Sa réputation est internationale. Certainement, le jardinier le plus célèbre de l’histoire. Aujourd’hui encore, beaucoup sont inspirés par cette figure emblématique du jardin « à la française ». Où tout est question de rigueur, de géométrie et de symétrie. De maîtrise architecturale du paysage.
Son favori
En 1698, Le Nôtre écrivait au comte de Portland, surintendant des jardins royaux d’Angleterre : « Souvenez-vous de tous les beaux jardins en France, Versailles, Fontainebleau, Vaux-le-Vicomte, les Tuileries et surtout Chantilly ». Michel Baridon dans son ouvrage, L’eau dans les jardins d’Europe (Editions Mardaga 2008) ajoute : « Chantilly fut sans doute le jardin favori de Le Nôtre… Le génie de l’homme s’y exprime par le spectacle de la nature. Tout est en place pour l’éternité ». Un modèle en la matière. Au sein de l’une des plus grandes forêts des environs de Paris et autour d’une bâtisse remaniée de style néo-renaissance, ce jardin est voué à la maîtrise l’eau. Sous toutes ses formes.
En 1662, Louis II de Bourbon, le Prince de Condé dit le Grand Condé appelle Le Nôtre pour créer sur son domaine des jardins dignes de rivaliser avec Versailles. Au départ, il rêve d’un grand parc pour la chasse et d’allées cavalières pour faciliter la vue des animaux. A cette époque, les jardins sont fort modestes. Quelques carrés au bord de la rivière Nonette, un affluent de l’Oise. Le Nôtre accepte la proposition d’aménager et de modeler le lieu. Etant souvent retenu par le roi à Versailles, il délègue son beau-frère, son neveu et La Quintinie pour le suivi des travaux. Ceci dit, il laisse travailler son génie et suggère un réseau monumental de voies d’eau. A partir de la rivière. Mais le site est difficile et il se voit contraint de changer ses habitudes. Il trace alors un axe nord-sud qui part de la grille d’honneur via la statue équestre du Connétable de Montmorency pour se prolonger de l’autre côté vers la forêt. Chantilly est le seul des jardins de Le Nôtre dont l’axe est décentré par rapport au château. A Versailles, il est dans la ligne du bâtiment, vers le paysage, l’horizon et l’infini en suivant la course est-ouest du soleil. Ici il traverse la terrasse sise à côté des bâtiments.

Surprise
Lorsqu’après avoir franchi la grille d’entrée, on arrive sur cette terrasse, on ne voit devant soi que la forêt. Immense. Au centre et au pied de la statue, on devine que quelque chose se passe. En continuant à avancer plus loin jusqu’au bord de la balustrade, on voit tout-à-coup apparaitre en contrebas des grands miroirs d’eau. Le grand parterre. Choc visuel caractéristique du goût baroque de l’époque. D’un seul regard, on domine et on embrasse un ensemble grandiose. L’eau y diffuse et y reflète la lumière du ciel, éclaire les alentours et illumine les fêtes nocturnes. Ce n’est pas un hasard. Tout est pensé selon une intention esthétique ambitieuse. Le jeu permanent de l’ombre et de la lumière. Au service des lignes et de la géométrie. A Chantilly, le rapport entre le végétal, le minéral et l’eau est inversé. L’élément principal de la composition est l’eau magnifiée par le reste du décor, les parterres, les allées plantées d’arbres et les gazons. Une prouesse.

Le grand parterre est constitué de 10 miroirs d’eau. Grâce aux nombreuses sources et au canal coulant parallèlement à la façade du château. En 2009, la restauration de l’ensemble permet de retrouver, dans le plus grand respect des techniques anciennes, l’ingéniosité du système hydraulique. Le grand canal, long de 2,5 km, – 600 m de plus qu’à Versailles -, est quant à lui alimenté par un bassin plus élevé par l’intermédiaire d’une cascade semi circulaire. Le bassin ne se vide jamais. Etonnant. Très astucieux, Le Nôtre a fait dériver la petite rivière Nonette via un souterrain. En toute discrétion. Le canal s’élargit en son milieu en une immense pièce d’eau transversale. Au pied de l’esplanade centrale, elle est flanquée de deux parterres d’eau ayant chacun 5 bassins dotés de jets alimentés par une roue à aube en bois cachée dans le pavillon de Manse. Grâce à elle, l’eau monte dans les réservoirs de la Pelouse, propulse les jets d’eau à 5 m de haut et alimente les autres fontaines, jeux, grandes cascades (aujourd’hui détruites) et petites dites de Beauvais restaurées en 2011.
Styles différents
Aujourd’hui, le parc compte encore une centaine d’hectares. Il n’est plus grand-chose par rapport aux temps glorieux mais diverses parties sont restées intactes. En réalité, à Chantilly, 4 styles différents coexistent avec harmonie. Le fabuleux jardin à la française du XVIIe s’est enrichi plus tard de nouvelles créations. D’abord, un petit parc boisé du début du XVIIIe consacré aux divertissements. Des jeux d’adresse comme l’arquebuse, la paume, le mail (ancêtre du golf), le manège aux chevaux, la balançoire et l’escarpolette ou le jeu de l’oie grandeur nature avec ses cases numérotées et sa prison, un puits. Des chambres de verdure pour recevoir les amis sont ornées de sculptures. De magnifiques écuries viennent compléter le tableau ainsi qu’un jardin anglo-chinois (1774) autour d’un hameau champêtre (1775) qui aurait servi de modèle à celui de Marie-Antoinette à Versailles. 5 chaumières modestes restaurées en 2008 dont les décors intérieurs sont à la fois luxueux et surprenants. Par exemple, un trompe l’œil figurant un sous-bois dans une des salles à manger. Au XIXe, comme partout ailleurs en Europe, on cède à la tentation du jardin paysager à l’anglaise, romantique, tout en courbes, animé de fabriques comme le temple de Vénus et l’île d’Amour. Il occupe l’emplacement d’une partie des jardins de Le Nôtre détruite pendant la révolution. Plus loin, la maison de Sylvie dans les bois, une faisanderie, des potagers, des labyrinthes…
Le hameau
Sa vie

André Le Nôtre est né à paris en 1613 au sein d’une famille de jardiniers du roi. Aux Tuileries. Très jeune, il devient jardinier de Monsieur, le frère du roi avant de reprendre aux Tuileries les fonctions de son père. En 1656, il commence la création du jardin de Vaux-le-Vicomte puis réquisitionné par Louis XIV, entame les travaux de Versailles. Le roi ne peut plus se passer de lui. Il travaille alors à Trianon, Marly, Saint-Germain, Fontainebleau, aux Tuileries mais aussi à Meudon, Saint-Cloud, Sceaux et Chantilly. En 1675, devenu son confident et l’ami très cher, il est anobli. Sur ses armoiries, 3 limaçons d’argent. Esthète et grand collectionneur d’art, il meurt en 1700. En France, un nombre incalculable de jardins lui sont attribués. Beaucoup trop pour un seul homme. Mais son travail influence considérablement ses contemporains. Tous les grands d’Europe rêvent de leur Versailles. Pierre le Grand à Peterhof, son domaine de Saint Pétersbourg, Charles X à Drottningholm en Suède, Frédéric II à Sans-souci près de Berlin, Philippe V à La Granja en Espagne et son fils à La Caserte près de Naples.
Fondation
Créée en 2005 par l’Aga Khan, la Fondation pour la sauvegarde et le développement du domaine de Chantilly assure la pérennité du domaine appartenant à l’Institut de France. Elle mène une vaste campagne de rénovation.

Pour en savoir plus
- André Le Nôtre et les jardins de Chantilly aux XVIIe et XVIIIe, Nicole Garnier-Pelle, Editions Somogy et Domaine de Chantilly, 2013, ISBN-9782757206386
- Chantilly au temps de Le Nôtre. Un paysage en projet. Serge Briffaud, Emmanuelle Heaulme, Olivier Damee, Editions Olschki, parution prévue en septembre 2013
- Le premier ouvrage assez complet sur le travail de Le Nôtre est écrit en 1709 par Dezallier d’Argenville dans sa « Théorie et la pratique du jardinage ». Réédition chez Actes Sud, 2003, ISBN 2-7427-4502-5.