Le Jardin Secret de Marrakech par Tom Stuart-Smith

Des jardins de paradis, il en existe partout dans le monde. Réputés pour leur infinie beauté ou pour l’aura de leur créateur, ils nous enchantent. A Marrakech, caché dans un havre de tranquillité, un éden jubilatoire est dédié à l’architecture, l’art et les jardins marocains
© Le Jardin Secret de Marrakech

En 2016, un nouveau jardin ouvre ses portes en plein cœur agité de la très trépidante médina de Marrakech. L’évènement est incontournable. Tous les amoureux de la ville rose connaissent les magnifiques jardins historiques de la Ménara et de l’Agdal ou ceux de Majorelle sauvés il y a 40 ans par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé. Quelques curieux ont peut-être déjà découvert dans la vallée de l’Ourika à quelques km de là, Anima, l’univers poétique créé par l’artiste multimédia André Heller. (Voir notre édition de printemps, Eden Magazine n°65).

© Le Jardin Secret de Marrakech

Aujourd’hui, non loin des dédales du souk, véritable labyrinthe envahi de couleurs, d’odeurs, de vacarme et de vie intense, il est impensable d’imaginer que dans la rue Mouassine, se blottit une oasis de verdure aux dimensions exceptionnelles. Un lieu qui se réfère, ni plus ni moins, à une certaine idée du paradis, dont la racine persane « pardis » ou « pairidaêza » désigne tout simplement un beau jardin clos de murs. Ici, celui d’un Riad, – maison agrémentée d’une cour-jardin -, de style et de décor arabes traditionnels. Avec sa tour de 17 m, aussi haute que celles des minarets des mosquées, il est un des plus importants de Marrakech.

© Le Jardin Secret de Marrakech

Hommage à la tradition

La tradition du jardin islamique remonte, bien avant la conquête arabe, aux premiers jardins persans. En effet, à Pasargades, non loin de Persépolis, le roi Cyrus le Grand (VIème siècle avant JC) réalisait son éden, un rectangle de végétation, partagé en 4 parcelles par des canaux d’irrigation formant une croix. Au centre, un bassin pour l’eau, élément suprême. C’est le motif du chahar bagh, dont la simplicité géométrique convient parfaitement à la mythologie coranique des 4 fleuves, divisant en 4 parties, le paradis promis par le prophète Mahomet.

Dans ces régions au climat aride, la présence de l’eau est précieuse. Vitale. Un signe de la grâce divine. Acheminée à Marrakech depuis les montagnes de l’Atlas par la seule force de gravité, l’eau alimente des énormes citernes ou grands bassins artificiels via des galeries souterraines et des canalisations. Notamment dans les jardins de la Ménara ou de l’Agdal, dans les mosquées, fontaines publiques, hammams et dans quelques riches demeures. Comble d’élégance et de raffinement, elle donne lieu à de subtils jeux de lumière, irrigue les jardins, alimente cuisines et jeux d’eau et rafraichit l’atmosphère. Sans aucun gaspillage, grâce à un incomparable savoir-faire ancestral, elle se voit et s’entend partout.

Riad historique

Le Jardin Secret se cache dans un Riad dont l’origine remonte à la fin du XVIème siècle. Reconstruit et réaménagé durant la deuxième partie du XIXème, son aspect général actuel date de cette époque. Occupé et embelli au fil des années par différentes personnes influentes, notables, caïds ou pachas, il est peaufiné par un horloger dénommé Loukrissi, chambellan du sultan Moulay Hafiq. Après son décès en 1934, la propriété est malheureusement morcelée entre ses nombreux héritiers. Au fil du temps, on dénombre une centaine de parcelles qui malheureusement se détériorent l’une après l’autre. Un groupe d’entrepreneurs, dont les italiens Lauro Milan et Sante Giovanni Albonetti, amoureux de Marrakech, décident en 2006 de sauver le lieu de l’abandon. Ils réussissent à recomposer le puzzle et à reconstituer les 40 ares de la propriété Loukrissi.

Après des découvertes historiques sur le site et quelques mûres réflexions, ils décident en 2013, de restaurer le complexe à des fins culturelles, en mettant en valeur le vaste jardin central, plus que jamais rare et précieux dans ce panorama urbain. Le travail est titanesque. Nettoyage des gravats, démolition des constructions peu attrayantes qui ont défiguré l’endroit et reconstruction dans l’esprit du XIXème. Obligés de circuler dans des rues étroites et bondées ; tout est réalisé à dos d’âne ou de cheval, même les plantations d’arbres effectuées la nuit quand la ville s’endort. Le défi étant de taille, ils font appel à l’architecte Karim El Achak et à l’architecte paysagiste anglais Tom Stuart-Smith.

© Le Jardin Secret de Marrakech

Ce dernier n’a pas encore travaillé au Maroc. Il est séduit par le challenge, d’autant plus que Marrakech incarne le modèle d’une cité-jardin jusqu’au début du XXème siècle; les terrains bâtis étant minoritaires par rapport aux espaces verts. La ville porte d’ailleurs les surnoms particulièrement bien choisis de « Rose parmi les palmiers » ou d’ « Oasis dans le désert ». Avec l‘utilisation des techniques traditionnelles, il se prend au jeu de la restauration d’autant plus que de nombreux vestiges, vastes bassins ou anciennes canalisations apparaissent au cours des fouilles. Il rétablit notamment l’ingénieux système initial d’alimentation en eau, tout en concevant un système totalement indépendant par la remise en route d’un vieux puits. Indispensable aujourd’hui pour deux raisons : le système d’approvisionnement en provenance des montagnes de l’Atlas est tombé en désuétude et le niveau des eaux souterraines devenu très bas.

En 2016, le Riad musée de la médina de Marrakech ouvre ses portes. Il devient à la fois un pôle de connaissance et de diffusion des recherches sur la vieille ville, les jardins marocains ou islamiques et l’histoire de l’hydraulique locale.

© Le Jardin Secret de Marrakech

Deux jardins de paradis

Le Jardin Secret est formé de deux complexes bien distincts et complémentaires. Deux visions du paradis. D’une part, un jardin islamique sobre, traditionnel, où chaque plante, chaque motif architectural a une signification prescrite dans le Coran. De l’autre, un jardin exotique contenant des plantes du monde entier, fondé sur une idée du livre de la Genèse évoquant « des arbres de toute espèce, agréables à voir et bons à manger ». La présence de l’un renforce indéniablement l’importance de l’autre.

Un petit jardin bien entretenu vaut mieux qu’un grand champ abandonné Proverbe des vieilles femmes marocaines

Jardin islamique

© Le Jardin Secret de Marrakech

A l’intérieur de murs ocres d’une hauteur de 10m, le jardin islamique est le plus grand. Dessiné sur le modèle formel du chahar bagh, il doit pour Stuart-Smith, représenter l’idéal d’un jardin marocain traditionnel du XIXème voire, de toujours. Son austérité et son look bien ordonné sont tempérés par une profusion de plantes bien connues des jardiniers marocains, apportant douceur, ombre, couleurs et parfums. Il aurait été sans doute plus facile pour le paysagiste de couvrir les murs de bougainvillées et autres plantes grimpantes ; mais là assurément n’était pas le propos. L’important était avant tout pour lui, d’effacer toute intervention extérieure pour sauvegarder uniquement le côté sacré du lieu, dans lequel l’esthétique s’unit au religieux.  

Tapis de Stipa tenuissima ponctué de lavandes © Le Jardin Secret de Marrakech

L’aspect général fait penser à un grand verger avec figuier, olivier, palmier dattier et grenadier, ainsi que des agrumes, citronnier ou oranger, sans oublier l’arganier endémique du Maroc. Les arbres sont minutieusement sélectionnés et espacés pour accentuer le rythme de la composition, sur base des plantations des jardins royaux de l’Agdal du XIIème siècle. Cependant, la règle de la tradition n’est pas totalement suivie. Une note contemporaine exceptionnelle est donnée par les couvre-sol qui évoquent le bustan, uneprairie de fleurs décrite avec minutie dans les poèmes persans. Des plantes vivaces comme la lavande du Maroc, Lavendula dentata var. candicans, la Lippia citriodora ou verveine citronnelle d’Amérique du sud, la Stipa tenuissima aux cheveux d’ange ondulant au moindre coup de vent, le Tulbaghia violacea, petit bulbe d’Afrique du sud, l’iris d’Allemagne Iris germanica ou encore le pavot de Californie, Eschscholzia californica.

Les parterres bordés de petites haies de romarin, sont creusés plus bas que les chemins et canaux pour pouvoir être judicieusement arrosés via des canalisations. Dans le jardin, bassins, fontaines, goulotte ou rigole appelée « séguia » en arabe rappellent que l’eau reste omniprésente. Des allées de pavés traditionnels en terre cuite serpentent l’ensemble et sont émaillées de vert sur l’axe central, alors qu’autour des bassins et fontaines, des zellijs ou azulejos apportent de la couleur. De chaque côté de l’axe, s’élèvent un élégant pavillon et une tour imposante offrant une vue magnifique sur la ville et les montagnes alors qu’au centre, un kiosque de bois ouvragé ombrage une vasque aussi débordante que murmurante. Impossible pour le visiteur de résister à une halte bienfaisante sur la terrasse accueillante du café-restaurant. 

Jardin exotique

Kalanchoe, Melianthus, Aloe vera et Brachychiton © Le Jardin Secret de Marrakech

Le deuxième jardin, plus petit, ne se situe pas sur le même axe ; il appartenait à l’origine partie à une propriété voisine. La transition est discrète ; elle contraste avec l’ampleur des jardins. L’ambiance est toute autre. Les traces historiques manquant, la voie est donc libre pour Stuart-Smith. Il imagine un jardin universel sur une idée sans doute plus chrétienne qu’islamique, qui rassemblerait des plantes résistantes aux mêmes conditions climatiques, d’Afrique du nord mais aussi du sud, de Madagascar, d’Inde, des Iles Canaries, d’Australie, du Mexique, ou de Méditerranée. Une luxuriance de végétaux, un méli-mélo de fleurs et de feuillages aux formes et textures différentes, comme par exemple, des succulentes mariées à des graminées qui acceptent sans broncher, cela va sans dire, sécheresse et soleil.

Les rectangles irréguliers de chaque côté du canal étroit, rivalisent de plantations spectaculaires. Le géant Kalanchoe beharensis originaire de Madagascar tient compagnie au Ceiba speciosa d’Amérique du sud, au Kleinia neriifolia endémique des Iles Canaries, au Ficus pumila d’Asie orientale ou à l’Acacia covenyi d’Australie. Le ciste d’origine méditerranéenne se mêle au feuillage graphique du Melianthus major d’Afrique du sud et les Muhlenbergia capillaris et rigens, de magnifiques graminées des prairies nord-américaines apportent naturellement douceur et légèreté. Une autre planète.

© Le Jardin Secret de Marrakech

Portrait de Tom Stuart-Smith

Tom Stuart-Smith figure parmi les architectes paysagistes contemporains les plus créatifs et les plus médaillés du Chelsea Flower Show de Londres. Depuis le fameux bosquet éphémère pour la maison Chanel en 1998, il signe notamment le jardin du jubilé à Windsor, celui de Wisley autour de la serre du bicentenaire, de Trentham avec le paysagiste néerlandais Piet Oudolf ou encore de Bridgewater près de Manchester, dernier né de la Royal Horticultural Society, qui ouvrira ses portes en mai prochain.

Comme le relate Nigel Dunnett dans son dernier livre sur les Plantations naturalistes, Stuart-Smith perpétue la « tradition impressionniste et hautement artistique » de Gertrude Jekyll en la combinant avec « une sensibilité écologique contemporaine » dont les prémices datent du Wild Garden de William Robinson. (Plantations naturalistes, Nigel Dunnett, Editions Ulmer 2020, p 62)

Avec lui, le jardin doit être beau pendant toutes les saisons. L’essentiel est l’ambiance générale, l’idée dominante qui lie entre elles les différentes parties du jardin. La cohérence et la simplicité de l’ensemble doivent susciter l’émotion. Rien de tel que des plantations en masses sur de grandes surfaces, des aplats de couleurs harmonieux et des répétitions d’une même plante pour appuyer le rythme, comme s’il s’agissait d’une composition musicale.

En pratique

Le Jardin Secret

121, Rue Mouassine à 40030 Marrakech médina, Maroc

T. +212 (0) 524 39 00 40

www.lejardinsecretmarrakech.com

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