En 1986, après une vie d’artiste trépidante, Nicole de Vésian, styliste réputée chez Hermès, spécialisée dans les textiles, se jette corps et âme dans la création d’un jardin. 1600 m² de friche, plein sud l’attendent en bordure d’une modeste maison de village à Bonnieux. Un des plus beaux coins du Lubéron. Située à flanc de colline, collée aux rochers, elle domine le vallon où serpente la route vers Lacoste. Nicole de Vésian aménage d’abord différentes terrasses. A la manière des restanques provençales, par des murets de pierre sèche. Chacune forme un espace intime où le végétal se marie admirablement au minéral. Un espace de réception, un belvédère, la terrasse du bassin. Point de sophistication botanique. Le jardin doit s’intégrer au paysage sublime. Elle choisit les plantes parmi la végétation endémique de la région. Tout simplement. Les plantes de la garrigue, lavandes, cistes, romarins et thyms. Les fleurs et les couleurs ont pour elle un rôle accessoire. En revanche, les végétaux à feuillage persistant l’intéressent. Elle les conjugue dans différents tons doux de vert et de gris. Tout en nuances. Elle entreprend de les tailler ou plutôt de les sculpter. Cisaille et sécateur ne la quittent plus. Boules, cônes et autres formes originales plantent le décor. Les buis et les cyprès sont à la fête. Les troncs des arbres sont dénudés. Pour plus de légèreté. Son champ de lavandes, – des alignements de petits soldats -, clin d’œil au monde agricole qui l’entoure a fait le tour du monde sur papier glacé. La lumière y rebondit de ci de là. Un brin de méditation doublée de poésie et d’élégance. Havre de paix parfumé par les senteurs typiques du sud.

Les minéraux volent la vedette. Murets, galets de la Durance, pavements, marches d’escalier, sphères et vieille auge en pierre. Le rocher est omniprésent. Il sert de cadre à la vigne et à l’impressionnant bassin installé dans une vieille citerne. Quelques jolis bancs en bois bruts dessinés par elle-même ponctuent l’espace. Les détails de ferronnerie et de boiserie ne laissent pas indifférents ceux qui s’y attardent. Des balustrades en fer forgé délimitent les espaces de point de vue. D’aucuns estiment cette réalisation japonisante. A la limite du zen. Pour nous, c’est à coup sûr, un véritable jardin de femme empli de sensibilité et d’harmonie.
A 80 ans, Nicole de Vésian décide de déménager un peu plus loin dans le haut du village pour un jardin moins fatigant, d’un seul niveau. En 1996, elle vend son domaine de La Louve à Judith Pillsbury qui pratique le commerce d’estampes à Paris. Pour cette dernière, il s’agit d’une œuvre d’art. Elle devient tout naturellement « conservatrice » du jardin et met tout en œuvre pour garder l’esprit de sa créatrice. Notamment le travail de la taille. Elle l’agrandit en ajoutant une parcelle où elle installe une piscine parfaitement intégrée dans l’environnement. En 2007, le jardin de La Louve est labellisé « jardin remarquable » et en 2014, Sylvie Verger-Lanel devient la propriétaire, gardienne du lieu.

Epinglé
Quelques arbres jalonnent le parcours du jardin de La Louve. Un très bel Arbutus unedo, arbousier au feuillage persistant, des cyprès aux lignes élancées, Cupressus sempervirens, des néfliers du japon, Eriobotrya japonica bien différents de nos néfliers du nord et un magnifique cognassier aux branches tortueuses, Cydonia oblonga qui joue la sentinelle au bord du bassin. Les arbustes rappellent la garrigue mais on repère aussi des Osmantus, Pittosporum,Sarcococca , Choysia ternata, les orangers du Mexique et des Abelia à l’élégant feuillage. Rosa banksiae trop fragile pour nos contrées et Trachelospermum jasminoides, le faux jasmin étoilé – à tenter chez nous dans des endroits protégés- se mêlent aux vignes et montent à l’assaut des murs. Quelques plantes vivaces tels euphorbes, hellébores et géraniums complètent le tableau des armoises au feuillage argenté et des graminées. Une mention au Zoysia tenuifolia au look de gazon, résistant à la sécheresse à toute épreuve et à l’adorable petit Erigeron karvinskianus qui se faufile parmi chaque interstice.
Cydonia oblonga Tapis de Zoysia tenuifolia
Eriobtrya japonica
Astuces
Chez nous, certaines plantes de terre sèche et de climat chaud peuvent être installées au sud, dans des sols légers, protégés des vents frais. Pourquoi pas dans des pots. Si le réchauffement de la planète se précise, il sera utile de mieux connaître ce type de végétaux, leur échelle de résistance et leurs stratégies d’adaptation. La gestion de l’arrosage devient primordiale, ce mois de juillet le rappelle. Olivier Filippi qui gère une pépinière près de Sète dans le Hérault et qui expérimente tout ce qui pousse dans les régions de climat méditerranéen a écrit un livre de référence concernant les jardins secs. Pour un jardin sans arrosage, Actes Sud 2007, ISBN 978-2-7427-6730-4.
Acclimatation. Tout est affaire d’acclimatation. La rusticité est un premier inconvénient. Les plantes méditerranéennes détestent l’humidité stagnante en hiver. Un bon drainage est donc indispensable. Attention aussi au pH car la plupart des végétaux issus du maquis exigent un sol acide alors que ceux de la garrigue réclament un sol carrément calcaire.
Plantes dromadaires. Certaines plantes résistent mieux que d’autres à la sécheresse. On les appelle les dromadaires. A travers la canicule, l’Abelia se défend à merveille. Sa longue floraison estivale en clochettes blanc rosé ne craint rien. En automne, les bractées rouges restent intéressantes. Quant aux vivaces, optez pour les Gaura, Nepeta, Phlomis, Sedum, armoises, achillées et lavandes… Sans oublier l’Epimedium idéal au pied des arbres. Pour les graminées, sans hésiter le léger Stipa tenuifolia aux cheveux d’ange. Dans les jardinières, le petit Erigeron karvinskianus et les hélianthèmes feront l’affaire.
Reconnaître les plantes de terre sèche. L’été 2003 est resté gravé dans les mémoires. Peut-être que celui de 2010 laissera lui aussi quelques traces. Certains signes distinctifs révèlent l’adaptation d’un végétal à la sécheresse. Par exemple, les feuillages gris recouverts de petits poils qui les protègent de l’ardeur du soleil. Les feuilles coriaces et épaisses comme celles des succulentes et autres plantes grasses qui ont la capacité d’emmagasiner l’eau. Les feuillages très effilés qui font preuve de sobriété tel celui du fenouil ou encore les très vernissés tels ceux des buis et Bergenia.
Santolines bien taillées
EN PRATIQUE
Jardin de La Louve, Chemin Saint Gervais à 84480 Bonnieux, www.lalouve.eu
A LIRE
Nicole de Vésian, Un art des jardins en Provence, de Louisa Jones, Editions Actes Sud 2011, ISBN 978-2742796588
DE DEUX
Les jardins d’artistes en Provence de Julia Droste et Mario Ciampi, Edition Verbavolant 2008, ISBN 978-1905216161
ET DE TROIS
Un art de vivre au jardin. Les jardins provençaux de Michel Semini, de Louisa Jones, Edition Kubik 2007, ISBN 978-2350830391