La Bretagne des jardins

Comme chaque année, nous cédons à notre addiction première, la visite de jardins de rêve. En mai dernier, notre route a croisé celles de Bretagne, éclairées par la lumière de la mer et les couleurs bigarrées des rhododendrons.
Jardin et anse du Pellinec

Plus précisément, les jardins des Côtes d’Armor au microclimat privilégié, baigné de la douceur du Gulf Stream. A l’abri des vents froids, spécialement ceux du nord-est, sans véritable amplitude thermique, il est permis là-bas de cultiver des plantes exceptionnelles venues des 4 coins du monde, notamment des zones tropicales ou subtropicales.

Pour nous, c’était d’abord l’occasion de revoir le jardin de Kerdalo, ce lieu mythique incontournable, œuvre du Prince Peter Wolkonsky, mais aussi de découvrir d’autres somptueux jardins déjà repérés sur « papier glacé ». Des trésors botaniques souvent exotiques et des compositions splendides. Un festin de perles jardinières. Dans la première partie de cet article, j’aimerais vous présenter 2 jardins d’exception, Le Pellinec et Le Kestellic.

Kerdalo

LE PELLINEC

Il est vrai, Kerdalo a essaimé autour de lui. A un jet de pierre, à Penvénan, Le Pellinec, ce domaine enchanté, s’est réveillé un jour de 1994 après des années d’abandon, sous la houlette de Gérard Jean. Après la restauration du manoir datant de la fin du XVIIème siècle, construit dans le style des malouinières, il commence deux ans plus tard, les premières plantations sur un espace de 4 ha agrandi à 7 ha. Ayant déjà 4 jardins à son actif, influencé par l’œuvre de l’architecte paysagiste Erwan Tymen et obsédé par la couleur et la lumière, il se jette seul dans l’aventure. Il dessine d’abord un plan des haies dans le but de protéger le jardin des grands vents, retrace les chemins et talus disparus, reconstruit les murs de pierre sèche, avant de planter environ 15000 plantes dont 2500 espèces à l’incroyable vitesse de croissance. Différents milieux coexistent, – sec, drainé, humide et marécageux -, si bien qu’il décide d’appliquer le précepte premier de Beth Chatto, célèbre jardinière anglaise malheureusement décédée en mai dernier, the right plant for the right place. Les plantes fragiles sont acclimatées avec soin, les méditerranéennes colonisent les talus et pieds des cyprès et les Miscanthus les coins humides.

En 2008, il reçoit le prix Bonpland octroyé par la Société Nationale d’Horticulture de France, SNHF, à titre de jardin exemplaire et quelques années plus tard, le label de « Jardin Remarquable » avant d’être reconnu « jardin préféré des français ». Aujourd’hui, Gérard Jean se consacre à l’entretien de son domaine et à l’écriture d’un 4ème ouvrage dédié au jardin, aux feuillages et aux floraisons théâtrales.

Collections fabuleuses

Au fil de la promenade, des collections de Rhododendron, de Magnolia, – 57 espèces, dont Magnolia ou Michelia yunnanensis, un des meilleurs selon lui -, des Araliacées dont Shefflera macrophylla à grandes feuilles et Brassaiopsis mitis au feuillage étrange, des lauracées dont Neolitsea sericea. Des plantes rarissimes aussi, comme Oreopanax epremesnilianus sur la façade du manoir ou encore Richea scoparia, une plante endémique en Tasmanie.

Succession d’ambiances

6 jardins consacrés chacun à un thème différent emmènent le visiteur dans un grand voyage autour du monde.

  1. Le premier est exotique. Il est planté dès 1998 dans l’ancien potager dans lequel subsistait seul, un vénérable Trachycarpus fortunei. Derrière des murets de pierre sèche, à l’abri des vents et des embruns, dans un sol au pH neutre suite aux ajouts jadis, d’algues calcaires comme engrais pour les légumes, poussent des végétaux appréciant humidité et douceur. Cordylines, Phormium, Chamaerops humilis, Phoenix canariensis, Butia capitata, Trachycarpus wagnerianus et fortunei, Daphniphyllum et Olearia se disputent la place sans oublier le seigneur du lieu ramené d’un voyage aux Seychelles, l’Agave ‘Franzosinii’ agrippé à un muret à côté d’un Puya berteroniana.
  • Le deuxième jardin conçu un an plus tard sur un sol riche à tendance argileuse est résolument anglais. Ponctué de quelques conifères et Magnolia, il propose des lignes courbes, des allées engazonnées et des mixed borders en îlots, mêlant plantes vivaces aux arbustes dont une quantité d’azalées, rhodos et hydrangeas.
  • En 2000, vient la création du jardin d’eau avec la réhabilitation d’un étang de 1000m² qui alimentait autrefois un moulin repris sur d’anciens plans. Au bord de l’anse du Pellinec, la magie opère. Les nymphéas sur l’étang, la mer en toile de fond … une fabuleuse carte postale. Sur les berges, ondulent des iris, Hosta, astilbes, Persicaria, Caltha palustris, Gunnera, Lysichiton ou Acorusà feuillage bicolore.
  • A l’arrière de l’étang, une zone marécageuse souvent totalement inondée, est propice à la création d’un jardin dédié aux iris du Japon. Plantés en damier, les Iris ensata colorés de blanc au bleu foncé en passant par le rose, sont véritablement les stars des mois de juin et juillet. Un caillebotis sur pilotis montre le chemin. Ils sont accompagnés de Zantedeschia, Ligularia, Miscanthus, Iris pseudocarus ‘Variegata’, Primula japonica, Myosotis scorpioides et d’osmondes royales.
  • Le jardin austral est dessiné en 2004 sur un sol plus acide, – pH 6 -, autour d’un cercle pavé qui rejette la chaleur pendant la nuit. Grâce à une légère pente accentuant le drainage, des plantes xérophiles originaires notamment de Nouvelle Zélande, Australie et Tasmanie comme Dasylirion, Yucca, Chamaerops, agaves, cordylines, cactus et Beschorneria prennent place. Egalement différentes espèces d’Eucalyptus et quelques Dicksonia antartica.
  • La dernière réalisation, une allée himalayenne de plus de 100m de long, date de 2009. Elle est l’apothéose. Belle 12 mois sur 12, sans travail d’entretien car tout est y paillé avec un mulch de branches broyées. Que rêver de plus ? Au bord de la forêt qui la surplombe, le sol humifère et léger est idéal pour les rhodos choisis tant pour la beauté de leurs fleurs que pour celle de leur feuillage tels R. macabeanum ou yakushimanum. Aussi des bambous aux belles cannes jaunes, comme Phyllostachys bambusoides ‘Castillonii’ non traçants, quelques araliacées comme les Shefflera et différents mahonias au feuillage persistant.

LE KESTELLIC

A quelques pas de Kerdalo et du Pellinec, à Plouguiel, autour d’un manoir de granit rose, un autre jardin, Le Kestellic, domine la rivière du Jaudy et offre une vue merveilleuse sur la charmante petite ville de Tréguier. Ce jardin botanique de 7 ha dont plusieurs arbres sont centenaires, est créé dans les années 70, par Yan de Keroüartz, ingénieur forestier passionné de plantes, à l’esprit scientifique aiguisé. Contemporain et ami des Vilmorin, – célèbre famille de botanistes à l’origine de l’entreprise de semences Vilmorin -, voisin de Peter Wolkonsky, il ne se contente pas de végétaux indigènes comme hêtres, chênes, ifs, noisetiers ou genêts mais plante de grands arbres exotiques tels que séquoias, tulipiers, cèdres de l’Atlas, Ginkgo biloba ou cyprès…A son décès en 1995, Gaël, son fils, prend les rênes du domaine et continue les plantations. Dans un sol acide propice, il installe non seulement des Eucalyptus et Nothofagus à feuillage persistant pour remplacer les arbres tombés lors de la tempête de 1987, mais aussi des végétaux rares originaires du Japon, de Chine, Nouvelle-Zélande, Chili ou Afrique du Sud. Notamment un Lithocarpus elegans, aux grandes feuilles coriaces et persistantes ou un Brassaiopsis mitis originaire lui aussi de l’Himalaya, ou encore un Tetradium daniellii, appelé aussi Euodia, l’arbre à miel, originaire des forêts du nord de la Chine, à la floraison odorante et mellifère.

Dans ce jardin, le visiteur curieux ou averti découvre une collection de ligneux impressionnante constituée de plus de 90% d’espèces. Plus de 2 000 espèces différentes. Ici, pas de produits chimiques, mais libre cours aux fleurs sauvages et aux végétaux indigènes, l’idée étant d’interférer le moins possible sur les écosystèmes. 3 jardiniers sous la houlette de Tangi Rabin assurent l’entretien du lieu. Tout est scrupuleusement paillé avec du broyat, des feuilles mortes et du compost maison.

Quelques plantes rarissimes

Différentes Lauracées dont l’avocatier originaire du Mexique, Persea americana, le premier Lindera megaphylla planté en France, des Magnolia et Michelia dont une vingtaine d’espèces asiatiques à feuillage persistant, – certaines n’étant pas encore nommées -, des érables dont Acer laevigatum ou negundo ssp mexicanum, ou encore tonkinense. Aussi des chênes tels Quercus ilex, robur et suber, des Araliacées dont les Tetrapanax et Schefflera rhododendrifolia aux grandes feuilles coriaces et palmées, 9 espèces de Mahonia dont M. gracilipes originaire des Yunnan et Sichuan. Sans oublier un des plus grands Fremotodendron californicum d’Europe qui égaie la façade de la maison.

Différentes zones bien distinctes

Ce jardin labellisé « Jardin Remarquable » est caché dans un merveilleux vallon boisé, en surplomb de la rivière, bien à l’abri des vents frais. Sur un dénivelé de 50 m, des chemins étroits et sinueux traversent une sorte de jungle, longent des ruisseaux, bassins et cascades irrigant tout le jardin, jusqu’à un jardin plus structuré près du manoir. 3 zones bien distinctes accueillent des plantes différentes.

  1. La zone tempérée

La première, tempérée, borde la partie haute plus particulièrement dédiée aux végétaux des forêts chinoises ramenés encore récemment par quelques chasseurs de plantes et collectionneurs hors pair qui introduisent nombre de plantes rares ou étonnantes dans les grands parcs de France. Hydrangeas, rhododendrons, magnolias et érables se côtoient tandis qu’un magnifique Davidia involucrata, exhibe ses précieux mouchoirs.

  • La zone humide

Dans le fond du vallon, le long du ruisseau, des plantes de climat océanique aimant fraicheur et humidité coulent des jours heureux. Une collection de fougères arborescentes, Dicksonia antartica et squarrosa confèrent une ambiance magique et exotique au lieu. Également des Woodwardia radicans, fougères majestueuses originaires de Madère, des primevères de l’Himalaya Primula japonica, des Melanoselinum decipiens, appelés fréquemment les persils de Madère aux ombelles légères. Sans oublier les Cardiocrinum giganteum ou lys géants, Gunnera manicata, Lysichiton americanus, Schefflera rhododendrifolia. Lors des périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes, Tangi Rabin est obligé d’asperger les plantes rares pour pouvoir les conserver sans souci.

  • La zone méditerranéenne

Sur les pentes de granit rose, une zone méditerranéenne exposée à la chaleur du sud, à l’abri des vents froids, accueille les végétaux originaires de Californie, Afrique et Amérique du sud ou Australie. Les conditions sont délicates car en divers endroits, la roche mère affleure, ne laissant qu’une couche de 10 à 30 cm de terre végétale. Ceci dit, c’est idéal pour cultiver des cactées, broméliacées terrestres tel Puya chilensis, des protéacées et autres plantes grasses, mais aussi des cistes, arbousiers, phormiums, eucalyptus ou Grevillea. Aussi des plantes vivaces comme Beschorneria yuccoides à la floraison étonnante, Anemanthele lessionana ou Stipa arundinacea au feuillage léger et persistant et des charmants Scilla natalensis d’Afrique du sud, bulbes aux gracieuses hampes bleues.

Infos pratiques

Le Pellinec                                                                                                                         Monsieur Gérard Jean : www.le-jardin-de-pellinec.frhttp://www.le-jardin-de-pellinec.fr

Le Kestellic                                                                                                                    Monsieur Gaël de Kerouartz : www.kestellic.fr

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