Photos de l’Atelier Éole et de Marie Noëlle Cruysmans et documents de l’Atelier Éole et du Musée van Buuren
Une récompense de la Commission Européenne pour un jardin privé ? Ce n’est pas courant ! Et pourtant. Un magnifique jardin des années 30 est ressuscité et reconnu par-delà nos frontières grâce à l’architecte paysagiste Anne-Marie Sauvat
Oui, cela se passe bien près de chez nous à Bruxelles, plus précisément à Uccle, avenue Léo Errera, n° 41, derrière une étonnante maison de briques rouges aux toits pointus, chef d’œuvre art déco, ayant appartenu jusqu’en 1970 à David et Alice van Buuren et devenu aujourd’hui le Museum van Buuren.
Le 11 juin dernier à Oslo, dans le cadre du Congrès du Patrimoine Européen, 28 lauréats choisis parmi 263 candidatures venant de 29 pays ont reçu le Prix du patrimoine culturel de l’Union européenne, soit le prix le plus prestigieux dans le domaine du patrimoine. Parmi eux, Anne-Marie Sauvat et son travail de restauration du jardin van Buuren, le seul dossier primé pour la Belgique.
Première roseraie avant Pendant
Première roseraie après
Prix du patrimoine culturel de l’Union européenne/Concours Europa Nostra
Lancé en 2002 par la Commission européenne et la fondation Europa Nostra (Fédération européenne des ONG dans le domaine du patrimoine), ce prix a pour objectif de mettre en lumière, soutenir et promouvoir les meilleures pratiques dans le domaine de la conservation et de la promotion du patrimoine. Qu’il soit bâti ou jardiné.
Toute organisation ou tout citoyen européen peut se porter candidat. Un jury composé d’experts indépendants se charge de sélectionner un maximum de 30 projets innovants dans différentes catégories: conservation, recherche, contribution exemplaire et éducation, formation, sensibilisation.
Art déco

Le jardin de l’avenue Errera est en réalité le seul jardin privé « classé » ouvert au public à Bruxelles. Créé dans les années 1927 et 28, avant le début de la construction de la villa comme chez tout passionné de verdure qui se respecte, il a une superficie de 26 ares. David van Buuren, banquier d’origine hollandaise et son épouse Alice Piette, décident avec l’aide de Jules Buyssens, architecte de jardin renommé, de dessiner un jardin en harmonie avec les projets d’une villa au design hollandais, briques et tuiles rouges, fenêtres aux lignes horizontales rappelant les barreaux d’une échelle et toitures effilées pointant vers le ciel. Buyssens propose une série de petites scènes à admirer à partir des fenêtres de la maison. Chacune est cadrée sur base des ouvertures. Rivière presque naturelle et mur fleuri, roseraie formelle, rocaille ensoleillée, talus à l’ombre, mixed border typique de cette époque où les fleurs se marient aux feuillages. Un jardin de découvertes. Buyssens affine l’utilisation des couleurs en accord avec la couleur rouge omniprésente des briques de la villa, joue avec le contraste de l’ombre et de la lumière et recommande une grande diversité végétale inexistante à cette époque dans la plupart des jardins contemporains.
Rocaille avant après
Son approche de la profession est nouvelle. Il aime voyager et, grâce au récent développement des voies de communication et du chemin de fer, il choisit de partir sur le terrain. Dans la nature. C’est elle qu’il veut introduire dans ses jardins. Il organise des expéditions botaniques et herborise en compagnie de nombreux amis comme Jean Massart, professeur à l’Université Libre de Bruxelles. En montagne, il accompagne Henry Correvon, pépiniériste botaniste genevois, spécialiste de la flore alpine ou de rocaille qu’il tente d’acclimater et de cultiver. Par ses nombreuses publications, l’influence de Correvon est considérable. C’est sans doute grâce à lui que se constituent les premières collections spécifiques de plantes alpines dans les jardins botaniques et qu’apparait ce type de paysage dans les jardins privés.
Le challenge du projet est important. Il y a 4 mètres de dénivelé à gérer entre le haut et le bas du terrain. D’où l’utilisation de la topographie du lieu pour asseoir terrasses, escaliers et caniveaux de briques, d’ingénieuses rigoles nécessaires au cheminement de l’eau. Ces niveaux et points de vue différents évoquent une variété de situations naturelles dans un espace relativement restreint. Un jardin sauvage, d’eau, une tourbière, une rocaille, un espace clos, une plate-bande de vivaces. Sans oublier le ruisseau artificiel bordé d’un amas de roches naturelles simulant un fond de vallée. Chaque scénette est délimitée par le minéral, élément caractéristique des jardins des années 20. Les cheminements sont divers : pavés, pierre naturelle, petit gravier, pas japonais.

Une note japonisante et exotique présente dans l’art des jardins dès la fin du XIXème est ici évidente. L’orientalisme et l’utilisation des couleurs fauves sont d’ailleurs omniprésents. La palette végétale le prouve : érables, corètes et bambous sont plantés pour être testés. Quelques plantes rares sont également installées comme le petit pin de montagne, Pinus mugo, ou le Pinus contorta tout tordu.


En 1935, l’espace du terrain de tennis et du potager est réaménagé. Une deuxième roseraie formelle voit le jour.

David et Alice van Buuren
Grands amateurs d’art et mécènes, les époux van Buuren disposent dans leur maison une collection d’objets d’époque, du mobilier au vitrail en passant par toute une série d’éléments de décoration. Ils achètent des tableaux et sculptures de maîtres majeurs du XVème au XXème siècle : notamment des œuvres de Breughel, Fantin-Latour, Ensor, Van Gogh, mais aussi de Van Dongen, Ernst, Permeke ou van de Woestijne.
N’ayant pas d’enfant, Alice, veuve, décide en 1970 de créer une fondation privée à laquelle elle lègue l’ensemble : la maison, le jardin et les œuvres d’art avec la condition de la conservation du patrimoine et de son ouverture au public. Cinq ans plus tard, le musée van Buuren ouvre ses portes.

Jules Buyssens
Jules Buyssens (1872-1958) est un grand monsieur du monde de l’art des jardins en Belgique. Premier architecte de jardin indépendant, il fonde l’association professionnelle des architectes de jardin de Belgique, ABAJ (pour la traduction : BVT (en néerlandais). Grâce à lui, le métier d’architecte de jardin est enfin reconnu en tant que tel et non plus associé nécessairement comme avant à celui d’horticulteur ou d’architecte. Il signe quelques grands jardins comme le Parc Astrid, celui d’Osseghem, le théâtre de verdure au pied de l’Atomium ou la roseraie du parc Tournay Solvay à Bruxelles.

Fréquentant l’école d’horticulture de Melle, près de Gand, centre notable de l’horticulture et de la floriculture belges, il se rend à toutes les expositions internationales dans le domaine, que ce soit en Allemagne, en Suisse ou en Grande-Bretagne.

Perfectionniste, Buyssens porte plusieurs casquettes. Non seulement architecte de jardins, botaniste mais aussi horticulteur dans sa pépinière de Fort- Jaco à Uccle, responsable des parcs de la ville de Bruxelles ou écrivain.
René Pechère, son célèbre élève, deviendra son fils spirituel et continuera à perpétuer son œuvre et ses idées en y ajoutant une note classique et traditionaliste rappelant celle des architectes paysagistes Duchêne père et fils.
« Nouveau jardin pittoresque »
Le jardin du musée van Buuren est un exemple parfait de « nouveau jardin pittoresque », du nom de ce mouvement belge créé en 1913 par Buyssens avec entre autres ses amis Jean Massart, Henry Correvon et Ernest van den Broeck, directeur du Museum d’histoire naturelle. Ce mouvement nait en réaction au « nouveau jardin français » des frères Véra, géométrique, aux couleurs uniformes, sans aucune approche végétale. Courant moderniste français mettant en avant l’aspect fonctionnel et utile du jardin suivi en Belgique par Jean Canneel-Claes notamment.
Dans le nouveau jardin pittoresque, il n’en n’est rien. Ici on s’inspire de la nature. Le jardin doit être planté à profusion d’arbres, d’arbustes et de vivaces pour donner un effet spontané. L’approche est à la fois scientifique et esthétique. Ce type de jardin est décrit avec moult précisions dans un bulletin ou revue appelée, Le Nouveau Jardin Pittoresque, qui s’adressait aux amateurs passionnés du genre de notre magazine préféré, Les Jardins d’Éden. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, le Belgique était un pays phare dans le domaine horticole notamment à Gand et chez les pépiniéristes Van Houtte ou Verschaffelt bien connus de tous.

Restauration
Lorsque l’architecte paysagiste Anne-Marie Sauvat est appelée en 2009 par le musée van Buuren et la région bruxelloise pour intervenir dans la restauration et le sauvetage de ce fleuron du nouveau jardin pittoresque, soit les deux roseraies, le mixed border et le jardin typiquement pittoresque, il n’y a pratiquement plus de traces du jardin originel. Sa structure est totalement anéantie. L’herbe a grignoté les bords des chemins, les murs de soutènement sont dégradés par des infiltrations d’eau, le ruisseau enfoui sous la végétation et les roseraies ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Consciente de la valeur pédagogique des jardins historiques, Anne-Marie Sauvat se met au travail. Pendant 4 ans. Un travail de fourmi l’attend. Elle commence par réaliser une étude historique, analyse les photos d’époque, consulte les catalogues détaillés des plantes de la pépinière de Buyssens.
Rocaille avant après
Mixed border avant après
La restauration s’effectue en deux étapes : d’abord les travaux de nettoyage et d’abattage, puis ceux de reconstruction et de remise du jardin à l’identique. Petit à petit, elle retrouve in situ une trace des structures visibles sur les anciennes photos : un escalier et le socle des 6 arceaux de la première roseraie. Elle étudie différents documents : un plan du mixed border, deux feuillets commentés d’un carnet, un dessin à mainlevée de la deuxième roseraie, une liste de rosiers pour la première. En 2013, au hasard de l’étude d’un nouveau fonds d’archives déposé à la Bibliothèque René Pechère, elle déniche le plan de la deuxième roseraie. Trop tard. Celle-ci est déjà reconstituée sur base de déductions et de travaux de généalogie des roses disparues dans le but d’obtenir aujourd’hui d’autres cultivars présentant les mêmes caractéristiques. Petit à petit le jardin fait peau neuve.
Mise en place du caniveau Après
- La première roseraie retrouve ses motifs et les arceaux de pergola envahis de rosiers grimpants, – une nouveauté du début du siècle dernier comme à L’Haÿ-les-Roses-, qui renforcent son axe.
- Le mixed border planté à l’époque pour égayer l’été est simplifié et recomposé afin d’être beau à toutes saisons. Bulbes et annuelles sont ajoutés sur base d’une étude de documents historiques.
- Le mur de soutènement séparant la partie pittoresque poétique et naturelle du haut avec la roseraie formelle et géométrique du bas, est entièrement démonté et remonté en empilant l’une sur l’autre des pierres plates tenues par un peu de terre faisant office de mortier. Dans les anfractuosités, quelques boutures de giroflées, œillets, aubriètes, arabettes, alysses, valérianes, joubarbes et fougères sont installées.
- Dans la deuxième roseraie du bas, les parterres rectangulaires bordés de buis et la longue pergola aux troncs de châtaignier attestée par une photo d’une revue d’architecture des années 30 sont restaurés.
- La rocaille est replantée. Quelques edelweiss font aujourd’hui un petit clin d’œil à Jules Buyssens et à Henry Correvon.
- Alors que la rivière retrouve calmement son cours.
Travaux sur le mur fleuri Après
Travaux sur la 2e roseraie Après
Tout est à nouveau en place, comme avant, comme si les ravages du temps n’avaient pas eu lieu. Avant de terminer son intervention, Anne-Marie Sauvat rend, à tout hasard, – on ne sait jamais -, un dossier pour le prix du patrimoine culturel de l’Union Européenne/ Concours Europa Nostra… Vous connaissez la suite…
Anne- Marie Sauvat

Anne-Marie Sauvat, d’origine française, a suivi des études d’architecte paysagiste à l’Ecole du paysage de Gembloux, la Haute école Charlemagne, après avoir suivi différentes formations en France dans les secteurs de l’aménagement du territoire, de l’horticulture et de la pépinière. Elle a l’immense chance d’effectuer un stage de 10 mois chez Jacques Wirtz où, l’été, elle travaille dans la pépinière attenante au bureau. Apprentissage de la connaissance des plantes et désherbage sont alors au rendez-vous. Après un bref retour en France, elle décide de revenir dans son pays d’adoption.
Intéressée par l’art de la période entre-deux guerres, notamment l’art des jardins, elle côtoie historiens et archives et apprend à connaître le tissu urbain bruxellois. Pour elle, une première approche du patrimoine. Elle a aussi l’occasion de participer à l’élaboration d’un ouvrage consacré à l’œuvre de René Pechère et dans ce cadre, le rencontre à de nombreuses reprises. De quoi s’imprégner définitivement d’une certaine belgitude.
En 1999, elle créée l’Atelier Éole et exerce sa profession sous de multiples facettes : création de jardins privés, de parcs, projets dans le cadre de sites naturels, de développements urbains et dans le cadre de sites classés qu’ils soient privés ou publics.
René Pechère
La superficie du jardin s’élève aujourd’hui à 1,2 ha. Des parcelles voisines sont annexées au fil du temps. Dessinées par René Pechère, elles contribuent, elles aussi, à rendre le jardin célèbre. La première, un ancien verger, devient en 1968, le fameux labyrinthe planté de 1300 ifs de 1m20 de haut sur un parcours d’environ 500m. Puis apparait en 1970, le jardin du Cœur, un hommage d’Alice à son mari défunt, une sorte d’hortus conclusus caché derrière des haies. Reste enfin la grande pelouse, une zone de respiration utilisée aujourd’hui pour des expositions d’œuvres d’art.

A découvrir ou redécouvrir.
Museum van Buuren
Avenue Léo Errera 41 à 1180 Uccle www.museumvanbuuren.be
Éole, Atelier d’Architecture des Jardins et du Paysage sprl
Anne-Marie Sauvat, architecte paysagiste ABAJP : www.eole.eu