La Bretagne des jardins Deuxième acte

Cap sur deux autres jardins d’exception découverts en mai dernier lors de notre périple annuel. Ker Louis, des collections dans un paysage et Le Grand Launay ou l’art de la mise en scène
Jardin de Ker Louis

KER LOUIS, un paysage

Situé entre St Malo et St Brieuc, près du Cap Fréhel, à 4 km de l’océan, le jardin de Louis et Michèle Tranchant est une halte de rêve pour tous les jardiniers voyageurs. Un paysage où l’on chemine à la découverte de plantes parfaitement mises en scène. Dans un sol argilo siliceux au PH de 5,6, les végétaux comptent parfois 2 pousses par an grâce à l’humidité presque constante et la douceur hivernale des températures descendant rarement en dessous de 5°C.

L’histoire commence en 1980 par l’achat d’un ancien champ de culture et la construction d’une maison bretonne typique avec ses volets bleus et des blocs de pierre entourant portes et fenêtres. Pour se protéger des riverains et des embruns, ils plantent d’abord une haie de Chamaecyparis, attaquent les abords de la maison et chaque week-end, décident d’améliorer l’ordinaire en installant des coups de cœur repérés dans des revues spécialisées ou lors des visites de jardins.

En 1987, le virus aidant, ils achètent une deuxième parcelle assez étroite dans laquelle ils dessinent une allée centrale sinueuse bordée de larges massifs puis 6 ans plus tard, un troisième terrain, de quoi agrandir leur aire de jeu à un total de 2 ha. Aujourd’hui, retraité, Louis y est à temps plein et y travaille seul tous les jours sauf, lorsqu’il participe à des explorations botaniques en Asie, notamment en Birmanie.

D’abord, des perspectives

La promenade commence par au sud par une longue perspective parsemée d’arbres et arbustes. Un magnifique Cornus controversa ‘Variegata’ y est le point focal tout comme un groupe de Betula albosinensis ‘Bois Marquis’ à l’écorce décorative. Pour Louis, le jardin doit être beau en toutes saisons, même en hiver, période où les écorces des bouleaux, cerisiers d’ornement ou érables sont indispensables. Les floraisons débutent avec les magnolias et camélias, puis vient celle des rhododendrons, rosiers et hydrangeas, le tout dans des camaïeux de vert, bleu, gris avec quelques pointes de pourpre. Les transitions sont douces, les plantes sont taillées en transparence pour avoir moins de prise au vent. Les branches basses des arbres ou arbustes sont éliminées au fur et à mesure de leur croissance pour laisser passer la lumière et permettre l’installation de vivaces en couvre-sol.  A défaut, un mulch de feuilles pour que le sol ne soit jamais nu.

Le sous-bois des cornouillers, viornes ou érables offre des vues diverses et mène au jardin nord que l’on aperçoit au détour du chemin. La surprise est totale : une grande clairière bien tondue descendant en pente douce vers un étang. Creusé à partir d’une source à 2,5m de profondeur, il prend place presque naturellement dans un espace à l’origine entièrement plat. Mais détestant l’idée d’un plan d’eau encaissé, Louis a gommé les différences de niveaux avec l’aide d’une pelleteuse et récupéré les terres en les étalant à l’arrière pour donner du relief. L’effet est magique. Une respiration … avant l’apothéose. Sur le côté, un peu en retrait, invisible au départ, se cache un jardin japonais. Les graviers y sont ratissés en vagues, les ifs et un petit Magnolia stellata y sont taillés en nuages, les îles de la tortue et de la grue côtoient une élégante maison de thé. Un tableau zen propice à la méditation sorti tout droit de l’imagination de son auteur.

Puis, des collections

Sur le site internet, la liste des plantes réunies est impressionnante. Une collection de 300 à 500 Camellia, plus de 300 espèces de Rhododendron, y compris des ‘Fastuosum Flore Pleno’ ou des mucronulatum, une centaine d’érables japonais, beaucoup de Magnolia, quelques Stewartia et des araliacées tels les Schefflera et Tieghemopanax synonymes Polyschias sambucifolia au fin feuillage délicat. Aussi quelques chênes intéressants comme Quercus variabilis ressemblant au Q. suber, le chêne-liège ou encore Q. phellos à feuilles de saule.

Priorité aux magnolias :

La première floraison de Magnolia denudata pointe son nez et enchante dès février – mars.           Puis, place aux floraisons roses de :

  • Magnolia campbellii ‘Darjeeling’, aux grandes fleurs rose soutenu voire pourpre,
  • ‘Galaxy’ à la longue floraison rose,
  • ‘Spectrum’, un semis du précédent aux fleurs un rien plus foncées.

Ou blanches de :

  • M. stellata : un grand classique aux étoiles blanc pur,
  • M. ‘Manchu Fan’, assez tardif aux « tulipes » blanc crème,
  • M. ‘Sayonara’ installé à la fin de la visite car il signifie « au revoir » en japonais,
  • M. sieboldii ou wilsonii à floraison tardive.

Sans oublier les cousins à feuillage persistant issus de semis wild collected assez rares :

  •  Michelia maudiae aux grandes fleurs blanches très parfumées,
  • Ou Manglietia insignis aux fleurs rose rouge, teintées de crème qui a fleuri pour la première fois cette année.

Et aux érables :

Au printemps et à l’automne les couleurs des érables sont stupéfiantes. Parmi les préférés de Louis :

  • À la robe corail, A. palmatum ‘Corallinum’,’ Beni-komachi’, ‘Beni-maiko’ ou ‘Shin-deshojo’ ;
  • Dans les jaunes, A. p. ‘Katsura’, ‘Orange Dream’ ou A. shirasawanum ‘Jordan’ ;
  • Pour la finesse de leurs feuilles, A. palmatum ‘Seiryu’, ‘Emerald Lace’ ;
  • Et pour les écorces à peaux de serpent A. pensylvanicum, A.grosseri var. hersii.
A. p. ‘Hokushimo’ et A. p. ‘Beni Komashi’
A. viridis, A. p. atropurpureum et derrière A. ‘Seiryu’

Pour les fins connaisseurs, à épingler :

  • Un jeune Huodendron très prometteur de la famille des Styracacées, en provenance du Vietnam, florifère et parfumé, à la superbe écorce,
  • Lindera megaphylla, au feuillage persistant,
  • De la famille des euphorbes, Mallotus japonicus ou Alchornea davidii au jeune feuillage cordiforme rose vif,
  • Arbutus xalapensis originaire du Mexique, Prunus cerasoides de Birmanie,
  • Et des Araliacées comme Brassaiopsis mitis, Schefflera taiwaniana ou macrophylla et Fatsia polycarpa pour ne retenir qu’eux.

LE GRAND LAUNAY, ou l’art de la mise en scène

En 1973, Jean et Jacqueline Schalit, un couple de journalistes, jettent leur dévolu à Lanrivain dans le département des Côtes d’Armor, sur le Grand Launay, une ancienne aulnaie avec un manoir des XVIIème et XVIIIème transformé en ferme. Non pas sur le littoral mais dans cette Bretagne intérieure et boisée dénommée Argoat. Quelques années plus tard, après la restauration de la maison, vient le défrichage du terrain à l’abandon. Un espace d’1,5 ha les attend. De quoi rendre jardinier n’importe quel parisien autodidacte. Une évidence s’impose à eux. Respecter le sol, – une terre acide -, les bois environnants, les nombreuses sources, le relief, – un dénivelé d’environ 30 m -, et les plantes indigènes. Sans hésiter, atteints d’une frénésie jardinière toute débutante, ils se mettent à la tâche tout en faisant appel en 1995 au paysagiste Gaël Boédec. Une grande complicité s’installe entre eux. Le résultat de cette rencontre ? Un jardin étonnant récompensé par le label de « Jardin Remarquable ». Contemporain, structuré, rythmé par un grain de fantaisie, de douce folie. Les uns y voient un jardin médiéval ou de curé remanié à la sauce d’aujourd’hui, les autres, un jardin à l’anglaise dans la grande tradition des chambres de verdure, initiée par Lawrence Jonhston au très célèbre Hidcote Manor.

De surprise en surprise

Parler d’un jardin ne serait pas exact. Plutôt d’une dizaine de jardins articulés autour de bâtiments de ferme. Oui, ici on chemine dans un labyrinthe de chambres de verdure aux ambiances bien différentes. Un véritable patchwork de pièces en plein air, indépendantes, enfermées par des murs ou des haies et reliées entre elles par des passages. Dans ce lieu qui donne l’illusion d’être immense, les perspectives, les axes, les lignes et les proportions sont soulignées avec élégance comme dans les jardins de la Renaissance italienne.

Le clos du tilleul, la porte des vents, la cour d’accueil, l’allée des senteurs, le petit potager aux structures de saule tressé, le jardin des herbes, des transparences, des ondes, la cour des topiaires ou le sentier des déambulations nous emmènent dans un parcours féérique. Le verger appelé jardin d’éden ne laisse personne indifférent. Entre les pommiers, sur le gazon, courent des lignes de buis ondulantes, tels des serpents qui terminent leur course en s’enroulant autour des troncs. De quoi évoquer le jardin de la tentation et lier les arbres entre eux de manière plutôt poétique. L’effet est saisissant. Plus loin, alors qu’on croit être arrivé au bout du bout, un dernier jardin intimiste se découvre soudain. Dédié aux mousses, la lumière y joue avec les troncs des arbres, les viornes à floraison blanche et les pierres. Comme au pays du soleil levant.

Art topiaire

Au Grand Launay, le besoin de structurer et dompter dame nature est incontestable. A feuillage persistant ou caduc, les végétaux sont façonnés traditionnellement à la cisaille en diverses formes topiaires. Buis, Lonicera, Osmanthus, houx, charme, hêtre, rhodo, noisetier, laurier du Portugal, aubépine, chêne ou camélia, tout est bon pour former une sphère, un cône, un cube, une table, une vague, un moutonnement … Et même, pourquoi pas, des serpents en spirale. Tout ici est question de savoir-faire, de maîtrise et de dextérité. Un travail méticuleux où le hasard n’a pas de place et où les silhouettes naturelles sont respectées. Une galerie de sculptures à ciel ouvert, un trésor de patience et d’imagination ordonnée.

L’eau, le fil conducteur

L’eau, omniprésente est le fil conducteur de la composition. Source, fontaine, puits, mare, ancien lavoir, cascade, canal le rappellent. Un jardin, ou plutôt une clairière en contrebas, lui est entièrement dédié. Au beau milieu, un canal étroit en béton peint au goudron, sorte de goulotte surélevée, prend naissance dans un petit bassin entre deux grilles métalliques recouvertes de lierre. Il constitue l’axe principal de cette partie de jardin, tout en soulignant la perspective. Séparant des bandes successives de gravier blanc, de pavage de schiste sur chant et de végétaux aux formes diversifiées, il descend par paliers successifs et sonores jusqu’à un deuxième bassin. Ensuite, par une fente étroite, l’eau franchit un haut mur de fer rouillé et rejoint la rivière. Des prêles, des bambous et quelques arbres jouent l’accent vertical de cette partition musicale. L’ensemble est d’une grande simplicité, sans fioriture, résolument japonisant. Antichambre du jardin des mousses qui se laisse découvrir au détour du chemin, il est subtilement cadré par les ouvertures d’un joli pavillon de thé qui le surplombe.

Les décors

Si le végétal et l’eau sont les priorités du lieu, les décors et le minéral en particulier en sont les faire-valoir. Grilles, murets, arceaux, escaliers et cheminements participent à la mise en scène. Les matériaux utilisés sont divers : métal, béton, ardoise, schiste, granit ou gravier. Des palis de schiste sont dressés pour retenir les terres et des feuilles métalliques encadrent ou surélèvent les parterres. Ils ajoutent une note contemporaine.

Aujourd’hui, Jean Schalit est définitivement contaminé. Président de l’association Lieux Mouvants, qui propose chaque été des rendez-vous de dialogue et de création dans et autour de la nature, il est convaincu que « jardin et nature sont des portes d’entrée simples sur les rencontres les plus différentes ».  

Infos pratiques

Partager