Les beaux jours de Sceaux

Au sud de Paris, sur la route des vacances, un magnifique parc public créé au XVIIe est soigné au bouton pour vivre l’ère résolument écologique du XXIe siècle.

Malgré bien des vicissitudes, c’est sans doute un miracle de pouvoir aujourd’hui se promener librement dans les allées et dédales de ce poumon vert, lieu magnifique, admirablement bien conservé.

Jean-Baptiste Colbert

Colbert, ministre des finances et surintendant des bâtiments de Louis XIV en est l’initiateur. Après avoir jeté aux oubliettes son principal rival politique, le malheureux Fouquet, défait lors de la pendaison de crémaillère de sa demeure de Vaux-le -Vicomte, il prend sa place auprès du Roi Soleil et décide de réaliser quelque chose d’encore plus beau. Un château et des jardins de rêve. En 1670, il achète une vieille bâtisse perchée sur la crête d’une colline, demande au célèbre Le Brun d’intervenir dans les aménagements et la décoration et au non moins réputé Le Nôtre de dessiner les jardins. Après avoir travaillé à Vaux et à Versailles, les voici tous les deux à Sceaux pour un nouveau défi.

Le chantier dure pendant plus de 20 ans. Après la mort de Colbert, son fils, le marquis de Seignelay continue les travaux et ne cesse d’agrandir le domaine tout en demandant à le Nôtre d’intervenir à chaque fois pour dessiner les nouveaux espaces. A Sceaux, les jardins sont monumentaux et sobres à l’image du père avec une touche de magnificence pour plaire au fils. Le résultat est sobre et harmonieux.

Après cet effort continu de deux générations et un temps de repos, le lieu repique une nouvelle jeunesse dès 1856 lors du second empire. Sous la houlette du Duc de Trévise qui lui rend ses lignes essentielles tout en reconstruisant le château. Sceaux subit ensuite les tumultes des guerres successives et les affres du temps. Jusqu’en 1923, lorsque le département de la Seine décide de le racheter. Différents éléments sont alors classés monuments historiques et plusieurs campagnes de restauration débutent sous la direction de Léon Azéma, architecte de la ville de Paris. Les grandes lignes du XVIIe sont maintenues et mêlées à des notes plus contemporaines. Il épure Le Nôtre pour mieux le transmettre. Sa démarche est exemplaire.

L’an dernier, à l’occasion des commémorations des 400 ans de sa naissance, les parterres de broderie situés au pied du château sont replantés. 45 000 buis, quelques dizaines d’ifs et des bandes de gazon sont installés par une équipe de dessinateurs, architectes et jardiniers qui ont planché pendant un an sur les dessins du maître et sur un logiciel 3D, modernité oblige.

Jardin « à la française »

C’est un jardin classique d’architecte où l’espace est complètement maîtrisé par la géométrie. On découvre à Sceaux deux grandes perspectives, deux axes qui se coupent perpendiculairement au pied du château. La première, est-ouest, est un « jet qui traverse la demeure en son milieu, écarte les futaies sur son passage et va se ficher très loin dans la campagne. »  (P. Morand, Fouquet ou le soleil offusqué). La seconde, nord-sud, est ponctuée d’une cascade, trait d’union entre le château en haut et une vaste pièce d’eau octogonale en contrebas située à l’emplacement d’un marécage et agrémentée d’un jet impressionnant. Une troisième perspective prend place lors de l’achat de nouvelles terres par le marquis de Seignelay : le grand canal long d’1km, petit clin d’œil à Vaux et à Versailles.

L’eau, véritable obsession du siècle des lumières, tient un rôle majeur dans la construction de l’espace. Quelques puits et sources ne suffisent pourtant pas. L’eau est captée à plusieurs kilomètres de là et acheminée par des canalisations parfois souterraines. Le fontainier, artisan indispensable à cette époque, réalise un circuit hydraulique relativement simple fonctionnant uniquement par gravitation. Le résultat est impressionnant. La cascade typiquement baroque devient le point d’orgue de la composition. Œuvre conjointe de Le Nôtre et de Le Brun, elle n’existe malheureusement plus aujourd’hui mais est reconstruite dans les années 30 par Azéma dans un style art déco .

Les végétaux

A Sceaux, les arbres sculptent le paysage, jouent avec l’échelle et graduent les hauteurs. Qu’ils soient géants, rares, historiques, pittoresques ou poétiques, ils donnent au parc son caractère, le structurent, forment ses allées, ses bosquets et sous-bois. Quelques-uns sont remarquables. Un charme de 9 mètres de haut au tronc sculpté tout à côté du bassin de l’Octogone, un étonnant chêne liège à la large envergure, assez inattendu en Île-de-France et une allée de cèdres  traversant le domaine avec majesté. De hautes palissades de charme et de marronniers et des alignements de tilleuls encadrent les perspectives, des ifs ponctuent les parterres et des bosquets bien touffus contrastent aves les milieux ouverts. Ceux-ci sont ornés de parterres de broderie tracés selon différents motifs floraux avec du buis qui se détache d’un fond minéral en brique pilée. Des parterres de gazon découpés dans des formes géométriques sont situés au-delà.

Ici, comme dans tout jardin « à la française » qui se respecte, les fleurs sont secondaires. Les sculptures en revanche ont un rôle majeur. Colbert et son fils rassemblent une collection exceptionnelle. Le surintendant des bâtiments savait s’entourer des meilleurs artistes que ce soit pour l’embellissement du Louvre ou pour son jardin de Sceaux. Beaucoup sont encore présentes aujourd’hui, soit disséminées dans le parc, soit présentées à l’abri dans l’orangerie.

Surprise, surprise

Le génie de Le Nôtre était de surprendre ses clients par des effets visuels au fur et à mesure qu’ils découvraient le jardin. Des cadrages différents en fonction des distances et des altitudes. Ceci à des fins de correction d’optique pour régler les proportions et éviter la monotonie. Dans le jargon, on parle des principes d’anamorphose servant à compenser les conditions de vision rasante. Par exemple, élargir  et allonger les formes à mesure de leur éloignement d’un point donné. René Pechère, architecte paysagiste belge réputé, a étudié ces principes dans sa Grammaire des Jardins, la bible des étudiants et amateurs éclairés. Il y note qu’à chaque visite à Vaux-le-Vicomte, il découvre une nouvelle illusion d’optique. Ici aussi, il faut se méfier des facéties du maître, elles se succèdent et surprennent le promeneur à chaque détour d’un chemin.

Aujourd’hui

Grâce au dynamisme du département des Hauts de Seine qui souhaite entretenir les 181 ha de parc et de jardin de manière véritablement éco responsable, Sceaux a de beaux jours devant lui. La biodiversité du site doit être préservée et les biotopes naturels protégés. Le lieu est classé zone naturelle d’intérêt écologique floristique et faunistique. La faune sauvage y est en effet assez étonnante si bien que des radeaux végétalisés et flottants sont installés sur le grand canal pour la nidification des oiseaux, des haies champêtres sont plantées, des prairies fauchées et des ruchers mis en place. Les produits chimiques sont définitivement bannis et les amendements naturels encouragés. Au détour d’un bosquet, on peut même, ébahi, admirer une tondeuse hippomobile tractée, sans bruits par deux chevaux de trait …

Infos pratiques

Domaine départemental de Sceaux
Château de Sceaux
92330 Sceaux
www.sceaux.fr

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