Kiftsgate, un jardin de femmes

A l’heure d’un possible déconfinement et de projets de voyage, l’envie revient de traverser le Channel à la découverte d’un jardin iconique

Kiftsgate cela vous dit quelque chose ? Peut-être pensez-vous à ce fameux rosier liane, Rosa filipes ‘Kiftsgate’ aux petites fleurs blanc crème parfumées, rehaussées d’étamines jaunes, un des plus grands envahisseurs de charme de la famille avec ses 20 m d’envergure ? Semis de Rosa filipes, découvert et identifié après-guerre par le spécialiste Graham Stuart Thomas dans une propriété mythique des Cotswolds, à Chipping Campden dans le Gloucestershire, il a non seulement pris le nom du lieu mais aussi pris possession d’un hêtre pourpre et de ses deux voisins. Chaque année, il les illumine de ses bouquets de dentelles fleuries et les rehausse de jolis petits fruits rouges à l’automne. Pour lui, la destination vaut le déplacement mais pas seulement. Aussi pour le fabuleux jardin qui en est l’écrin et pourquoi pas pour le voisin, Hidcote manor, du célèbre Major Johnston.

Les Kiftsgate women

Avec 3 générations de ladies jardinières attentionnées et passionnées, ici on ressent inévitablement quelque chose de particulier. Une véritable histoire de famille qui débute en 1918 par l’achat par les grands-parents de l’actuelle propriétaire d’une imposante demeure géorgienne en pierre calcaire. Deux années plus tard, Heather Muir décide de commencer un jardin. Voisine et amie de Lawrence Johnston à Hidcote, elle se laisse conseiller par lui. Elle débute par les alentours de la maison en les compartimentant comme il se doit en chambres de verdure selon différents thèmes de couleurs. Elle laisse jouer son instinct féminin sans tracer les structures rigides voulues par son mentor. La composition est centrée sur la maison, notamment face au grand portique palladien, avec quelques terrasses et paliers pour contrer la pente. Sa fille, Diany Binny, intervient dans les années 1950. Elle se focalise sur l’aménagement du grand talus, – sorte d’immense amphithéâtre -, orienté plein sud, y crée un sentier, quelques perspectives intéressantes et le magnifique bassin demi-circulaire dans le bas du jardin. Près de la maison, elle ajoute un petit bassin et une fontaine, positionne quelques sculptures. Grâce à elle, le jardin ouvre ses portes au public. Anne Chambers la petite fille, ouvre un troisième chapitre. En 1981, à la place d’un vieux terrain de tennis, elle installe un jardin d’eau à l’allure contemporaine. Rehaussé d’une sculpture légère qui frémit avec le vent, ses lignes et ses couleurs sont élégantes, sobres et simples.

Jardins formels

Proches de la maison, délicieusement anglais, ces jardins sont largement inspirés de la tradition Arts & Crafts. Le jardin des 4 carrés en dessous du somptueux portique s’étend autour d’un cadran solaire. Les chemins de pierre séparent les parterres symétriques bordés de buis et plantés avec profusion. Pivoines, roses, sauges et dahlias en forment la trame. Le sunken garden, – littéralement jardin en contrebas -, est articulé autour d’un bassin hexagonal agrémenté d’une petite fontaine. Plusieurs marches conduisent à ce havre de quiétude. Planté tout autour avec des végétaux aux couleurs douces, – au départ, c’était un jardin blanc -, il incite à la méditation et au repos. Quelques chaises d’un bleu vif indéfinissable rehaussent et dynamisent l’espace. Des rosiers et hydrangeas sont mis en scène parmi une foule de plantes vivaces assez basses, intéressantes tout au long de l’année. Une roseraie, un long double mixed border et un petit jardin de fougères complètent cet ensemble.

Talus enchanté

A mi-hauteur la maison d’été

3 ha de talus escarpé ne sont pas très confortables à jardiner. Avant toute chose, 3 niveaux sont installés pour faciliter la tâche. Cela dit, à Kiftsgate le talus est le point d’orgue. L’ambiance y est totalement différente. Plein sud, protégé des vents froids, aux températures de plus en plus élevées quand on descend, une végétation spécifique y pousse sans soucis. Tolérantes à la sécheresse, des plantes méditerranéennes et exotiques accompagnent le sentier qui dévale la pente en dessous de gigantesques pins de Monterey centenaires. Cistes, céanothes, romarins, agaves, vipérines et Puya originaires du Chili, Carpenteria californica, Crinodendron hookerianum ou Abutilon vitifolium aux élégantes fleurs bleu lilas pour ne citer qu’eux.

Les perspectives et les vues vers un paysage environnant à la Capability Brown sont soignées. Du haut du talus, l’effet est particulièrement saisissant. Un bassin miroir en demi-lune, – en réalité la piscine familiale -, se découvre tout-à-coup, cadré dans une fenêtre délimitée par un érable et un nuage de fleurs de céanothe. Les côtés de la piscine peints en noir jouent avec les reflets du ciel et des arbres. Au-delà de cet espace horizontal, un haha typiquement anglais, des groupes d’arbres à l’avant plan et au loin, des collines puis… l’horizon.

Deux « fabriques de jardin » ponctuent la promenade. A mi-route, une maison d’été pour se reposer et humer l’air du temps et tout en bas, lové dans un recoin, un petit temple.

Eau divine

Partout dans le jardin, l’eau est omniprésente. Au pied du talus, la fameuse piscine, près de la maison le petit bassin avec fontaine du sunken garden sans oublier le Millenium water garden. A l’emplacement d’un ancien terrain de tennis bien caché par des haies hautes d’ifs, le grand bassin aux lignes géométriques est l’œuvre de la troisième maîtresse des lieux. D’une extrême sobriété, cet espace contemporain épuré, uniformément vert, est animé par des tiges surmontées de feuilles de Philodendron en bronze de l’artiste Simon Allison. S’agitant au moindre vent et se reflétant dans l’eau, elles participent à la poésie du lieu.

En pratique

Kiftsgate Court Gardens

Chipping Campden, Gloucestershire, GL55 6LN

www.kiftsgate.co.uk

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