A Séricourt, les plantes au service de l’imaginaire, un jardin très « habité » …

A l’inverse d’un peintre ou d’un sculpteur, Yves Gosse de Gorre rêvait de créer une oeuvre « où l’on ne se contente pas d’admirer, mais dans laquelle on peut pénétrer ». Son univers ne laisse pas indifférent. Chacun y rencontre l’étrange et l’inattendu, chacun y vit des émotions.

Yves Gosse de Gorre est architecte paysagiste. Il travaille en France et en Europe à la recherche de nouveaux défis. C’est sa grand-mère qui lui transmet le virus jardinier et c’est chez elle qu’il découvre il y a 40 ans, la Clematis patens ‘Perle d’Azur’ assez confidentielle à l’époque. Plus tard, il décide d’étudier à l’École d’architecture du paysage d’Anderlecht. Il parfait ensuite ses connaissances sur le terrain et effectue des stages successifs chez des pépiniéristes pour « apprendre les plantes ». C’est alors qu’il se lance comme paysagiste et qu’il ouvre de concert sa propre pépinière. Il aime avoir sous la main des plantes parfois introuvables, mais nécessaires à ses réalisations, tel les buis dorés ou marginés ou le petit Salix repens ‘Dart’s Silver’. Il y taille aussi patiemment leurs silhouettes avant leur entrée en scène.

Paysagiste de formation mais pépiniériste par passion.

C’est à Séricourt, dans le Pas-de-Calais, à quelques km d’Arras, qu’il crée son premier jardin ou plutôt, ses premiers jardins. 4 ha de pâtures dans un vallon très protégé et bordé de bois servent de toile de fond à son imagination débordante. Les premières plantations datent de 1985 et depuis, chaque année, il y a du nouveau. Les évènements se succèdent. En 2000 le jardin s’ouvre au public, en 2004 il reçoit le label « jardin remarquable ». En 2005, le titre de premier jardin de France octroyé par un jury de journalistes spécialisés, 4 médailles de la SNHF (Société nationale d’horticulture française) comme meilleur introducteur de plantes et la médaille de la très célèbre IDS (International Dendrology  Society). Sans oublier en 2006 la parution de son livre, Sagesse et déraison au jardin, aux Editions Ulmer, coup de cœur du jury du Prix Redouté. Une lecture passionnante qui dévoile au  fil des pages l’étrange alchimie des contrastes. Mais tout n’est pas dit. Il faut  voir le jardin et le vivre.

Conteur d’histoires

L’imaginaire et le réel s’entremêlent. Les limites s’estompent. Le visiteur musarde à l’affût d’un troll, d’un gnome ou d’un bon petit diable à l’abri d’un Fraxinus exelsior ‘Pendula’ ou d’un lutin facétieux sautillant sur les vagues de l’allée de la mer. Peut-être qu’Harry Potter se cache dans le bois des ombres formé de quelques troncs de Chamaecyparis en partie dénudés et peints en blanc. Les enfants sont les hôtes privilégiés d’Yves Gosse de Gorre. Il les reçoit avec plaisir et se réjouit de leurs interprétations.

Au bout de la prairie, quelques « Faux de Verzy », Fagus sylvatica var. tortuosa, interpellent. Entourés de saules têtards, ces tortillards à la forme bizarre évoquent les mystérieux cercles de pierre rituels de Stonehenge.

Dans le Pas-de-Calais, écume et embruns ne sont jamais loin. Une allée du jardin invite la mer à la campagne. Des langues d’herbe haute non coupée dessinent des vagues allant mourir sur des rochers de Lonicera pileata parfaitement taillés.

Le conseil de guerre taillé dans un groupe de Thuya palabre…Des visages inspirés de grotesques, de masques africains, des figures de l’île de Pâques ou des géants populaires des grandes villes du nord de France et de Belgique. Selon l’heure du jour ou la saison, ils agressent ou ils amusent.

Le champ de bataille du jardin de Séricourt en rappelle d’autres sur cette terre où les combats se sont succédés autrefois. Le jardin guerrier impressionne… les conflits sont toujours là. Des Taxus baccata ‘Fastigiata Aurea’ se serrent les uns contre les autres. Alignés et taillés à différentes hauteurs, ils ressemblent à l’armée des soldats chinois de Xian ou aux moins belliqueuses colonnes de Buren à Paris. Tout est question d’humeur. En face, l’autre armée attend. Un bastion défensif de Picea abies ‘Nidiformis’ souligne le champ de bataille ensanglanté par quelques coquelicots.

Au loin, l’allée de l’infini attire l’attention. Mais trois cratères, véritables obstacles naturels colonisés par le petit Marcanthia polymorpha arrêtent l’œil. Bombe, cicatrice ? Désorienté, le regard se pose sur deux buttes recouvertes de lierre.

Le yin et le yang, le vide et le plein. Contraste et dualité.

Un sentier conduit au silence. C’est le repos du guerrier.

Les influences

Yves Gosse de Gorre manie le vivant en tenant compte à la fois du passé et du présent. Puisant au cœur des traditions et de son patrimoine, il garde et entretient les racines de l’histoire. Broderies, arabesques, labyrinthes et topiaires font partie de son quotidien. Il modèle inlassablement buis, ifs et conifères en forme de boule, de cône, de torsades. Le Nôtre est son mentor, il est subjugué par ses réalisations grandioses. Versailles, un sommet de l’art à l’état pur. Il se laisse imprégner du modèle des jardins à la française mais l’aménage selon sa fantaisie : « Les topiaires sont des éléments classiques des jardins à la française où ils sont généralement mis en scène de manière individuelle, bien isolés les uns des autres. Ils y servent souvent de rythme, de point focal, ou de borne aux angles des broderies et parterres géométriques. Ici, nous avons changé leur rôle : ils « remplissent » l’espace tandis que le rythme est donné par les pommiers ». Maintes fois photographié, le jardin dit des topiaires met en scène ce petit « côté lissé et rangé qui leur sied si bien ».

L’humour n’est jamais loin. Au détour d’un chemin par exemple, on découvre le sourire aux lèvres, un salon de jardin grandeur nature fait de buis et d’ifs… 

Les associations de plantes à Séricourt s’inspirent le plus souvent des jardins à l’anglaise. Island bed à la Alan Bloom, sans oser rivaliser avec les mixed borders de Gertrude Jekyll. Le foisonnement des végétaux atténue la rigueur des tracés. Ce concept des contraires est bien visible dans le jardin géométrique, il est la clef du cheminement d’Yves Gosse de Gorre.

Le massif  aux couleurs méditerranéennes, sans doute la partie la plus féminine du jardin, allie les bleus, les roses et les argentés. Perovskia atriplicifolia ‘Blue Spire’, Rosa ‘Fleurette’, Artemisia abrotanum et Salix repens ‘Dart’s Silver’. Il explose en été. Le doré appelle la lumière, il est sa thérapie, surtout au printemps, afin de retrouver le moral sous les ciels bas du nord. C’est pourquoi, la chambre jaune est le cœur du jardin, son rayon de soleil permanent. Sur un terrain légèrement pentu, s’échappe d’un cercle de Taxus baccata ‘Fastigiata Aurea’, une broderie asymétrique de Buxus sempervirens ‘Aurea Maculata’ installée sur un lit de graviers blancs. D’autres feuillages dorés tantôt fluo, tantôt vert tendre lui répondent. Chamaecyparis, Sambucus, Liriodendron, Gleditsia, Catalpa et une touffe d’Alopecurus pratensis ‘Aureovariegatus’ complètent la scène.

Avec le temps, la palette des couleurs évolue. Aujourd’hui, il ose des mariages impensables autrefois, notamment la petite pointe d’orange sur du bleu ou du pourpre.

L’amour des plantes

On le dit spécialiste de conifères, de vivaces, de rosiers ou de Prunus. Mais en réalité, tous les végétaux l’intéressent même l’adorable ficaire qui colonise le sol. A l’instar de chaque jardinier, il a ses passes. Les dernières étant les magnolias dont le charmant ‘Petit Chicon’ déniché chez un pépiniériste belge et les graminées qu’il met en scène dans un labyrinthe. Elles ondulent le long d’un chemin d’ardoises qui font les pas chantant. Le minéral est choisi avec précision en fonction de la couleur mais aussi de la forme. En plus de la touche décorative, il y a l’ouïe, une autre sensation. Les Miscanthus ont une place de choix, les ‘Morning Light’, floridulus, ‘Gracillimus’ et autre ‘Zebrinus’ mais aussi les Carex pendula et les indispensables Calamagrostis x acutiflora ‘Overdam’. Les roses restent chères à son cœur. Plus elles sont simples et parfumées, plus elles lui conviennent. Les parfums des anciennes l’enchantent. Une mention spéciale à ‘Frau Dagmar Hastrup’ avec ses voluptueux fruits rouges, à ‘La Fraîcheur’, la meilleure grimpante du lieu et sans oublier la sienne, la Rosa x pimpinellifolia ‘Rose de Séricourt’, née d’une hybridation de Rosa pimpinellifolia avec Rosa ‘Doctor W. Van Fleet’. Résistante aux maladies, elle offre des fleurs semi-doubles, rose pâle, dès la mi-mai. Son feuillage est joliment coloré à l’automne. En 2000, pour marquer l’entrée dans le siècle nouveau et honorer l’an 1000, celui des bâtisseurs de cathédrales, il imagine une autre cathédrale… de roses cette fois. Le résultat est époustouflant. On chemine sous une immense nef végétale dont les arches métalliques sont festonnées de rosiers grimpants doublés de clématites. Un grain de folie s’invite. Quelques Acer pseudoplatanus ‘Spaethii’, Acer platanoides ‘Crimson King’ et Quercus rubra se plient aussi à l’exercice de palissage. Pour la transparence du feuillage. On croit rêver. Mais oui, on rêve !

Au-delà du cœur, une croix de Tilia cordata ‘Winter Orange’ ferme la perspective. Chargée de symbolique, elle est taillée très régulièrement…

Yves Gosse de Gorre ne se lasse pas des Prunus. Il en a réalisé plusieurs croisements. Ses préférés ? Prunus avium ‘Plena’ ou Prunus incisa type et le Prunus sargentii, le premier à prendre au jardin sa parure automnale, beaucoup plus léger que le bien connu  ‘Kanzan’.

 Leçon d’architecture

Lors de la visite du jardin ou à la lecture du livre, chacun cueillera un détail, une sensation ou un grand concept d’architecture paysagère. Même si les étiquettes sont inexistantes, « ce serait casser la rêverie », les principes et bons conseils du maître des lieux sont à glaner à tous moments. Perspective, rythme, diagonale, proportion, dénivellement, décrochement, éléments de surprise, tout concourt à créer des effets. « Tout le travail du jardinier consiste à gérer ces détails, à en placer sciemment certains, à en éliminer d’autres, à tenir compte ou non de ceux que la nature nous apporte. »

A propos de la lumière, par exemple : « D’un point de vue paysager, l’alternance de zones fortement éclairées et des zones sombres est un artifice de mise en scène trop peu souvent utilisé. Pour rendre une scène ou un coin de jardin plus brillant, il suffit pourtant de faire cheminer le visiteur par un couloir, une allée sombre, d’habituer son regard à l’obscurité avant de l’éblouir par une composition haute en couleurs. »

Leçon d’humanité

Yves Gosse de Gorre nous bouscule et nous invite à chercher de nouvelles pistes dans notre imaginaire pour créer notre propre jardin. Il nous pousse «  à la limite de la déraison » et à la « fantaisie créative ». Les premières lignes de son livre sont évocatrices : « Dans la vie comme dans le jardin l’opposition est permanente. La vie s’oppose à la mort, le bien au mal, le beau au laid ; le juste milieu me parait souvent ennuyeux, triste ou morne. »

Les émotions, le quotidien, le temps qui court …

En pratique

Jardin de Séricourt, 2 rue de Nuncq à 62270 Séricourt près de Frévent dans le Pas-de-Calais (2h30 de Bxl); www.jardindesericourt.com

A lire :

Sagesse et déraison au jardin, Yves Gosse de Gorre, Editions Ulmer, Paris 2006, ISBN 10 : 2-84138-228-1, ISBN 13 : 978-2-84138-228-6

Et si vous avez le temps,

  • Pépinière La ferme fleurie des Hennebelle à 62 270 Boubers sur Canche; www.hennebelle.com
  • Fête des plantes de Doullens, Citadelle de Doullens, Côte d’Amiens à 80600 Doullens; http://www.jdja.net
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