La colossale Caserta, un Versailles à l’italienne

À 20 km de Naples, au Palais royal de Caserte, la mise en scène est théâtrale. Démonstration de l’art de la perspective… longue si longue, presqu’infinie dans un paysage grandiose presqu’hostile

En Campanie, dans la moitié du XVIIIème, Charles III, un Bourbon espagnol, fils de Philippe V, règne sur les Deux-Siciles, le puissant royaume de Naples. Connu pour avoir fait de sa capitale l’un des plus grands centres culturels de l’Europe, il désire créer un jardin colossal à l’échelle de son palais. Comme à l’Escurial près de Madrid mais aussi comme à Versailles. Au nord de Naples, loin des éruptions du Vésuve et des ennemis qui pourraient débarquer des rivages, là où il possède un pavillon de chasse. Le résultat ? En pleine nature, dans un décor délimité par des montagnes lointaines, un ensemble monumental avec un palais de 45.000m², 1.200 pièces, 34 escaliers, 4 cours et un grand jardin historique dans la plus pure tradition formelle. En d’autres mots, l’un des jardins baroques les plus saisissants d’Italie inscrit depuis 1997 sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, avec jeux d’eau, groupes de sculpture et arbres exceptionnels dans un parc d’une centaine d’hectares.

Envie de Versailles ?

Envie de copier, de surpasser les jardins de Versailles à Naples ? Calquer ses perspectives, parterres, bosquets, broderies de buis et allées de charmes, son grand canal et ses escaliers, ses innombrables fontaines et statues ?  Incontestablement, Versailles a eu une influence considérable en France et en Europe à une époque où l’Italie perd son rôle de chef de file en matière d’art des jardins et avant de céder la place à l’Angleterre. Ceci dit, André Le Nôtre n’a pas suscité que de pâles imitations mais aussi des adaptations ou interprétations tenant compte de la nature du terrain, de l’esprit du pays et du commanditaire. Beaucoup d’exemples sont imprégnés de l’esprit de la création du Roi Soleil. Fontainebleau mais aussi Schönbrunn à Vienne, Sans-Souci à Postdam, Nymphenburg et Schleissheim à Munich, Drottingham à Stockholm sans oublier le très célèbre Peterhof à Saint-Pétersbourg, le palais d’été de Pierre le Grand, relié à la mer baltique par un canal et une série de cascades rehaussées de fontaines monumentales. Au Royaume Uni, Hampton Court, Blenheim ou Cliveden sont redessinés alors que Philippe V d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, crée le jardin d’eau enchanteur de la Granja à Ségovie. La Caserta, dont les dimensions dépasseraient celles du château et du parc de Versailles, peut se targuer d’être l’un des derniers jardins européens à la française.

Vous avez dit baroque ?

Michel Baridon, spécialiste et expert de l’histoire des jardins et du paysage précise :

« Le jardin Renaissance, solidement tenu par sa quadrature, dialogue avec le paysage, a des dimensions humaines et est séparé du paysage par des murs ou des haies ; le jardin baroque efface la quadrature et s’allonge vers l’horizon ».                                                                                 L’eau dans les jardins d’Europe, Michel Baridon, Editions Mardaga, Wavre 2008, ISBN 978-2-87009-990-2, p58

Vous l’aurez compris, tout est une question de rapport à l’espace ; l’âge baroque ouvre le jardin sur le paysage, les barrières étant tout simplement supprimées. Le Palais de La Caserta est considéré généralement comme la dernière expression du baroque italien. Pensé et dessiné par des architectes de renom, l’aspect spectaculaire du palais n’a d’égal que son parc.

L’axe, centre de la composition et centre du monde

En 1752, intervient l’architecte Luigi Vanvitelli d’origine hollandaise, Louis Van Vittel, puis son fils Carlo qui poursuit son œuvre en simplifiant les plans, tout en respectant fidèlement leur esprit et en conservant leur composition alternant fontaines, pièces d’eaux, terrasses et escaliers. Leur mission est d’abord de montrer la gloire et le prestige de Charles III mais aussi de surpasser Versailles en termes de taille et de profusion des eaux. Influencés par les traditions de la Renaissance, du baroque et du rococo, ils vont largement s’inspirer des principes, règles de base et croquis réunis par Dézallier d’Argenville dans sa Théorie et traité de jardinage, ouvrage largement diffusé en Europe et réédité à maintes reprises. A l’époque, cela pouvait paraître un peu démodé, la plupart des parterres, terrasses et canaux étant transformés en grand gazon ou en lacs aux formes irrégulières et naturelles comme le préconisait à qui voulait l’entendre, le célébrissime architecte paysagiste Capability Brown qui était au XVIIIème ce qu’André Le Nôtre était au siècle précédent.

Les jardins du palais de Caserte débutent face à la façade arrière et bordent une très longue allée centrale ponctuée de fontaines et de cascades. Cet axe majeur, grande perspective de trois kilomètres, sert de point de fuite et donne l’impression d’agrandir les proportions du jardin à l’infini. L’œil en le suivant se perd dans le paysage dont on ne peut se passer. L’effet est garanti et saisissant. Des bassins, gazons, escaliers et des fontaines aux personnages inspirés de la mythologie, les dauphins, Eole, Cérès, Vénus et Adonis, Diane et autre Actéon égaient la promenade et s’enchaînent aussi loin que que l’œil peut voir. Au loin, au-dessus de l’horizon, le regard s’élève, l’axe s’achevant sur une cascade dévalant du haut de la colline. Un bel exemple de perspective ascendante, à l’italienne, jugée plus dramatique et grandiose. 

Les plans des parterres aux allées symétriques avec fontaines et statues inspirés de la Granja n’ont finalement jamais été réalisés pour des raisons financières. Ils ont été remplacés par d’immenses gazons bordés de bosquets de chênes que l’on découvre encore aujourd’hui. D’où une certaine simplicité ou rigueur qui met en valeur l’axe central.

Jardiner au 17 et 18ème siècle

Les éditions Actes Sud ont eu la bonne idée de rééditer en 200, la « bible » de Dézallier d’Argenville, La théorie et la pratique du jardinage, Antoine-Joseph Dézallier d’Argenville, 1709, Editions Actes Sud, collection Thesaurus 2003, ISBN 978-2-7427-4502-9.                                                                                   On est étonné de constater qu’aujourd’hui… on n’a rien inventé.

L’eau, maîtresse des lieux                                                                                                                                       

Au XVIIIème, les progrès de l’hydraulique et la virtuosité des fontainiers participent à la recherche de l’infini, à l’illusion d’immensité. L’eau devient l’élément majeur. A La Caserta, le besoin d’eau pour le château et les jardins est énorme, le réseau de bassins et fontaines s’étendant du palais jusqu’à la cascade jaillissant de la forêt. Sans oublier l’alimentation de la manufacture de soie de San Leucio toute proche qui appartient au souverain.

La prouesse est de taille : la construction d’un aqueduc, – repris en 1997 sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO -, de 39 km de long dont un viaduc impressionnant de 500 m à une hauteur de 58m. Un ouvrage d’art en partie souterrain à travers les pentes du mont Taburno, terminé en 17 ans, qui rappelle ceux des romains. Il fait la fierté de Charles III qui peut se targuer d’avoir réussi là où Louis XIV n’avait pas brillé par l’abandon du projet de l’aqueduc de Maintenon qui devait alimenter les eaux de Versailles.

Les eaux apparaissent au bout de l’axe de 3 km, s’échappent du haut de la colline, rebondissent dans une grande cascade et finissent par se déverser par vagues dans les bassins, fontaines et autres escaliers d’eau animés par différents groupes de personnages sculptés issus de la mythologie. L’impact de cette masse d’eau qui dévale, jaillit et se repose est impressionnant.

A l’anglaise

Au sommet du parc, à l’est du jardin formel, à la demande de Marie-Caroline d’Autriche, reine de Naples et de Sicile, le botaniste allemand Johann Graeffer réalise, à partir de 1785, le premier jardin paysager italien. Un véritable jardin botanique planté de végétaux exotiques comme des camélias et des cèdres du Liban, remodelé en vallons et parsemé de fabriques romantiques comme tout jardin pittoresque à l’anglaise qui se respecte. Dans ce parc historique, comme dans beaucoup d’autres, les jardins coexistent sans souci et sans nécessairement empiéter l’un sur l’autre.

Après l’abandon de la propriété par les Bourbons suite à l’arrivée des troupes napoléoniennes et après certaines autres vicissitudes, elle est inscrite en 1997 au Patrimoine mondial de l’Unesco. Voici donc, lors d’un prochain voyage dans le sud de l’Italie, une destination méconnue et inattendue dans la région qui vaut vraiment 3 étoiles.

En pratique : Palais de Caserte

Viale Douhet, 2/a à 81 100 Caserta CE

Ouvert tous les jours de 8.30h à 19h

www.reggiadicaserta.beniculturali.it

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