A La Ballue, des jardins élégants, » haute couture », sous influence italienne

Dans ce lieu chargé d’histoire, la magie opère. C’est un décor de verdure revisité, avec en prime, un brin de poésie et un supplément d’âme
©CHlaballue, Simon Bourcier

En Bretagne, à la limite de la Normandie, à quelques encablures du Mont-Saint-Michel et à l’ombre de 3 tilleuls de plus de 250 ans, se cache le château Louis XIII en granit gris doré de La Ballue. Construit en 1620 sur les restes d’une forteresse médiévale du XIIème siècle par un ami du cardinal de Richelieu, conseiller des rois Henri IV et Louis XIII, il accueille au fil du temps de nombreux artistes venus y trouver lumière et inspiration. Balzac, Chateaubriand, Victor Hugo, Tal-coat, Takis, Rauschenberg ou encore Niki de Saint-Phalle, pour ne citer qu’eux. Aujourd’hui, des œuvres d’artistes contemporains ont pris possession du jardin.

©Yann Monel, façade sud

Renouveau

Plusieurs fois abandonné notamment pendant 30 ans après la deuxième guerre, ce lieu a la chance d’être réhabilité à diverses reprises par des propriétaires passionnés. En 1973, l’éditrice et mécène Claude Arthaud, fille du fondateur des éditions éponymes ; en 1995, Marie-France Barrère et Alain Schrotter et en 2005 Marie-Françoise Mathon et son mari, les actuels propriétaires. La bâtisse est classée monument historique en 1977, puis vient le tour du classement des jardins de 2ha et du site de 7ha en 1998. En 2005, les jardins reçoivent le fameux label de « jardin remarquable » et 7 ans plus tard, un award de l’European Boxwood and Topiary Society pour les formes topiaires remarquables.

L’origine des jardins remonte au début du XVIIème. Des jardins à l’italienne malheureusement retournés à l’état sauvage ou progressivement convertis en champ de pommes de terre. Dans les années 70, ils sont complètement remaniés, réinventés et redessinés par Claude Arthaud avec l’aide des architectes avant-gardistes François-Hébert Stevens et Paul Maymont. Ensemble, ils divisent les jardins en deux parties. D’une part un jardin formel faisant écho à la cour d’honneur et de l’autre, sur le côté, un jardin d’inspiration maniériste. Tous deux, des jardins contemporains en harmonie avec le bâtiment, parfaitement intégrés au paysage, réinterprétés librement selon le concept du jardin baroque à l’italienne dans un grand souci d’authenticité. Amoureusement entretenus par les différents propriétaires, ils sont un témoignage de l’art des jardins à différentes époques.

© Simon Bourcier, façade nord

Jardins réguliers

Les jardins formels le long de la façade sud sont l’œuvre de François Hébert-Stevens, architecte, écrivain, journaliste et mari de Claude Arthaud. Sur une terrasse carrée reposant sur les murs de l’ancienne forteresse médiévale, ils forment un vaste parterre au tracé géométrique en diagonale. Destinés à être vus d’en haut, de l’étage noble comme traditionnellement à la Renaissance italienne, ils sont alignés sur le centre de la façade. Une succession de triangles de gazon décorés de topiaires de buis ou d’ifs et bordés d’allées de gravier clair sont articulés autour d’un point central hexagonal rehaussé de boules de troène doré. Les lignes sont sobres, les proportions justes. C’est un modèle d’élégance pas du tout démodé, dont la gamme des verts présente en toute saison, apporte sérénité et raffinement.

© Yann Monel

Au bout de la terrasse, une vague d’ifs qui fait le bonheur des photographes, vient fermer la composition tout en préservant la vue vers le bocage environnant. De cette manière, le paysage vallonné ressemblant à celui de Toscane, les cyprès en moins, fait judicieusement partie de la composition. D’un côté, un bois de pins de Monterey taillé en transparence laisse passer la lumière, alors que la porte monumentale de Vénus plantée de thuyas mène en contrebas, au pied des anciens remparts, vers une collection de buis, – environ 400 Buxus dont 75 variétés différentes – et un jardin plus sauvage. De l’autre, imposante, une double colonnade d’ifs alignés sur 50m, entoure les pieds de 22 merveilleuses glycines, sorte de promenoir ou déambulatoire comme au Moyen Age. C’est elle qui dissimule les jardins maniéristes.

© Yann Monel

Jardins d’inspiration maniériste

L’idée de Claude Arthaud est mise en musique par l’architecte urbaniste Paul Maymont, un des pères des Ecoles de paysage proposant notamment une formation de paysagiste. Pour eux, la partition doit être une étonnante promenade théâtrale à déchiffrer, lieu d’émerveillement et d’émotions, véritable parcours initiatique où la lumière se met à jouer constamment avec l’ombre. Pour Claude Arthaud :« L’idée est celle d’une feuille avec des nervures au bout desquelles il y aurait des bosquets surprises ». (Variations sur les Jardins de La Ballue et leurs paysages, Yann Monel et Marianne Niermans, Editions Verlhac 2012, p 126.)

Le résultat ? Un jardin labyrinthique aux murs opaques comptant 13 chambres de verdure, 13 surprises renfermant des trésors telles des sculptures, un bassin, une « joyeuseté » … Des espaces ou bosquets à la fois ouverts et fermés disposés de manière asymétrique de chaque côté d’un axe diagonal brisé en 2 parties décalées. En réalité, un jardin intimiste aux nombreuses lignes de fuite, aux perspectives tronquées, où mystérieusement on ne perçoit jamais une vue d’ensemble.       

© CHlaballue, Simon Bourcier
© Yann Monel

Michel Baridon note au sujet du labyrinthe :

« Il est à la fois un jardin et un anti jardin. C’est un jardin parce qu’on y avance entre les haies taillées, comme dans une allée normale. C’est un anti jardin parce que l’on y avance « à l’aveugle » et cela va à l’encontre de la grande ambition du jardin qui est de donner de la nature une représentation maîtrisée de l’intellect. »  (Michel Baridon, les Jardins, Editions Robert Laffont 1998, p1191)

Les chambres de verdure emmènent le visiteur en voyage. Leurs noms sont évocateurs. Bosquet de musique, de fougères, « attrape », des senteurs, théâtre de verdure, temple de Diane, labyrinthe proprement dit ; de quoi donner à voir, entendre, sentir et toucher. Ici, le but recherché est de brouiller la réalité de l’espace de manière à produire un nouvel effet émotionnel et artistique typiquement maniériste. Comme à la fin du XVIème siècle, les jardins doivent enchanter, surprendre, affoler ou inquiéter…. A cette époque, il était avant tout question de réagir contre les perfections de la Renaissance, de l’art de la perspective et des théories d’Alberti.  

© Simon Bourcier, théâtre de verdure

                                                                                                                                                      

Réhabilitation

© Yann Monel

Marie-Françoise Mathon a la volonté des passionnés prêts à faire déplacer des montagnes. Le travail à La Ballue ne manque pas. Les frondaisons se refermant sur elles-mêmes, elle fait appel à des professionnels, notamment des arboristes grimpeurs, pour corriger la croissance non maîtrisée des végétaux et retrouver les jeux d’ombre et de lumière. Élaguer les pins de 25m de haut par une taille douce, rabattre les charmilles à 4m de haut pour les équilibrer, reformer les tilleuls en marquise par une coupe drastique des branches afin de pouvoir les plier et refaire la voûte. Ceci, s’ajoutant au travail annuel de taille de centaines de topiaires et centaines de mètres de haie de charme, if, buis, laurier, hêtre, troène, Osmanthus, thuya et cyprès de Leyland qui débute en mai pour se terminer en septembre.

Elle doit prendre des décisions à long terme pour donner au décor une nouvelle jeunesse. Replanter, éliminer, engraisser un sol épuisé en creusant des trous à la barre à mine pour enfouir des amendements, recréer des perspectives et ouvrir des fenêtres sur le paysage. Sans oublier les nouvelles plantations de bulbes qui lui tiennent fort à cœur, des couvre-sol et d’une collection de fougères et surtout de buis reconnue et primée l’an dernier par le Conservatoire des Collections Végétales Spécialisées, « CCVS ». La restauration des murailles est elle aussi une entreprise de longue haleine plutôt considérable.

Le tout est géré de manière entièrement écoresponsable et raisonnée. Qu’il s’agisse de l’arrosage, de l’absence d’insecticide et désherbant chimique mais aussi de l’installation de ruches nécessaires à la biodiversité.

Outre la possibilité de louer les magnifiques chambres du château avec vue sur le jardin, divers évènements ponctuent la vie du lieu. Des ateliers pratiques de jardinage, de démonstration d’art topiaire (dernier week-end de mai), de taille des rosiers et Hydrangea ou des concerts et des activités pour les familles.

Infos pratiques

Château de La Ballue à 35560 Bazouges-la-Pérouse

Ouverture des jardins : voir le site. Possibilité de visites guidées et de visites pour les groupes.   

Une boutique, un salon de thé ou d’admirables chambres à louer au château complètent le tableau !

www.la-ballue.com et www.laballuejardin.com; T. + 33 2 99 97 47 86

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