Jean Mus, la tête dans les étoiles et les pieds dans la terre

Artiste du végétal, il met la Méditerranée à l’honneur. Un nouvel ouvrage rend hommage à plus de 30 années de savoir-faire. Pour lui, « une nouvelle aventure (…) fruit d’un partage symphonique dégagé par la belle musique de la vie »
ⓒPPerdereau

Photos de Philippe Perdereau et Atelier Jean Mus

Chez Jean Mus, le jardin est une question d’ADN. Fils de jardinier, il a grandi à l’ombre des arbres de la villa Croisset, demeure légendaire à Grasse, ayant appartenu au romancier Francis de Croisset. Un peu de terre s’est sans doute insinuée dans ses veines et a déterminé chez lui une sorte de contamination définitive. C’est donc très naturellement qu’il a suivi l’apprentissage de l’École Nationale du jardin et du paysage de Versailles,avant de diriger une agence d’architectes paysagistes à Cabris dans les Alpes Maritimes.

©Atelier Jean Mus

A son actif, un millier de réalisations ou de réinterprétations des paysages de la Méditerranée. S’il  ne se retrouve pas trop dans l’esthétique froide et intellectuelle d’un André Le Nôtre, il préfère composer avec l’émotion et les parfums. Le statut d’architecte d’émotions lui convient beaucoup mieux que celui d’architecte de jardin. Le principal pour lui ? Caresser la nature et vous conduire ailleurs selon la définition de « séduire, en latin seducere ». Sa bonhomie bienveillante, son humour et son sens des bonnes formules ne laisse personne indifférent. Son enthousiasme est communicatif, son amitié contagieuse. Ses clients, passionnés et conquis. Je me souviendrai toujours de cette journée passée à ses côtés avec quelques-uns de ses amis belges, où nos pas emboitaient les siens sous les pins, le long de l’eau et des murets de pierre sèche, à la découverte d’une nature respectée où tous nos sens étaient joliment émoustillés par une balade jardinière hors du commun, de l’ombre vers la lumière.

©P.Perdereau

Ambassadeur de la Méditerranée

Jean Mus décline un paysage pastoral autour de deux éléments constants, la mer et le ciel. Autour des délicates nuances de bleu. A la Côte d’Azur, mais aussi en Provence et puis bien au-delà jusqu’en Californie en passant par le Maghreb ou le Moyen Orient. Avant tout, il aime louer une identité méditerranéenne existant depuis la nuit des temps et ensuite, une biodiversité étonnante parmi les plus riches de la planète. C’est la raison pour laquelle, tout en sobriété, il restitue dans ses jardins la flore naturelle, des plantes endémiques de milieu sec. Pins parasols, oliviers, cyprès, lauriers, chênes verts mais aussi les essences parfumées du maquis et de la garrigue. Cistes, pistachiers, lentisques, arbousiers, lauriers tins, lavandes, romarins, thyms, sauges, myrtes, genévriers et j’en passe. Etant un fils de Grasse, cela semble pour lui évident.

Intransigeant sur l’identité du lieu et les exigences de celui-ci en matière de végétaux, il respecte le terroir, le réinvente constamment en conservant les végétaux existants, en les intégrant, en reformulant les courbes, – ah ces courbes si sensuelles -, en combinant les douces couleurs du sud, ces camaïeux de gris ou de verts jouant constamment avec la lumière. Un éternel exercice de mimétisme. Réputé pour des jardins de verdure structurés par quelques arbres, les lignes verticales et une succession d’arbustes taillés, les horizontales, il les ponctue de quelques fleurs pour alléger la composition. Dans une harmonie de blanc, bleu et gris, les couleurs vives n’ayant pas droit de cité. Calme, volupté, simplicité et modernité sont alors au rendez-vous.

Connaissant parfaitement le climat et le sol, étudiant les pentes caractéristiques du pays, restaurant et recréant les restanques traditionnelles, il cherche constamment à épanouir l’âme du sud et à la faire connaître à ses clients du nord : « si l’on ne connaît pas le parfum de la terre et la direction du vent, on est l’homme le plus pauvre du monde ». Ses jardins se font discrets pour se fondre dans la nature malgré quelques notes d’exotisme fidèles à l’art du métissage ou à un grand désir d’évasion. Sans jamais tomber dans les excès d’acclimatation du XIXème siècle. Ses jardins sont résolument dans l’air du temps, écoresponsables, respectueux de l’environnement et de l’identité des écosystèmes méditerranéens.

Avec la poésie d’un Ferdinand Bac

Deux  maîtres ayant particulièrement œuvré sur la riviera influencent constamment son travail. Tout d’abord, Ferdinand Bac (1859-1952), le créateur du jardin de la villa Croisset dans lequel il a grandi, aujourd’hui malheureusement  disparu. C’est un magicien rompu à l’art de la mise en scène, aux effets de surprise, aux jeux de lumières et perspectives. Dessinateur, journaliste, écrivain, caricaturiste, critique d’art, Bac était un artiste, un humaniste, véritable touche à tout brillant. Paysagiste autodidacte, il aimait, à l’instar de l’anglais Harold Peto actif lui aussi sur la côte d’azur, s’inspirer du voyage, d’éléments et traditions de l’antiquité classique et de la Renaissance. Le parcours initiatique du jardin de la villa les Colombières à Menton pourrait être sa plus belle signature. Jean Mus, baigné dans cette atmosphère de décor de théâtre, hérite de cette géniale fantaisie, de cette spontanéité et cette poésie sans limite. Quel bonheur pour lui de créer des ambiances différentes, d’imaginer un scénario découvrant successivement l’un ou l’autre point de vue, d’orchestrer la mer ou simplement d’apprivoiser une pente en inventant un escalier menant quelque part ou … nulle part… juste pour le bonheur de rendre visite au ciel.

Et l’élégance d’un Russel Page

De Russel Page (1906-1985) lui vient non seulement le raffinement et la délicatesse de son travail mais aussi la rigueur, la cohérence de la composition et l’équilibre des volumes. Page, attiré par la musique, la peinture et l’architecture était aussi un homme de la Renaissance. Célèbre pour sa carrière internationale et son livre, L’Education d’un jardinier, devenu un classique de l’art des jardins, il était capable de manier le grandiose mais aussi à l’inverse, la simplicité et le naturel. De ce précieux enseignement, Jean Mus retient le sens des proportions et des lignes, la coordination des différents espaces, le calcul des échelles, la recherche de solutions cohérentes et pertinentes. A chaque première visite sur le terrain, il observe et guette lui aussi le genius loci avant de se soumettre avec humilité aux contraintes imposées par le lieu.

Les végétaux plantent le décor

©P. Perdereau

Sans végétaux pas de jardin. D’abord les arbres, véritables colonnes vertébrales qui annoncent la structure et apportent l’ombre nécessaire dans ce pays où il fait chaud. Ils attirent le regard, ferment les perspectives ou donnent de la profondeur. Un vieux mûrier centenaire peut par exemple devenir le centre du dessin, voire même l’axe central. L’important pour Jean Mus est de préserver l’un ou l’autre arbre existant ou en choisir avec ses clients lors d’une visite chez le pépiniériste. Les troncs noueux déjà travaillés par le vent et le temps ont plus de chance d’être retenus. Parmi eux, une trilogie idéale, pin, olivier et cyprès, mais aussi chêne vert, figuier, camphrier, citronnier ou autre oranger.

Les arbustes à feuillage persistant ou non, indispensables, couvrent le sol d’une symphonie de gris et de vert. Lentisque, myrte, laurier-tin et santoline, thym, romarin ou germandrée, le Teucrium fruticans au délicat petit feuillage évoquant celui des sauges. Ils sont la base des plantations. Avec eux, rondeurs et doux moutonnements savamment orchestrés par les jardiniers passés maîtres de l’art topiaire et de la bonne tenue des jardins.

Les fleurs arrivent en dernier lieu. Elles ont l’avantage de rythmer les saisons. Et quand elles sont mellifères comme thyms, sarriettes et lavandes, c’est encore mieux. Les plantes grimpantes comme les glycines, jasmins et rosiers sont bien utiles pour escalader les murets et leur donner vie. D’autres comme la dentelaire du cap, Plumbago capensis, débordent des pots en terre cuite disposés sur les terrasse, ou comme les Erigeron karvinskianus s’épanouissent dans les interstices des pierres alors qu’iris et agapanthes dessinent les verticales. Leurs couleurs non tapageuses participent au calme de l’ambiance générale.

©P. Perdereau

Ce n’est pas tout. Au fil des pages de ce beau livre, vous aurez aussi envie d’ humer les paysages. Les parfums du maquis mais aussi ceux distillés parmi les rosiers, jasmins, lavandins ou orangers.

La petite musique de l’eau

Pas de jardin sans musique. L’eau est source de vie mais aussi source de beauté, de lumière. Signe de fraicheur, elle doit être présente dans chaque lieu mais ne peut être gaspillée. Elle doit donc être raisonnée. D’où l’intervention judicieuse du paysagiste parfois aidé par des spécialistes comme l’ingénieur en hydraulique. L’eau calme dans un bassin ou une piscine est un miroir dans lequel se reflète le ciel et jouent les ombres portées des pins et des cyprès. L’eau en mouvement jaillit, dévale, murmure ou glougloute dans une cascade, une fontaine ou un escalier d’eau. Même un filet d’eau dans une rigole, un peu de mousse ou quelques gouttes peuvent suffire. Et pourquoi pas quelques galets faisant office de rivière. Avec Jean Mus, il est inconcevable de vivre sans musique, celle de l’eau, relayée par celle des oiseaux et des grenouilles.

© P.Perdereau

Pour poursuivre le rêve

  • A découvrir : Jean Mus, Jardins méditerranéens contemporains, photographies Philippe Perdereau, texte Dane McDowell, Editions Ulmer 2016, ISBN 978-2-84138-854-7. 22 créations contemporaines, des jardins naturels, à la fois spectaculaires et sensuels et toujours respectueux de la nature.
  • Il y a quelques années, un autre ouvrage était consacré au travail de Jean Mus : Jardins secrets de Méditerranée, Jean Mus, texte de Dane McDowell, photographies de Vincent Motte, Editions Flammarion 2007, ISBN 978-2-0820-1360-4
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