Déclinaison des jardins « à la française »

Vous savez que le jardin français était tiré à 4 épingles Mais saviez-vous qu’après un siècle d’éclat et de rayonnement, il a été balayé d’un seul coup par la grande déferlante anglaise ?
Vaux-le-Vicomte

EN FRANCE

Il y a un temps pour tout. Celui de l’effervescence des élections présidentielles d’aujourd’hui, celui d’un siècle royal où jardiner rimait avec dominer. Où il était bon de parler des jardins de la France dans le monde entier. Avec André Le Nôtre, le roi des jardiniers, le plus célèbre de l’histoire, le jardin classique ou baroque était né. Cette véritable révolution du XVIIe envoyait la précédente, celle de la Renaissance italienne, aux oubliettes.

Pour la gloire des hommes

Au menu ? Démontrer les pouvoirs absolus de Louis XIV sur la vie artistique autant que sur la vie politique et sociale et créer un décor d’extérieur au service de la toute-puissance d’un roi. Cette folie des grandeurs fait vite des émules. Dans chaque région et chaque village, au pied d’imposantes demeures apparaissent des jardins classiques. Au-delà des frontières également, dans les domaines des têtes couronnées d’Europe. A Saint Pétersbourg dans le parc de Peterhof de Pierre le Grand, à Drottningholm en Suède chez Charles X, à Sans-Souci près de Berlin chez Frédéric II, à La Granja près de Madrid chez Philippe V ou à La Caserte près de Naples chez son fils. Tout le beau monde en veut.

Au XVIIIe malheureusement, beaucoup de ces compositions baroques disparaissent au profit des jardins paysagers mais certains comme par exemple, Vaux-le-Vicomte ou Chantilly survivent et coulent encore des jours heureux en république. A Champ de Bataille en Normandie, elles sont recréées de toute pièce pour faire renaître cet illustre passé.

De l’ordre svp !

Dans les compositions à la française, tout est question de maîtrise et de mise en scène. De géométrie, d’équilibre et de symétrie. Le jardinier est avant tout architecte ou scientifique. Son travail cartésien doit répondre aux lois de la mathématique et de l’optique, la nature n’ayant plus d’autre voie que de se plier à la rigueur. L’objectif premier ? Gérer l’espace en façonnant le relief du terrain au moyen de toutes sortes d’artifices comme les perspectives qui s’allongent sans fin. A Versailles, d’un seul regard et sans aucune difficulté, on survole l’immense domaine, grâce à une perspective « à perte de vue » courant jusqu’à l’horizon. Jusqu’au soleil. Pour la petite histoire, il se coucherait dans l’axe du château, plus précisément dans le Grand Canal, le 6 septembre, jour anniversaire du souverain. Les longues allées bordées d’arbres, les bassins miroirs comme à Chantilly, les grands jeux d’eaux, – 1400 fontaines à Versailles -, les canaux, topiaires élégantes, vastes esplanades ou encore les parterres de broderie de buis participent à la justesse du dessin. 

EN ANGLETERRE

Tel un effet de mode, le siècle suivant fait tout basculer. Après l’Italie et la France, c’est le tour de l’Angleterre. Tout est remis en question. Sans roi tyrannique et despote, sans absolutisme de droit divin, – le Roi y partage le pouvoir avec les chambres des Communes et  des Lords -, au diable la logique à la française et vive la liberté.  

Pour la gloire de la nature

Outre-manche, c’est Dame Nature qui est à l’honneur. Hommage à la campagne, à l’Arcadie. Au paysage lui-même qui dorénavant va se transformer en jardin, d’où le nom de « jardin paysager ». Une nouvelle forme d’art de vivre, »à l’anglaise » prend le relais. Lancelot Capability Brown, qui est à l’Angleterre ce qu’André Le Nôtre est à la France, en est l’initiateur. Stowe, Kew, Blenheim pour ne citer qu’eux figurent parmi les Versailles anglais. Le pays tout entier, des politiciens aux aristocrates en passant par les intellectuels, est envahi par ce tsunami. L’Europe entière également. Pendant presque 2 siècles, le jardin est résolument anglais. Il l’est d’ailleurs toujours aujourd’hui dans l’esprit de nombreux architectes paysagistes et jardiniers amateurs.

L’idée principale ? Faire de son jardin un tableau, à l’instar d’un peintre. Soit imaginer un lieu où l’eau, les arbres, le ciel et la terre sont les pièces maîtresses. Cette esthétique éminemment naturaliste étant parfois jugée trop simpliste, quelques-uns décident d’y ajouter des détails décoratifs et pittoresques. Comme au théâtre. Des constructions ou « fabriques », ruines antiques, temples, grottes, kiosques et ponts sont alors parsemés de-ci, de-là dans le seul but de créer des effets de perspective. Petit clin d’œil à l’atmosphère pastorale des œuvres des peintres Claude Lorrain, Nicolas Poussin ou Gaspard Dughet. 

 Du désordre calculé

A la géométrie, on préfère désormais un style irrégulier, à la ligne droite, la courbe, à la perspective l’agrandissement des plans, aux alignements, les bosquets et les plantations isolées. Pratiquement, le paysagiste enlève les murs du jardin, harmonise les pelouses avec la campagne, ouvre la vue vers le vaste paysage voisin. La ligne sinueuse devient synonyme de liberté et de naturel. Mais détrompez-vous ! En réalité tout est contrôlé. Les vastes ondulations de gazon, les vagues de collines, rivières serpentines, lacs aux contours souples, les arbres disposés en petits groupes sont de la poudre aux yeux. Tout n’est qu’apparence, que création artificielle sans rien de naturel. Qu’importe. Au cours de la promenade, on découvre les points de vue au gré de son inspiration, de ses sensations. Le jardin devient alors parcours d’expériences, de la connaissance où il y a plus à imaginer qu’à voir.  

A chacun sa vision du monde, du jardin et de la nature.

Un brin de rigueur agrémenté d’un doigt de liberté… la bonne solution, non ?

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