Au nord du Latium, non loin de l’Ombrie et de la Toscane, se cache le jardin de Bomarzo, près de la ville de Viterbo peuplée un temps par les papes et les cardinaux. Créé en 1552-1585, au beau milieu de l’ère de la Renaissance italienne, il ne répond en rien aux canons de l’époque. Pas de jeux d’eau spectaculaires comme à la villa d’Este, pas de lignes droites, d’axes symétriques, ni de parterres de broderie sophistiqués. Ici un bois étrange, peuplé de statues de divinités ou monstres, le tout dans un désordre déroutant. Baigné d’ombre et de lumière, il fait parfois penser au site d’Angkor.
Monstre ou divinité ?
Mise en scène extravagante
Aucun lieu n’a autant inspiré, n’a autant intrigué. Décor de différents films, d’œuvres littéraires et même de l’opéra d’Albert Ginastera, compositeur argentin ; les études, ouvrages et analyses scientifiques sur le sujet sont pléthores, chaque auteur ayant sa propre idée. Un itinéraire en quête du graal, une fresque nourrie de chevalerie ou de mythologie, une ode à l’amour, une interprétation de fantasmes sexuels, une expression de la violence ou une mise en scène sylvestre ? Ou encore tout simplement un cadre pour nains de jardin du XVIème siècle ou pour images kitsch façon Facteur Cheval ? Le mystère reste entier.
Une chose semble néanmoins certaine. Ce jardin excentrique et complexe a été imaginé en réaction à la perfection de la Renaissance, de l’art de la perspective et des théories de l’architecte Alberti. A Bomarzo triomphe le maniérisme, ce mouvement artistique entre Renaissance et ère baroque qui enchante, surprend, affole ou inquiète. Provoquant une nouvelle émotion, une nouvelle esthétique, il rompt avec l’exactitude des proportions, l’harmonie des couleurs ou la réalité de l’espace. Ce jardin, en multipliant les codes et symboles à la gloire de l’étrange, du fantastique, de la démesure et du grotesque, s’adresse aux intellectuels de l’époque.
Echidna, mère de Cerbère, mi-animale, mi-humaine
Vicino Orsini
Vicino Orsini (1523- 1585) appartient à une des plus éminentes familles romaines et via son épouse Giulia, nièce du pape Paul III (Alexandre Farnèse), il est allié aux puissants de l’époque. Humaniste, intéressé par l’alchimie et l’astrologie, contemporain de Raphaël et Michel-Ange, féru des textes anciens, c’est un érudit, grand admirateur de Pétrarque, Virgile et Dante auxquels il fait allusion dans son jardin. Tout au long de la promenade, des inscriptions montrent le chemin et les clés pour atteindre une vérité : « Vous qui errez dans le monde, désireux de voir des merveilles imposantes et magnifiques, venez ici … ».
30 années entrecoupées d’absences pour guerre et emprisonnement, lui seront nécessaires pour réaliser son œuvre. L’a-t-il créé seul ou avec l’aide de Vignole, Ligorio ou Ammannati, tous 3 auteurs des grands chantiers du Latium, nul ne sait vraiment ; il n’y a pas de preuve.
En réalité, ce jardin est abandonné pendant plusieurs siècles après le décès de son auteur. A la fin de la deuxième guerre mondiale, il revient dans la lumière grâce aux époux Bettini qui achètent le domaine et entreprennent la lourde tâche de le restaurer, le dégager de la végétation et le replanter. Salvator Dali le découvre en 1946 et tente de l’acheter, sans succès. Il y tourne un film et s’en inspire dans le tableau « La tentation de St Antoine ». Bomarzo n’a pas fini d’impressionner. Des auteurs surréalistes comme André Breton et Jean Cocteau ou des artistes comme Niki de Saint Phalle qui s’en inspirent dans son jardin des Tarots.
Colossale, au détour d’un chemin
Un bois mystérieux
Situé à l’écart de la villa, le jardin de 3 ha se situe dans un vallon, sorte d’amphithéâtre naturel jonché de rochers de péperin, – une roche volcanique grise ou marron -, sur un dénivelé de 30 m. Plus qu’un jardin, il s’agit d’un bois aux chemins tortueux, ponctués de ces rochers sculptés et d’arbres, à l’origine des chênes, châtaigniers et noyers remplacés aujourd’hui notamment par des cèdres et des cyprès. A l’époque, l’eau était présente grâce à un barrage sur le cours d’eau, mais sans ostentation : un lac artificiel alimentait les ruisseaux du parc. Raison pour laquelle on reconnait un bassin en forme de barque avec dauphins cracheurs, une statue de Pluton, dieu des mers et des enfers avec un monstre marin menaçant ou encore des sirènes, symboles de la séduction. Malheureusement, aujourd’hui il faut faire preuve d’imagination, l’eau ayant disparu.
Neptune ou Pluton
Surréalisme
Les nombreuses statues représentent des monstres, dragons, personnages issus de la mythologie, animaux exotiques, obélisques, ou encore des décors chaotiques comme une maison penchée qui semble s’écrouler. Construite sur un rocher incliné, à l’intérieur tout est vertige, déséquilibre et confusion ; le paysage vu des fenêtres ne se dessinant ni à l’horizontale ni à la verticale. Ailleurs, au détour d’un chemin, une nymphe endormie prend des airs de Belle au Bois dormant. Elle inspire beaucoup de jardiniers poètes notamment celui des jardins perdus de Heligan dans les Cornouailles abandonnés pendant presque 100ans.
La plus connue des sculptures est incontestablement la gueule de l’enferqui fait encore fantasmer aujourd’hui.Au beau milieu d’une grande place, elle est devenue l’emblème du surréalisme de Bomarzo. Porte d’entrée d’un monde souterrain secret, grande ouverte, menaçante voire terrifiante, avec sur ses lèvres, une inscription de Dante, « toute pensée s’envole ». Le masque de la villa Aldobrandini du Pape Clément VIII à Frascati , celui du jardin Giusti à Vérone, ou la Papesse, première sculpture visible au jardin des tarots de Nikki de St Phalle s’en inspirent.
Gueule de l’enfer La Papesse de Niki de Saint-Phalle
La belle endormie Une autre au jardin de Heligan
En pratique
Giardino Bomarzo à 01020 Bomarzo (VT), www.parcodeimostri.com