KERDALO, un jardin tourné vers l’avenir

Même au crépuscule de la vie, Peter Wolkonsky, l’infatigable créateur du jardin de Kerdalo, donnait toujours l’impression qu’elle était devant lui. Isabelle sa fille et son mari Timothy Vaughan, paysagiste, réveillent et apprivoisent l’âme du lieu. Kerdalo a encore de beaux jours devant lui.

Si Peter Wolkonsky avait rencontré Karel Capek écrivain tchèque auteur de :’’ L’année du jardinier’’, ils se seraient certainement bien compris. Ils conçoivent l’art du jardin de la même manière.  Capek écrivait non sans pointe d’humour : « Nous autres jardiniers vivons en quelque sorte en avance sur le présent : quand nos roses fleurissent, nous pensons qu’elles fleuriront encore mieux l’année suivante ; et dans une dizaine d’années ce pin minuscule sera un arbre ; si seulement j’étais vieux de dix ans !…Le vrai, le mieux sont devant nous. Chaque année apporte davantage de croissance et de beauté. Dieu soit loué, nous aurons bientôt un an de plus » (Editions de l’Aube, 1998). A Kerdalo c’est ainsi depuis 1965 et cela sera encore, grâce à la patience et l’opiniâtreté d’Isabelle et Timothy Vaughan actuels propriétaires. Erik Orsenna note dans le livre, ‘’Kerdalo le jardin continu’’ : « Lorsqu’en 1997 Peter Wolkonsky meurt, à quatre-vingt-dix ans passés, Isabelle et Timothy reprennent la barre. Le jardin continue. Il continue car l’eau coule toujours des trois sources ».

En ce printemps 2021, nous apprenons que le domaine a été vendu. Espérons que le jardin puisse toujours continuer…

Jardin d’un peintre et poète

Bien des magazines ont déjà consacré un article sur ce lieu fantastique habité par l’histoire d’un homme. Les Jardins d’Eden avaient rencontré Peter Wolkonsky quelques semaines avant son décès. Un reportage et la couverture du numéro 6 lui étaient consacrés. Aujourd’hui, après sa disparition et les aléas du temps, sécheresse en 76, hivers rigoureux de 84 et 85, tempêtes de 87 et 99, inondations de 2000, canicule de 2003, nous revenons à Kerdalo pour y saisir son second souffle.  

Artiste peintre, Peter Wolkonsky l’est jusqu’au bout du crayon. Sa mère l’initie et l’emmène avec elle découvrir les plus beaux paysages d’Italie. C’est là qu’il découvre les couleurs et les harmonies. Les mettre en musique dans un jardin devient pour lui un rêve. Peinture et botanique se complètent aisément. Dans les floraisons certes mais aussi et surtout  dans les feuillages moins éphémères. Il apprécie les persistants  car ils plantent le décor et accrochent la lumière.  Pour un peintre, cette lumière est primordiale. Le gris et le bleu sont omniprésents. Ils atténuent et calment les autres couleurs. Le bleu donne de la profondeur. Celui des Ceanothus et des Rhododendron augustinii   éveille les harmonies de rose et de rouge. Le gris est une couleur intermédiaire pleine de douceur. Constant dans ses compositions, il sert de transition. Rhamnus alaternus ‘Argenteovariegata’, Hippophae rhamnoides, Pittosporum tenuifolium, Elaeagnus angustifolia, Eucalyptus… Tous des gris parfois parsemés de rose appelés à former des associations peu courantes comme avec l’Acer negundo ‘Flamingo’. Le revêtement minéral tels les galets glanés sur la plage participe aussi à l’harmonie des gris. Les pourpres ont le don de relever les associations : « Quelques berberis pourpres dispersés ici et là m’aident … à atténuer la gamme des bleus, assez violents en pleine floraison ». Les tons de rouge, jaune et orange découverts dans les pépinières et jardins anglais apportent la chaleur. Dans la lande jaune, Taxus, Chamaecyparis, Thuya dorés et Pittosporum créent un tableau, planté pour être vu de loin. Les rhodos et azalées  disséminés dans tout le jardin participent à cette chaude tonalité. Cependant les mariages de couleurs ne sont pas toujours réussis : « … j’ai l’idée de compléter la gamme des bleus par quelques rhododendrons à floraison orangée… Rapidement je m’aperçois que ces couleurs jurent. Les oranges sont trop forts par rapport aux bleus et je remplace ces premiers par des variétés aux couleurs plus pâles » (p 75). En revanche, les azalées orange d’Exbury mêlées au tronc de Betula albosinensis var. septentrionalis, aux primevères et aux érables japonais sont sublimes.

La lande jaune

Intégré dans la campagne bretonne

« Attiré par la peinture des paysages, j’ai toujours trouvé ceux -ci, dans le Midi méditerranéen, réduits à l’épure… En hiver surtout, seule l’ossature des formes demeure. J’aime cette nudité de l’Italie comme de la Provence hivernale » (p15). Peter Wolkonsky transpose cette idée dans un pays de châtaigniers, de hêtres et de haies bocagères. Il les maintient ainsi que les talus et chemins creux car ils protègent des vents forts et forment des compartiments de verdure. Une succession de jardins différents, voilà ce qui l’intéresse.  Il apprécie le jardin surtout en hiver, saison où les lignes se révèlent. Les verticales en premier lieu. Elles rompent « le foisonnement horizontal de la végétation ». Ce n’est pas un hasard si des plantes à la silhouette érigée, Prunus ‘Amanogawa ‘ et Cupressus sempervirens sont plantées en des endroits stratégiques. Et si le chêne sert d’axe à la perspective centrale du jardin du bas. Surtout vu depuis les fenêtres de la maison. Dans la lande jaune, les lignes verticales des persistants marquent le rythme.

Les règles de symétrie et de proportion héritées de la peinture sont appliquées à Kerdalo. A titre d’exemple, dans le jardin des quatre carrés, les deux Prunus lusitanica taillés en boule de chaque côté des marches ou les deux Exochorda x macrantha  ‘The bride’ en haut d’un autre escalier. Parfois pour faire rebondir le regard, l’asymétrie est de mise : « comme souvent dans ma façon d’ordonner la structure d’un jardin, l’aspect des différentes terrasses est dissymétrique » (p56). Pour éviter les erreurs de proportion, il conseille même de fabriquer une maquette en carton à l’échelle. A chaque détour du jardin, une leçon de perspective. Le chemin sur l’eau qui mène à la grotte dans le bas du vallon est fait de pas en losange. Leur taille est dégressive pour allonger la perspective. Comme le résume Jelena de Belder dans la préface consacrée au premier livre sur Kerdalo : « C’est un de vos dons majeurs que de saisir sans effort l’essentiel, dans les formes, les proportions, les harmonies de couleurs ».

Fantaisie et technique

Les jardins italiens l’inspirent énormément. Surtout l’esprit d’invention concernant l’utilisation de l’eau. Miroir, rivière, canal, bassin, étang, escalier, cascade… l’eau dans toutes ses états. Par bonheur à Kerdalo, l’eau est partout. Elle provient des trois sources, du trop-plein de l’étang et des eaux de ruissellement. Avec un petit rien de Boboli ou de Bomarzo, on découvre par exemple, parmi une végétation exubérante, désordonnée, voire mystérieuse, la grotte issue de ses rêves échafaudés en Italie. Refuge de Hansel et Gretel  dans cette vallée enchantée comme l’appelait Jelena de Belder où les plantes  livrées à la sévérité du vent ont des formes si bizarres ? L’allée qui la précède semble flotter sur le bassin. A l’intérieur, sirènes de coquillages et monstres marins montent la garde.

Dans le jardin des quatre carrés, une niche baroque surmontée d’une grande coquille abrite une fontaine et en face, deux petits pavillons de granit attisent la curiosité. Décorés de tableaux de coquillages où oiseaux, chevaux marins, arbres et masques rivalisent de charme et de beauté. Plus loin, derrière un rideau de Chusquea culeou et sous un grand Nothofagus obliqua se cache une adorable petite fontaine dédiée à Saint-Fiacre le patron des jardiniers. L’endroit et calme et reposant. Mais déjà, une autre « folie » privilégie l’ouïe. Le bruit de la cascade. Un escalier d’eau de 7 marches en moellons de granit colonisées par un fouillis végétal. Une ruine. C’est le voeu de Peter Wolkonsky  qui l’a façonnée de toutes pièces. Clin d’œil à une vielle légende locale, un cheval marin sculpté par lui, surgit au beau milieu d’un marécage. On se surprend à guetter la sorcière…

Dans le haut du jardin, surplombant le ruisseau qui alimente le canal, une pagode chinoise en bois invite au voyage. Il s’inspire d’un dessin de l’architecte Robin pour les jardins de Woodside Old Windsor(XVIIIe) et réalise  avec soin les détails que sont les épis de faîtage et les pendeloques vernissées. Rien ne lui échappe. Peter Wolkonsky  a beaucoup d’imagination et il sait la mettre en musique.

Il connaît le secret des techniques du passé et ose entreprendre n’importe quel travail d’art, n’importe quel chantier. Rien ne lui fait peur. Tous les décors du jardin sont nés de ses mains. De la calade aux grands murs de soutènement.  Des réalisations titanesques, déboiser, creuser des chemins, construire l’immense mur de 5m de haut sur 12 de long pour la création de l’étang. A en avoir le tournis. Surtout lorsqu’on se souvient qu’il avait déjà 64 ans au commencement de l’aventure jardinière. Aujourd’hui, les étangs continuent à être  curés et les digues reconstruites. Pour qui le désire, il livre dans son livre les détails et secrets de son entreprise. Le nombre de cm d’épaisseur de la chape sur laquelle il pose les galets, l’effet de pierre ancienne donné aux marches de l’escalier en ciment. Ou encore,  l’astuce du plan incliné dans l’escalier pour faciliter le passage des brouettes et j’en passe.

Amitié et botanique

Grâce aux végétaux, les amitiés se nouent. C’est indéniable. Chaque jardinier en a l’expérience.  Peter Wolkonsky ne déroge pas au principe. Chaque recoin du jardin en est l’histoire. En commençant par Charles de Noailles, son parrain à l’I.D.S, International Dendrology Society, le premier dans son jardin de Grasse à l’initier à la botanique. Il l’introduit auprès du couple de Belder. Leur souvenir s’enracine parmi certaines plantes, notamment les Hamamelis, les Rhododendron yakushimanum et le petit Hydrangea petiolaris nain trouvé par eux sur l’île de Yakushima.  Il y aussi Harold Hillier, des célèbres pépinières Hillier près de Winchester. La plupart des arbres et arbustes de Kerdalo proviennent de chez lui. Les virées jardinières en Angleterre deviennent en effet de plus en plus fréquentes. Une bonne manière d’élargir la palette végétale dans des nurseries de rêve. C’est à Exbury chez les Rothschild qu’il découvre notamment les plantes de terre acide dont les fameuses azalées et chez Dick Banks qu’il admire les rhododendrons plantés en situation de sous-bois et la Vitis coignetiae à l’assaut des arbres. Lionel Fortescue propriétaire du jardin de Garden House dans le Devon, éminent spécialiste du rhododendron lui donne bon nombre de R. augustinii plantés dans la vallée du haut. Il partage avec lui un sens aigu des couleurs. Ils échangent à la fois idées, plantes et semences. Jean Cayeux, l’hybrideur et Roger de Vilmorin, passionné d’iris font aussi partie du cercle restreint sans oublier Collingwood Ingram dit « Cherry » réputé pour ses connaissances des cerisiers et redécouvreur en Angleterre du magnifique Prunus  ‘Taihaku’ disparu au Japon. Sans eux et sans la liaison par bateaux Plymouth – Roscoff, Kerdalo n’aurait sans doute pas été Kerdalo.

Le jardin des quatre carrés

C’est à l’emplacement d’un ancien potager que se trouve le jardin ordonné des quatre carrés, transition entre la maison et la nature laissée en liberté. Maintes fois photographié, bordé par son fameux damier de gazon et de galets inspiré du dessin d’un échiquier, il est ponctué par deux pavillons de pierre. Lorsqu’Isabelle et Timothy Vaughan décident de restaurer Kerdalo après le décès de son concepteur,  ce jardin n’est plus que l’ombre de lui-même. Inondé et envahi par liserons et oxalis. Ils réajustent les proportions, remplacent la terre, redessinent les carrés. En leur centre est placé un losange composé de trois variétés différentes de buis. A terme ils formeront une pyramide et donneront un brin de verticalité à l’ensemble. L’espace est structuré, il doit rester beau même en hiver alors qu’il n’y a plus de floraisons. Tout autour, des vivaces, rien que des vivaces, géraniums, scabieuses, sauges, Persicaria , Pentstemon … dans les tons pastels réveillés par quelques pointes de jaune si chères à Timothy. Hakonechloa macra ‘Aureola’ et Coreopsis verticillata ‘Moonbeam’, Achillea ‘Credo’, Anthemis tinctoria ‘E.C.Buxton’ sont à la fête. Contre les murs, quelques arbustes aux jolis feuillages prennent place. Acacia baileyana ‘Purpurea’, Artemisia ‘Powis Castle’, Daphniphyllum macropodum …Le tout admiré de la terrasse supérieure. Un régal.

Les collections

Tout dendrologue averti ou tout passionné de plantes sera comblé lors de la visite. Gâtés par la richesse du sol et la douceur du Gulf Stream, les végétaux deviennent immenses, aussi hauts que dans leur pays d’origine. Les Pittosporum atteignent 9m de haut comme en Nouvelle-Zélande, les fougères arborescentes, les Gunnera et les bambous se transforment en forêts étonnantes. Même Emmenopterys henryi et Podocarpus salignus n’ont pas peur de grandir. Des collections de rhodos, magnolias, érables, camélias, cornouillers et Pittosporum se forment au gré des années. Sur les terrasses protégées du vent à l’arrière de la maison, les Vaughan installent parmi les palmiers, eucalyptus et cordylines, des collections de Kniphofia, Crocosmia et Watsonia aux tons jaune orangé. Ils ajoutent aussi des plantes originaires d’Afrique du Sud, d’Australie et de Nouvelle Zélande. L’effet de cascade voulu au départ est conservé par la mise en place de plantes au port souple et retombant. Aux abords de la maison, l’œil est attiré par quelques plantes exceptionnelles comme Pileostegia viburnoides ou Stauntonia hexaphylla très parfumé. La vallée du haut, au-dessus de la lande jaune est un petit paradis botanique. Un Quercus rubra ‘Aurea’, un Magnolia sprengeri ‘Diva’, un Neolitsea sericea et un Juniperus recurva var. coxii se partagent la vedette. Près de l’étang, les couleurs des feuillages et des troncs sont à l’honneur : Arbutus, différents Acer, Parrotia persica, Sassafras albidum, Oxydendron arboreum

Peter Wolkonsky

Dans le livre, ‘’Kerdalo le jardin continu’’, Erik Orsenna écrit : « A la manière du Prince de Ligne, l’homme le plus civilisé du siècle le plus intelligent de l’histoire (le XVIIIe) notre Peter parcourt l’Europe et, surtout, l’Italie. » Né  à Saint-Pétersbourg, les aléas de l’histoire conduisent sa famille à déménager en de nombreux endroits pour finir par s’installer à Saint-Cloud.  C’est là que commence son histoire jardinière sur un sol calcaire et sec. Pas très convivial. Développant de concert des talents de peintre, notamment en Italie, il cherche à les réunir dans un éden qui pourrait assouvir ses passions. La Bretagne l’appelle. A 65 ans, il jette son dévolu sur Kerdalo réchauffé par le Gulf Stream, où terre fertile et eau l’attendent. Peter Wolkonsky , un amateur éclairé.

Isabelle et Timothy Vaughan

Isabelle n’a que 14 ans lorsque son père entreprend les travaux de Kerdalo. Plus tard, elle contracte le virus paternel lors de la rencontre avec un étudiant japonais passionné de plantes. Elle entre à Wisley, célèbre école de la RHS (Royal Horticultural Society). Elle y rencontre Martyn Rix et l’aide à reconstituer l’herbier de George Forrest. Puis son chemin la mène tout naturellement dans les incontournables pépinières Hillier où elle apprend le métier grâce à Peter Dummer et Roy Lancaster. C’est là qu’elle rencontre Timothy Vaughan qui deviendra son mari. Féru de botanique, il parcourt le monde spécialement l’Australie avant de consacrer son enthousiasme jardinier chez Hillier et à Kew Garden à Londres. Que peut-on rêver de mieux ? Devenu paysagiste, il réaménage notamment le parc de Courson. Ensemble, dans leur pépinière de Tréguier, ils rassemblent et multiplient pendant plus de 10 ans des plantes propices au climat breton. Ils conjuguent à la fois connaissances botaniques et architecture du paysage.

 Kerdalo peut donc dormir tranquille.

Nous venons d’apprendre en ce printemps 2021 que le domaine a été vendu.

infos pratiques

Kerdalo

22220     Trédarzec

www.lesjardinsdekerdalo.com                                                                                                             

A lire

  • A noter mais malheureusement indisponible : Kerdalo un jardin d’exception, Peter Wolkonsky et Emmanuel de Waresquiel, photos Hélène d’Andlau, La Maison Rustique 1995, ISBN 2-7066-0831-5
  • Kerdalo le jardin continu, Erik Orsenna, Isabelle et Timothy Vaughan, photos Yann Monel, Ulmer, 2007, ISBN 978-2-84138-316-0
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