Vent de folie sur les jardins d’outre-manche

On sait que les jardins anglais attirent des milliers d’aficionados venus des 4 coins Savez-vous que certains d’entre eux comme Sezincote sont, on ne peut plus décoiffants ?

Inutile ici de vous présenter un jardin à l’anglaise bien sage avec ses mixed borders à la Gertrude Jekyll, ses bouquets d’arbres majestueux plantés au beau milieu d’un gazon zébré, ses lignes sinueuses et douces rappelant les vallonnements de la campagne environnante. Aujourd’hui, pas de Capability Brown, de Chelsea Flower Show, de Royal Horticultural Society, ni de Wisley ou Sissinghirst, ces lieux mythiques qui à eux seuls font rêver les jardiniers contaminés. Dans nos pages jardinières, il est l’heure d’un brin d’extravagance où le chic à la british laisse la place à plus de poésie de quoi remuer quelques piliers de la sacrosainte tradition et déménager les idées toutes faites.

Peut-être avez-vous déjà entendu parler du jardin de la spéculation cosmique de Charles Jenks, une création contemporaine au sud de l’Écosse, spectaculaire métaphore de la théorie du chaos ? De Ian Hamilton Finlay et de son jardin écossais de Little Sparta, lieu de méditation original parsemé d’inscriptions esthétiques et philosophiques ? Ou enfin du dernier jardin de Derek Jarman cinéaste et plasticien, un lieu hors du commun dans le Kent, face à la sévérité de la centrale nucléaire de Dungeness ? Peut-être pas. Et Sezincote, connaissez-vous ?

Sur la route du Rajasthan 

Dans les Cotswolds, plus précisément dans le comté de Gloucestershire, non loin des jardins mythiques de Hidcote Manor, Kiftsgate Court ou Barnsley House répondant aux canons des jardins anglais, une pépite à l’ambiance inhabituelle, bizarre voire excentrique se cache près du paisible bourg de Moreton-in-Marsh. Dans ce paysage typiquement vallonné, parsemé de charmants villages médiévaux aux maisons de grès couleur de miel, la surprise du nom de Sezincote, – prononcez See-zin-kt-, est totale.

Le porche d’entrée franchi, le visiteur aperçoit directement le bulbe vert de gris au centre du toit de la demeure qui semble flotter de façon surnaturelle dans le ciel bas chargé de nuages. La magie opère instantanément. Par un coup de baguette, on se retrouve tout-à-coup sur la route de la soie, à Ispahan ou Samarkand. Petit à petit, au cours de la promenade apparait un élégant palais des mille et une nuits, digne d’un petit Taj Mahal en plein cœur de la campagne britannique.

Les frères Cockerell

John, Charles et Samuel sont les concepteurs de ce lieu cocasse à nul autre pareil. C’est en 1795, à leur retour des Indes où ils travaillaient à l’époque prospère des colonies que les deux premiers initient le projet. Avec l’aide du troisième, architecte, ils décident de construire une demeure dans un style éclectique mêlant l’hindou au musulman. Sans oublier, of course, quelques accents anglais. A l’époque, pour tous, l’aventure semble loufoque. Sauf pour George IV qui s’en inspire pour son fameux pavillon de Brighton témoignant du passé royal de la ville balnéaire.

Pendant un siècle et demi, le domaine vit sa vie mais après la deuxième guerre, il a besoin d’un grand coup de neuf. Les propriétaires, Sir Cyril et Lady Kleinwort, tombent sous le charme du lieu. Après plusieurs voyages en Inde, ils se jettent corps et âme dans sa restauration. Aujourd’hui, Edward et Camilla Peake leurs petits-enfants, continuent à entretenir le rêve. Sezincote, fusion entre deux civilisations opposées et aujourd’hui disparues semble traverser le temps, imperturbable.

Un jardin persan

Au départ, Sezincote est, comme les autres jardins de son époque, un parc pittoresque à la mode anglaise, romantique à souhait. Mais quelques détails évoquant les contrées lointaines viennent perturber ce tableau classique. La balustrade du grand pont surmontée de 4 taureaux à bosse en bronze, les kiosques exotiques, le temple dédié à Surya déesse du soleil, les fleurs de lotus ou encore les 2 éléphants colossaux venant marquer le bout d’une perspective.

Ce n’est pas tout. Derrière le palais, au pied d’une magnifique orangerie aux curieuses fenêtres « à queue de paon », un jardin formel  attire tous les regards. Un jardin persan, référence au paradis originel, divisé en 4 rectangles disposés en forme de croix eux-mêmes séparés par des canaux ou des allées.  Avec le ciel, l’eau et la terre, le jardin figure parmi les 4 éléments. A Sezincote, le bassin octogonal et sa petite fontaine se trouvent au centre de la composition. Au milieu de l’axe du long canal et du chemin en dalles, tous deux doublés non pas de colonnes de cyprès comme en Perse mais d’ifs d’Irlande à la forme fastigiée mieux adaptés au climat et au sol de l’Angleterre. Ici la magie n’a pas fini de régner…

Pratiquement

Sezincote House & gardens, Moreton-in-Marsh, GL 56 9AW, Royaume-Uni                                          www.sezincote.co.uk

Partager