes © M. Mathy
Au début du XIXe, des fabriques d’utilité viennent compléter la panoplie. Pour ajouter l’efficace à l’agréable. Poulailler, colombier, vacherie, bergerie, volière, glacière, faisanderie ou fruitier, espaces de rangement… Des orangeries et serres nécessaires à la protection des végétaux exotiques complètent le tableau.
Enghien
Pavillon des 7 étoiles à Enghien © M. Mathy Idem
A Bruxelles, au parc royal, on relève déjà dès le XVIe siècle, le projet d’une fabrique, un pavillon de treillage sur pilotis. Mais le premier grand témoignage est érigé un siècle plus tard, à Enghien, dans le jardin baroque. Au centre d’un plan d’eau circulaire situé à l’endroit le plus haut du domaine, le pavillon heptagonal des 7 étoiles avec son élégante colonnade est le point d’orgue et de convergence de 7 allées plantées, reliant la ville et l’horizon. Grâce à un escalier escamotable caché sous une trappe à l’abri du pont, il était permis d’atteindre le belvédère et d’avoir une vue d’ensemble. A une époque où l’astronomie est pratiquée par certains érudits, il devient à la fois un observatoire, un calendrier donnant avec précision les solstices d’été et d’hiver et une description scientifique de la course du soleil. Plus loin, un pavillon chinois, autre témoin remarquable de cette tradition a été entièrement restauré. https://www.enghien-edingen.be/fr/loisirs/tourisme/parc-enghien
Schoonenberg, château royal de Laeken
Tour japonaise dans le parc du château de Laeken © M. Mathy
Le domaine du Schoonenberg à Laeken est acquis en 1782 par Marie-Christine d’Autriche et son mari Albert de Saxe-Teschen, alors gouverneurs des Pays-Bas autrichiens. Ils commandent la construction d’un château à l’architecte français De Wailly et le dessin d’un parc paysager à l’anglaise au célèbre Lancelot ‘Capability’ Brown. Pour être au goût du jour, des fabriques sont également mises en scène. Le chantier est mené entièrement par les propriétaires et Albert de Saxe-Teschen se prenant au jeu, dessine lui-même grottes et pavillon. Cela dit, le temple de l’Amitié réalisé par De Wailly, belvédère au sommet d’une butte, côtoie une tour chinoise ainsi qu’une orangerie, toutes deux démolies à la fin de l’Ancien Régime. Léopold II les remplace par une tour japonaise, aperçue à l’exposition universelle de Paris, qu’il fait démonter pour la replacer près des nouveaux pavillons et kiosques chinois.
Attre
Gravure d’Alexandre Boëns © Archives de l’Etat à Mons Rocher dans le parc du château d’Attre
A la fin du XVIIIe à Attre, le comte de Gomegnies décide d’ériger sur une grotte, un immense rocher promontoire pour permettre à Marie-Christine d’Autriche et son mari de guetter le gibier lors des 2 jours de chasse annuels. Assemblé pendant 8 ans avec des pierres sèches, sans ciment, il forme un énorme tas de pierres aménagé sur 5 niveaux de plus de 24m de haut. Dans le parc classé autour du château Louis XV, la promenade est aussi ponctuée de passages secrets, de colombier, grotte, pavillon des bains en forme de temple et chalet perché au-dessus d’une ancienne carrière. https://walloniebelgiquetourisme.be/fr-be/content/chateau-d-attre et Parcs et jardins historiques de Wallonie, de Nathalie de Harlez de Deulin, Institut du Patrimoine wallon 2008
Beloeil
Temple de Morphée au château de Beloeil © M. Mathy
Beloeil, propriété des princes de Ligne depuis le XIVe, cache des jardins somptueux où coexistent jardins à la française et à l’anglaise. Ces derniers sont créés par Charles-Joseph, passionné de jardins, homme de lettres fréquentant les plus grandes cours européennes. Auteur de différents ouvrages dont un intéressant Coup d’œil sur Beloeil, il nous invite non seulement à découvrir les embellissements de son parc mais aussi ceux des plus remarquables d’Europe. A la recherche de « menus plaisirs », il commande chez lui, divers projets de fabriques, – mosquée, temples, ruine, cascade, mausolée, obélisque, pavillons, grottes, volières -, à installer parmi les bosquets, charmilles et vergers. Tous ne sont pas exécutés mais certains dessins sont repris comme modèles dans les célèbres Cahiers de Le Rouge. Le temple de Morphée et celui de Pomone, plus ancien, sont conservés.
http://www.chateaudebeloeil.com/chateau-de-beloeil-le-versailles-belge/
« Je ne connais rien de plus beau et de mieux travaillé que le temple et le pavillon » Charles-Joseph de Ligne, Coup d’œil sur Beloeil, 1781
Wespelaer
Obélisque dans le parc de Wespelaer © M. Mathy Grotte
Les nombreuses fabriques du parc de Wespelaer appartenant à la famille Spoelberch, datent du début du XIXe. Elles sont l’œuvre de l’architecte paysagiste Henry associé au sculpteur Godecharle. De-ci, de-là, un temple de Flore sur une étonnante cave fruitière de plus de 19m de long, une grotte à l’extrémité d’une presqu’île, une pyramide sur une glacière surplombant le grand lac et un obélisque au centre de l’Elysée aujourd’hui disparu qui abritait 37 bustes de célébrités.
Le parc de Wespelaar, Le jardin anglais en Belgique au XVIIIe siècle, de Xavier Duquenne, Editeur Philippe de Spoelberch 2001)
Fabriques contemporaines
Labyrint, Gijs Van Vaerenbergh © Filip Dujarin Labyrint, Gijs Van Vaerenbergh © Filip Dujarin Idem
Aujourd’hui, les fabriques n’ont pas fini de faire rêver ! Quelques-unes enchantent des lieux privés comme notamment celles aménagées dès 1993, dans le plus pur esprit pittoresque, dans l’ancien parc du château de Scy. Près de Lubbeek, cachés à l’arrière du château de Gellenberg, un charmant petit hameau miniature est construit en 1938 par les enfants de la maison ; à Knokke, un immense dragon de l’artiste Niki de Saint-Phalle investit en 1975 le jardin de la propriété Nellens. Plus proches de nous, les architectes magiciens, Pieter Jan Gijs et Arnout Van Vaerenbergh perpétuent la tradition. Avec eux, de curieuses installations ou sculptures, véritables expressions contemporaines des fabriques. Notamment une grotte temporaire au Palais des Académies, une église en bois à Borgloon ou un labyrinthe, élément ludique d’un espace extérieur où l’on joue avec les perspectives, le regard et le paysage. www.gijsvanvaerenbergh.com
A visiter
Pavillon chinois au château d’Hex © M. Mathy
Freÿr Alden Biesen
Outre, les parcs d’Enghien, Attre et Beloeil, il est possible de voir d’autres fabriques comme :
- Pavillon Louis XV du parc de Wolvendael à Uccle. http://www.louisXV.be/
- Belvédère et obélisque du parc Solvay. http://chateaudelahulpe.be/domaine/fr/presentation_promenades
- Temple, grotte et pavillon d’Alden Biesen à Bilzen. https://www.alden-biesen.be/
- Pavillon Frédéric Salle à Freÿr. http://www.freyr.be/
- Pavillon De Notelaer sur une digue de l’Escaut à Hingene. https://notelaer.be/
- Grotte du Boekenbergpark à Deurne. https://museumboekenberg.be/
- Pavillon chinois, chaumière du philosophe, sépulture d’un cheval à découvrir lors des fêtes de jardin à Hex. https://www.hex.be/fr/
- Pont et grotte du parc Drie Fonteinen à Vilvoorde. https://www.vilvoorde.be/activiteiten/detail/202/park-drie-fonteinen
- Pavillon baroque restauré bientôt accessible et arc de triomphe à Gaasbeek. https://www.kasteelvangaasbeek.be/fr/parc-et-jardin
Pavillon Louis XV dans le parc de Wolvendael à Uccle © M. Mathy