Le jardin de la Pellerine, une partition à 4 mains

Ce jardin d’éden façonné et travaillé quotidiennement par des amateurs éclairés est le formidable écrin d’une collection de plantes
Rosa 'Treasure Trove' © Brigitte Perdereau

Photos de Brigitte Perdereau

Aux portes de la Bretagne, dans la belle campagne de la Mayenne où vallons verdoyants et prairies bocagères se succèdent, un détail ne trompe pas dans une rue du petit village de La Pellerine. Un magnifique portail de bois ouvragé, dans la plus pure tradition des jardins anglais, attire le regard. Derrière, on devine un impressionnant rosier le prenant d’assaut et on aperçoit des haies et des arbustes taillés au bouton, prémices d’un jardin somptueux. Un panneau « jardin remarquable » est affiché à l’entrée…le ton est donné. Ici, on va se régaler.

Allée des ifs avec les boules de Berberis thunbergii f. atropurpurea ‘Rose Glow’ ©B. Perdereau

Manoir du XVIIème siècle

Sur la façade, R. banksiae ‘Lutea’ et R. ‘Purezza’ © B. Perdereau

Dans les années 80, Sylvie et Alain Douinot, découvrent une ferme à l’abandon avec quelques prés et un ruisseau. Pas un arbre à l’horizon, seulement une multitude de ronces et d’orties. Conscients du potentiel des lieux, ils l’achètent et commencent par restaurer la vieille demeure en pierre avant de s’attaquer en 1986, à la pièce principale, le morceau de choix qu’est le jardin. D’abord, les alentours à l’arrière de la maison, une terrasse à fleurir, une prairie vers l’étang et puis petit à petit, de l’autre côté, un jardin, ou plutôt une série de petits jardins structurés et en guise d’apothéose, une grande pièce d’eau rectangulaire et une collection d’arbustes rares. Aujourd’hui, à deux, ils règnent en maîtres sur un terrain de jeu d’environ 2,5 ha dans lequel chaque jour, avec une énergie redoutable, ils travaillent et façonnent leur éden à la recherche d’harmonie entre les volumes et les couleurs.

© B. Perdereau

A 4 mains 

Pas de réussite sans collaboration entre les époux. Sylvie, la muse, botaniste d’adoption, a un sens aigu de l’esthétique ; elle dessine les massifs et décide du choix des plantations. Autodidacte, elle apprend sur le tas et expérimente sans arrêt. Beaucoup de vivaces faciles comme les persicaires, phlox, hémérocalles, filipendules, eupatoires ou lobélias, mais aussi des rosiers pour leur longue floraison et leur parfum et des arbustes à fleurs ou à feuillage intéressant. Alain, tel un chef d’orchestre, met constamment en musique les idées de son épouse. Il invente et surtout réalise les structures végétales et les décors. Maçonnerie, boiserie, dallage, fontaines, bassins, escaliers ou murets n’ont plus de secrets pour lui. Il démonte même une serre du XIXème récupérée dans le parc d’un château de la région et pousse le détail à graver les dalles de béton des chemins avec une ancienne ferronnerie pour les patiner. Pour ce qui est de l’entretien, il s’occupe essentiellement de la taille des haies, – et il y en a beaucoup -, et des gros travaux de terrassements.

Quant à Sylvie, inlassablement, elle remet en forme, divise, plante et déplante, sème, marcotte, recèpe, désherbe, peaufine …A-t-elle vraiment le temps de s’asseoir sur un des bancs qui ponctuent la promenade ? Le challenge est de taille. Le jardin doit être beau tous les jours, il est ouvert à la visite depuis la fin des années 80.

Pour tout cela, ils ont reçu le Prix des Vieilles Maisons Françaises, le 3ème Prix Bonpland octroyé par la SNHF, Société Nationale d’Horticulture de France, qui récompense le savoir-faire et last but not least, en 2004, le label de qualité « Jardin Remarquable » octroyé par le ministère de la Culture pour les jardins qui présentent un intérêt culturel, esthétique, historique ou botanique.

Paysager

Là-bas, les conditions sont propices au jardinage. Un climat océanique doux, une terre argilo-limoneuse, riche, neutre et profonde sans oublier l’eau, indispensable pour tout jardinier qui se respecte. Les étangs, bassins et sources rythment le lieu et promettent une merveilleuse mise en scène. Ils commencent par les abords de la ferme, l’habillage de ses murs et une première terrasse délimitée par un muret de pierres. 5 ans plus tard, ils installent les grandes plates-bandes en pente douce vers la rivière et creusent l’étang en contrebas. Le dessin est paysager, les lignes sont courbes et naturelles. Dans la pelouse, des « virgules » plantées en island beds alternent avec des chemins bien tondus. Beaucoup de vivaces pas trop hautes y sont plantées pour ne pas gâcher la perspective.

Island bed

Cette technique de plantation est mise en lumière par Alan Bloom, une légende dans le petit monde des plantes vivaces qui en a découvert et introduit plus de 170, notamment des Geranium. Dans les années 50, dans son jardin de Bressingham dans le Norfolk, il a créé son fameux Dell garden, avec des îlots plantés, island beds, posés délicatement sur la pelouse et autour desquels il est agréable de se promener. Une manière intéressante de diviser et agrandir l’espace.

Sur le côté, dans un couloir bordé de haies hautes, le ton est différent. Un petit bassin rond ourlé de vivaces, un autre le long de la vieille serre aux murs roses, un jardin blanc, une gloriette où il est bon se reposer. Au-delà, ils ont laissé à l’étang son côté naturel et sauvage… la campagne avoisinante n’est pas loin.

Ou structuré

Le rêve premier de Sylvie était d’aménager un jardin formel et très structuré mais le contexte bocager ne s’y prêtait pas. Lorsque derrière la maison une parcelle d’1 ha se libère en 1991, elle n’hésite pas. A l’écart, mais avec des vues constantes sur l’avant de la demeure, il sera composé de chambres de verdure à thèmes dans la tradition anglaise initiée au début du XXème siècle à Hidcote Manor dans le Gloucestershire ou à Sissinghurst dans le Kent. Pendant 6 ans, ils s’y mettent corps et âme. Une série de jardins intimes, stricts et ordonnés, délimités par des haies hautes d’ifs, de buis ou de charme et reliés entre eux par des chemins grignotés par les fleurs des vivaces sont installés. La mise en scène est variée, les surprises se profilent au détour des haies, le regard est attiré par une foule de végétaux aux textures, couleurs et formes variées. Un dédale fait pour se perdre, s’arrêter, admirer et humer l’air du temps. Après le grand bassin aux nénuphars, la pergola des glycines, l’allée des 4 saisons appuyée sur ses grands contreforts d’ifs, le tapis vert ou le sous-bois. Les perspectives sont nombreuses, les échappées vers la ferme restaurée également. Le cloître de verdure à l’italienne avec ses imposantes arcades d’ifs impressionne. Il cache un sunken garden, jardin en contrebas, qui rappelle un autre lieu mythique, le jardin de Great Dixter de Christopher Lloyd dans le Sussex. Le lieu est solennel et élégant. Autour du bassin octogonal placé au centre de la terrasse dallée, les murets sont plantés d’une profusion de vivaces indisciplinées, alors que quelques topiaires montent la garde ainsi qu’un Kolreuteria paniculata en cépée.     

Le grand bassin

Quelques temps plus tard, dans les années 2000, une nouvelle aubaine se profile à l’horizon. Le terrain voisin en contrebas dans le prolongement de l’étang est à vendre. La cerise sur le gâteau. Ils l’achètent et comme à leur habitude, se mettent immédiatement au travail en plantant un nouveau décor. Un spectaculaire miroir d’eau alimenté par les sources. Ils aplanissent le fond du terrain et creusent un bassin rectangulaire de 30 m de long auquel on accède en descendant une volée d’escaliers. Le premier coup d’œil est saisissant. L’effet est magique.

© B. Perdereau

Les bords du bassin sont plantés d’iris japonais pour fêter les mois de mai et de juin, suivis par les salicaires, astilbes, lysimaques et graminées. Tout autour, est installé un écrin vert formé de talus recouverts d’une haie champêtre d’arbustes. Au-delà d’un pavillon qui appelle à la contemplation, ce n’est pas terminé. Un arboretum de 35 ares réunit arbres et arbustes rares, notamment des érables, magnolias ou cornouillers.

Collection de petits lilas

Sylvie pratique avec enthousiasme et passion le grand sport des visites des pépinières et fêtes des plantes. Expérimenter est devenu son quotidien. Lorsque nous avons eu l’occasion de découvrir La Pellerine tous nos sens en éveil, nous avons humé les parfums des lilas. Non pas les lilas communs d’Europe, Syringa vulgaris, à la silhouette dégingandée, au feuillage quelconque et à la floraison si éphémère qui étaient à la mode au siècle passé. Mais plutôt des arbustes au port buissonnant et arrondi, à la floraison plus tardive, refleurissant par vagues dans le courant de l’été. Dans les jardins, seuls Syringa microphylla, un botanique aux petites feuilles et son cultivar S. m. ‘Superba’ ou Syringa meyeriet son cultivar S. m. ‘Palibin’ sont utilisés. Sylvie décide d’implanter plusieurs lilas d’origine chinoise. Syringa potanii à la floraison rose ou blanche, S. komarowii à la floraison rose soutenu ou S.yunnanensis ‘Rosea’ aux fleurs rose pâle.

Pour la visite

Sylvie et Alain Douinot

La Larderie à 53220 La Pellerine

lejardindelapellerine@orange.fr

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