Photos Cambo Heritage Trust et Marie-Noëlle Cruysmans
Au sud-est de l’Ecosse, à côté du Jardin botanique d’Edimbourg reconnu aux 4 coins de la planète, du jardin d’Earshall aux topiaires magiques, du traditionnel walled garden de Wemyss et du jardin contemporain de Teasses, (Eden Magazine n°69), voici l’entrée en scène des fabuleux Drummond, Branklyn ou Cambo.
Drummond, le choc du tableau

Drummond est un des jardins les plus iconiques et les plus visités d’Ecosse. A une époque de regain d’intérêt pour les jardins formels, il est dessiné en 1630 par Lord John Drummond, 2ème comte de Perth. Composé de terrasses et de parterres de style Renaissance sur base de plans datant de 1490, il est transformé et restauré en 1850 dans le but d’y accueillir dignement la Reine Victoria. Malgré une certaine simplification au fil des années et la suppression des quelques excès du XIXème, le dessin original, fait extrêmement rare, est sauvegardé au-delà des modes, périodes d’abandon, guerre ou destruction. Depuis 1978, l’ensemble est repris et parfaitement géré par le Grimsthorpe and Drummond Castle Trust en partenariat avec la RHS, Royal Horticultural Society.


Spectaculaire, caché en contrebas du château austère, ce jardin historique à la française présente quelques accents italiens. On pourrait résumer en disant qu’il est italien dans le style, français dans le caractère mais écossais dans les détails. Avec une touche hollandaise pour l’ambiance générale, un petit quelque chose des jardins baroques du Palais royal de Het Loo. Dans le paysage vallonné du Pertshire, c’est une parenthèse un rien surprenante.


De la terrasse du château au sud, la vue du jardin est théâtrale, l’émotion est à son comble. 25 m plus bas, au pied de l’escalier majestueux, une vraie carte postale. Le grand parterre de broderie de 3,6 ha planté autour de la célèbre croix de Saint-André, patron de l’Ecosse est ponctué d’un jeu de lignes droites, diagonales et quelques courbes. Il est élégamment rythmé par 18 km de haies, plusieurs arbres solitaires, des statues et silhouettes végétales sculptées tels des chardons géants, ombrelles ou spirales. Au-delà du tableau, de chaque côté d’un axe central, véritable ligne de fuite qui s’étire du nord au sud vers l’horizon, le regard se perd doucement dans l’immensité d’un parc à l’anglaise de 7 ha.



La palette des couleurs est limitée. Des nuances de vert pour les plantes à feuillage persistant tels les buis, ifs, houx, Prunus lusitanica et Chamaecyparis lawsoniana utilisés pour les nombreux topiaires, un peu de gris et de jaune pour apporter de la lumière et surtout des notes de pourpre avec les Prunus cerasifera ‘Pissardii’, les érables japonais et autres hêtres qui dynamisent la composition. Quelques arbres imposants donnent du volume à ce grand plat. Liriodendron tulipifera, Gingko biloba, Magnolia acuminata et différents chênes sans oublier les érables planes, Acer platanoides ‘Drummondii’, au feuillage largement marginé de blanc crème et teinté de rose au débourrement. Aujourd’hui, le défi est simple : entretenir ce joyau avec rigueur et compétence. Le parterre doit être beau en toute saison, même en hiver. The show must go on.

A Branklyn, en Chine ou en Himalaya


Dans le haut de la ville de Perth, les époux Dorothy et John Renton créent dans les années 20, le jardin de Branklyn autour de leur maison Arts &Crafts. Sur un terrain d’environ 1 ha, à flanc de colline sur la rivière Tay, ils installent une grande rocaille à la place d’un ancien verger dans le but d’y accueillir un bel échantillon de plantes alpines. Au fil du temps, une des collections les plus réputées Outre-Manche. Le lieu protégé des vents du nord et d’est est idéal, mais le sol au PH de 5,5 a le défaut d’être très sec. Petit à petit, ils expérimentent, deviennent de redoutables collectionneurs de plantes rares originaires du Tibet, Boutan, Chine et Himalaya et se lient d’amitié avec des chasseurs de plantes comme George Forrest. Ils se prennent au jeu et sèment tout ce qui vient de loin et pourrait s’acclimater à leur microclimat. Certaines plantes acidophiles délicates exigeant un sol drainé et léger, sont installées dans un lit ou muret de tourbe, appelé peat bed, véritable innovation à cette époque.En 1955, en l’honneur de leur travail passionné, ils reçoivent la Veitch Memorial Medal, distinction suprême octroyée par la RHS.





8 ans après leurs décès en 1960, les collections sont reprises en main par le National Trust for Scotland qui commence par restaurer la grande rocaille avant de poursuivre les plantations. Aujourd’hui, entretenu au bouton, ce haut lieu de la botanique attire les spécialistes du monde entier qui viennent notamment découvrir les Rhododendron taliense à la croissance compacte ou les collections nationales de Meconopsis, Lilium et Cassiope, des bruyères naines très rares. Tout au long des sentiers étroits et sinueux, des petites merveilles inconnues au bataillon. Les Nomocharis, ces petits bulbes aux fleurs d’anémone roses pictées de points noirs, les Paraquilegia anemonoides aux petites fleurs bleues tirant vers le mauve comme des renoncules, les Shortia (synonyme Schizocodon) soldanelloides, une plante tapissante aux minuscules clochettes rose vif ou blanches. Certaines plantes rendent spécialement hommage à ce fabuleux jardin :



- Le magnifique cerisier du Tibet, Prunus serrula ‘Branklyn’, d’une hauteur de 5 m, intéressant pour les petits jardins, dont l’écorce brillante, cuivrée et striée de blanc s’exfolie joliment en plusieurs tons d’acajou ;
- Le Phlox paniculata ‘Branklyn’, une ancienne variété à la floraison rose virant vers le mauve ;
- Ou le Meconopsis ‘Dorothy Renton’, (George Sheriff Group), bleu avec des nuances de rose.






Cela dit en mai, focus sur le Meconopsis, seigneur du lieu.
Des trésors de Meconopsis



Mythiques les pavots bleus de l’Himalaya ? Capricieux en tous cas ! Beaucoup l’ont essayé, beaucoup ont espéré, beaucoup l’ont abandonné à grand regret. Mais en Ecosse il est vrai, ils réussissent comme nulle part ailleurs. A Branklyn, depuis l’arrivée en 1930 des premières graines envoyées par les chasseurs de plantes George Sherriff et Franck Ludlow du Tibet et du Boutan, l’eau a coulé sous les ponts. Depuis 10 ans, le jardin rassemble la collection nationale de Meconopsis avec 5 espèces différentes et environ 25 cultivars. Les hauteurs sont variées, – de 30 cm à 2 m -, les couleurs des fleurs également, allant du bleu ciel au bleu gentiane en passant par le rose pourpré et le blanc. En mai, les fleurs simples exhibent des pétales élégamment soyeux et chiffonnés, relevés d’un bouquet d’étamines dorées. Certains Meconopsis semblent être vivaces comme dans leur aire d’origine, d’autres sont annuels, d’autres encore sont monocarpiques ; en d’autres mots, après plusieurs années de culture, ils ne fleurissent qu’une seule fois avant de mourir immédiatement après.



Originaire de l’Himalaya, du Népal jusqu’à la Chine, ce montagnard s’adapte plus ou moins facilement aux étés écossais plutôt frais. Poussant dans un sol humide et humifère, en lisière de sous-bois, à l’abri du soleil et du vent, il a dans tous les cas de figure, une durée de vie relativement courte. 4 ou 5 ans en moyenne, sauf si d’aventure dans les meilleures conditions, il se ressème. Plus il y a d’humidité en été, plus le sol est acide, drainé et léger mais prêt à maintenir la fraîcheur estivale, plus il y a des chances de réussite. Le plus connu et le moins délicat de tous est Meconopsis betonicifolia et, dans une moindre mesure Meconopsis grandis.






Cambo, un vent de liberté

Au sud des plages de St Andrews réputé pour ses greens de golf, dans un des coins les plus ensoleillés et les plus secs d’Ecosse, on découvre le manoir victorien de Cambo en bord de mer, le long du sentier côtier. Appartenant depuis la fin du XVIIIème siècle à la famille Erskine, ce domaine est un exemple de propriété modèle tournée vers l’avenir. Créés à partir des années 70, les jardins sont gérés aujourd’hui par le Cambo Heritage Trust et ouverts au public pendant toute l’année. Un « all season’s plantsman’s paradise » comme on les aime. Selon la saison, plusieurs pôles d’attraction. Au printemps un spectaculaire sous-bois de 30 ha illuminé par la floraison d’une collection de perce-neige attire son lot de galantophiles venus de tous pays.

Cela dit, le must se cache derrière les murs de briques d’un enchanteur walled garden qui se respecte. 1 ha de potager, bordé de serres victoriennes et traversé par un ruisseau pittoresque et romantique, est entretenu au bouton depuis plus de 200 ans. Protégé des vents violents et divisé à l’époque en grands rectangles, il était destiné à la production familiale de légumes, petits fruits, fleurs à couper et roses anciennes, dans la plus pure tradition. Au fil du temps, son entretien devenant trop exigeant, il fallait trouver une autre solution. Raison pour laquelle au début des années 2000, il est transformé en un immense jardin de plantes vivaces. La trame de l’ensemble devient plus libre, plus sauvage, moins guindée, moins formelle. Avec les vivaces, également des annuelles, graminées, bulbes, arbustes et rosiers et un potager à taille plus humaine. Les espaces se succèdent, différents les uns des autres. Des îlots merveilleux de couleurs et de parfums, des accents de Méditerranée ou d’Afrique du Sud, une promenade de lilas, de roses ou de pommiers … avec des végétaux du monde entier.





Au centre se cache un jardin résolument naturaliste dans le style New Perennial en vogue. Il est inspiré des compositions de l’architecte paysagiste hollandais Piet Oudolf, un de ses chefs de file et du jardin allemand d’Hermannshof à Weinheim, référence internationale en matière d’utilisation des plantes vivaces. A Cambo, les végétaux sont choisis pour leur résistance, leur longue floraison, leur feuillage attrayant même en hiver ou leur fructification intéressante. Peu d’espèces différentes mais des masses de plantes ou mieux des vagues, – la mer n’est pas loin -, pour rythmer l’ensemble. Le résultat est subtil et magnifique. Plus loin, le traditionnel long mixed border à la Gertrude Jekyll est réinterprété de manière plus souple et contemporaine. Çà et là, d’autres borders pour accueillir les plantes d’ombre ou les exotiques aux couleurs chaudes. Un enchantement.


A découvrir
- Drummond gardens, Crieff, Perthshire PH7 4HZ, www.drummondcastlegardens.co.uk
- Branklyn, 116 Dundee Road, Perth, PH2 7BB, www.nts.org.uk
- Cambo Estate, Kingsbarns by St Andrews, Fife KY168QD, www.camboestate.com ; www.cambogardens.org.uk