Après une parenthèse obligée de jardinage confiné at home sans pouvoir enjamber les haies voisines, l’appétit est là et l’envie de découvrir de nouveaux jardins de rêves, toujours intacte. Eden Magazine nous emmène en Ecosse, plus particulièrement dans la région côtière de Fife, au nord-est d’Edimbourg, au sud de Perth et Dundee. La mer, les lochs, la rivière Tay n’y sont jamais bien loin. Les côtes découpées, les petits ports bien sympathiques, St Andrews et ses golfs célèbres… Un décor de carte postale sous un climat tempéré océanique bénéficiant de l’influence du Gulf Stream, où il pleut modérément. A cela vous ajoutez collines et vallées magnifiques et alors… vous y êtes !




Une nation de jardiniers
Incontestablement, derrière chaque écossais se cache un jardinier ! Le végétal fait partie de son ADN. Le chardon, symbole héraldique, évoque la région depuis plus de 500 ans. On le repère à tous les coins de rue, sur le maillot de l’équipe de rugby, dans les clubs de football, sur l’uniforme de la police. La bruyère, autre végétal emblématique, peuple les collines de la côte est. Calluna et Erica se partagent la part du gâteau.
Là-bas, le paysage naturel est préservé. Il est parsemé de très beaux arbres, souvent honorés comme champions du Royaume Uni. Dès le XV et XVIème siècle, beaucoup tel le pin d’Ecosse, Pinus sylvestris, étaient utilisés pour la construction de navires ou comme bois de chauffage. Dès le XVIIIème, ils deviennent les piliers des compositions paysagères à la Capability Brown, Humphry Repton ou William Bruce. De très belles collections comptant notamment de vénérables chênes, hêtres, tilleuls, sycomores, mélèzes sont reconnues dans le monde entier et protégées par le National Tree Collections of Scotland créé en 2011.
Les jardins écossais sont divers et variés. Des grands jardins historiques dans la plus pure tradition, avec des walled gardens de rêve, des paradis de plantes rares notamment himalayennes ou semi-tropicales, des jardins contemporains, du land art, des petits édens citadins. Généralement, on y repère une constante : les points de vue vers la mer ou les montagnes. Le Jardin botanique d’Edimbourg a acquis une réputation internationale enviée par beaucoup, le National Trust for Scotland est à la tête d’environ 70 jardins, différents trusts et fondations privées complètent le tableau. Sans oublier une centaine de garden clubs très actifs et le Scotland’s Gardens Scheme, équivalent de nos Jardins Ouverts de Belgique qui chaque année dans un agenda, répertorie les beaux jardins à visiter.

Et de chasseurs de plantes
S’ils sont jardiniers, les Écossais sont aussi d’audacieux chasseurs de plantes exotiques. Dès le milieu du XIXème siècle, ils introduisent en Occident plus de plantes que toutes les autres nations réunies. Ils créent des Pinetum, véritables havres de biodiversité et avec eux, des plantations de sous-bois. Archibald Menzies (1751-1842), chirurgien de la marine, ramène l’Araucaria araucana d’Amérique du Sud ; David Douglas (1799-1834) le plus aventureux de tous découvre le … douglas appelé Pseudotsuga menziesii et introduit le Ribes sanguineum ou l’Eschscholzia californica ; William Wright (1735-1810), ramène le Cotoneaster lacteus et le Rhododendron sinogrande et John Fraser (1750-1811), sponsorisé notamment par Catherine de Russie, récolte de nombreuses espèces dont l’Abies fraser qui lui est dédié. Tous ces Araucaria, Pseudotsuga menziesii, Abies procera, Thuya plicata, Chamaecyparis lawsoniana ou Sequiadendron giganteum ont modifié le paysage écossais.
Dès 1840 débutent les expéditions en Chine et Himalaya. Robert Fortune (1813-1880) introduit le Camellia sinensis, le théier ; George Forrest (1873-1932) voyage au Tibet, en Birmanie et au Yunnan et découvre un grand nombre de végétaux pour le compte du Royal Botanic garden d’Edimbourg, dont des Camellia, Magnolia ou Primula ; et pour le Glasgow Botanic garden, Joseph Hooker (1817-1911), un ami de Darwin, ramène des milliers de graines de rhododendron du Sikkim. Aujourd’hui encore, financées par les jardins botaniques d’Edimbourg, Branklyn, Dawyck ou Glendoick, saluons les expéditions botaniques à la recherche de nouvelles plantes.

Le Jardin botanique d’Edimbourg, l’initiateur



Véritable institution écossaise, le Jardin botanique d’Edimbourg, le plus ancien du Royaume Uni après celui d’Oxford, est reconnu scientifiquement aux 4 coins de la planète pour sa flore tropicale, celle des montagnes d’Asie et les grands arbres nord-américains. Installé sur les hauteurs de la ville, ce grand rectangle de 28 ha offre l’occasion de se promener parmi des biotopes très différents. On y compte 20.000 espèces dont la plus grande flore chinoise en dehors de Chine. On doit d’ailleurs à George Forrest l’essentiel de la famille des Rhododendron et quelques plus beaux pavots de l’Himalaya. De mi-mai à fin juin, lorsque ces fameux Meconopsis betonicifolia sont en fleurs, l’enchantement est total. Considéré par la plupart des jardiniers comme la plante la plus merveilleuse qui soit mais la plus délicate à cultiver, il suscite toujours envie et respect. Ce pavot aux 4 pétales diaphanes bleus, parfois blancs ou roses, rehaussés d’une couronne d’étamines dorées croit à mi-ombre ; capricieux, il exige pendant sa période de croissance, de la fin du printemps à l’été un sol humide et frais, mais sec et bien drainé au printemps et à l’automne. Raison sans doute pour laquelle il a adopté l’Ecosse.



Actuellement, le jardin botanique participe à un vaste programme international de recherche pour la préservation de la biodiversité et des milieux naturels. Il collecte les plantes en milieu sauvage dans toute l’Europe du Nord et encourage la sauvegarde de certaines espèces comme les araucarias du Chili. Divisé en 2 grandes parties, il compte un jardin chinois, celui des azalées proprement dites, une zone de landes typiquement écossaises, une grande rocaille, un arboretum et des serres tropicales. La rocaille reproduit sur une parcelle de 4 ha un paysage de montagne de l’Himalaya ou des Alpes. De nombreuses serres dont une magnifique serre victorienne de 1858, bijou d’architecture de 23 m de haut, abritent plus de 3000 plantes exotiques de zones climatiques différentes.







Teasses, la contemporaine

Teasses est un jardin contemporain en terrasses animé d’une collection de plantes. Ce domaine privé découvert en 1996 par la famille Morrison se cache sur les hauteurs du Fife battues par les vents. Dans un décor de collines verdoyantes, de campagne et de mer, un château en style néo Tudor de 1870 entouré de 20 ha de parcs et jardins était à l’abandon. Seuls quelques rhodos, sycomores et hêtres subsistaient. Les propriétaires font appel aux architectes paysagistes Truscott et Redmore pour leur dessiner un jardin à l’échelle de l’imposante demeure.



Ils restaurent les murs du walled garden de 1860, reconstruisent les serres victoriennes à l’identique et rétablissent un jardin régulier avec des parterres symétriques bordés de buis. Aujourd’hui, le jardin vit avec son temps : les légumes y sont cultivés en bio, les primeurs et les exotiques dans des hot bed chauffés comme au XIXème par le fumier frais de cheval, les fruitiers sont conduits en espalier sur les murs et les pêches, figues et raisins abrités dans les serres. Un espace traditionnel de fleurs à couper débordant de pivoines, Erumurus, phlox, anémones, échinacées complète l’ensemble.


Proche de la maison, un jardin formel est redessiné pour être directement aperçu des fenêtres. Bien proportionné par rapport à l’ampleur de la bâtisse et des arbres environnants, il est constitué de décors inspirés des jardins persans. Un axe central le parcourt et se poursuit au-delà d’un pont par une double avenue de châtaigniers conduisant l’œil vers le paysage agreste. En contrebas, un ravin enchanteur, le ravine garden, est le clou du spectacle. Imaginé comme un amphithéâtre, il est parcouru de courbes étroites, de lignes arrondies comme des plumes aux nuances de bleu et pourpre, plantées de Nepeta, Salvia, Perovskia, Allium, Agapanthe, Hydrangea et roses.




D’autres jardins plus intimes ponctuent la balade. Le jardin du cadran solaire ; celui de Sir Fraser, un espace circulaire paisible rehaussé de Parrotia, Rhododendron, Hydrangea et Gunnera ; un jardin de sous-bois derrière la maison, paradis des rhododendrons, Camellia et couvre-sol ; une dizaine de petits espaces dédiés à chacun des membres de la famille et de-ci, de-là, un jeu de haies ondulantes et harmonieuses qui, en douceur, sépare le jardin du paysage. Dans cet éden entretenu au bouton, passion, connaissance et enthousiasme s’entremêlent.









Earshall et ses topiaires

Depuis 1998, Paul et Josine Veenhuijzen sont installés dans ce vénérable château du XVIème siècle aux allures moyenâgeuses, construit au milieu d’un parc rehaussé de quelques magnifiques chênes, tilleuls ou châtaigniers centenaires. Comme le veut la tradition outre-Manche, le jardin regorge d’opulents mixed borders, mais compte aussi un potager et un verger de pommiers écossais, un sunken garden, et un jardin pour le croquet. Le walled garden du XVIIème et sa collection de topiaires attire tous les regards. Il recèle un des plus beaux jardins de topiaires conçu sur un plan original du XVIIème qui n’a rien à envier aux topiaires des célèbres Levens Hall & gardens dans le Cumbria. L’architecte Robert Lorimer, adepte du mouvement Arts & Crafts et du Gothic Revival, reconnu pour ses restaurations respectueuses des éléments d’origine des châteaux et jardins écossais, restaure le lieu en 1890.








D’1,6 ha, le jardin clos est divisé en chambres de verdure bordées par des haies. La principale, la chambre des topiaires de Lorimer, bien séparée des autres, a été redessinée il y a quelques années par les propriétaires actuels sur base du plan original. 36 topiaires de Taxus, – la plupart dénichés par Lorimer dans un jardin abandonné d’Edimbourg -, ont plus de 125 ans. Vu d’en haut, des fenêtres de la demeure, les sensations sont fortes. Les uns se propulsent au cœur du conte d’Alice au pays des merveilles, les autres dans une collection de sculptures vertes d’Henry Moore.


Wemyss et son walled garden





L’ancienne forteresse du XIIIème siècle perchée sur une falaise dans l’estuaire de la rivière Forth, est la demeure de la famille Wemyss depuis plus de 3 siècles. Depuis 1993, Michaël et Charlotte, passionné de jardins, sont aux commandes. Il s’intéresse principalement aux arbres alors qu’elle s’enthousiasme pour les plantes vivaces, roses et clématites. Dans cette région côtière où le vent d’est souffle, plus particulièrement en bord de mer, un jardin clos de murs est indispensable à la création d’un microclimat propice aux cultures potagères et fruitières. Datant du XVIIIème, d’une superficie de 2,5 ha, on y cultivait pêches et ananas grâce à un système sophistiqué de chauffage au charbon extrait en-dessous la rivière. Comme la plupart des walled gardens installés sur une pente exposée au sud, il est placé près de la maison des jardiniers. Il accueillait à l’origine une orangerie et des serres, des pavillons, colombier et cave de réserve pour les pommes. Pendant la deuxième guerre mondiale, il est transformé en champs de pommes de terre puis abandonné. A l’inverse de beaucoup de jardins de ce type qui par la suite ont été simplifiés, transformés en grand gazon ou en pépinière, ici, il est patiemment restauré et remis en activité.






Divisé en 2 parties, de part et d’autre de l’orangerie néoclassique, des haies le compartimentent en formant des lignes et des axes. Les bassin, fontaine, arcades végétales, pergolas, portails à l’italienne du XVIIème et mixed borders débordant de plantes vivaces, roses ou arbustes confèrent une atmosphère douce et romantique à l’ensemble. Une collection de Clematis montana, environ 50 variétés et plus d’une centaine de plantes, envahit les hauts murs et enchante le printemps. Plus loin, un woodland garden peuplé de hêtres et surmonté d’un majestueux Magnolia campbellii planté en 1930 est tapissé selon la saison de perce-neige, narcisses, jacinthes, Erythronium revolutum ou autres Trillium.



La suite de cet article
Dans le prochain numéro d’Eden Magazine l’article se poursuivra avec un arrêt sur images au jardin botanique de Branklyn réputé pour ses collections de plantes rares, mais aussi au jardin historique de Drummond, au domaine de Cambo et dans d’autres propriétés privées d’exception.

Infos pratiques
- National Trust for Scotland : www.nts.org.uk
- National Tree Collections of Scotland : www.ntcs.org.uk
- Scotland’s Gardens Scheme : www.scotlandsgardens.org
- Garden clubs : www.scottishgardenersforum.org.uk
- Jardin botanique d’Edimbourg : 20A Inverleith Row Edinburgh, EH3 5LR. www.rbge.org.uk
- Teasses Estate, Ceres, Fife, KY8 5PG, www.teasses.com
- Earshall Estate, Leuchars Fife KY16 0DP, via www.scotlandsgardens.org
- Wemyss Castle Fife, KY1 4TE, www.wemysscastlegardens.com